Actualités of Thursday, 14 April 2022

Source: Le Jour N°3641

Cameroun : Marafa Hamidou Yaya, 10 ans derrière les barreaux

Les ennuis de Marafa vont se préciser en  février 2010 Les ennuis de Marafa vont se préciser en février 2010

Evocation de la décennie rocambolesque de l’ancien secrétaire général de la présidence de la République.

Courant juillet 2008. Marafa Hamidou Yaya est ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd). Dans un rapport des élites de la Région du Sud adressé au Président de la République, Paul Biya, le Minatd est accusé de nourrir « l’ambition d’un grand destin national » et de mettre « progressivement » sur pied une « stratégie de conquête du pouvoir ».

Les ennuis de Marafa vont se préciser lorsqu’en février 2010, il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national. Une mesure qu’il découvre au moment où il conduit une délégation interministérielle à Bertoua. Le 9 décembre 2011, deux mois jours pour jours après sa réélection à la tête de l’Etat, Paul Biya remanie le gouvernement. Marafa Hamidou Yaya est écarté de la nouvelle équipe gouvernementale formée par le président de la République fraichement réélu.

Dès janvier 2012, des rumeurs persistantes annoncent son arrestation. Trois mois plus tard, le 16 avril 2012, vers 9h00, Marafa Hamidou Yaya se rend au Cabinet du juge d’instruction du Tribunal de grande instance (Tgi) du Mfoundi, Pascal Magnaguemabe (aujourd’hui révoqué du corps de la magistrature) pour répondre à la convocation qui lui a été adressée quelques jours plus tôt. Ce 16 avril là, vers 12h, Pascal Magnaguemabe délivre un mandat de détention provisoire contre Marafa Hamidou Yaya. Dans la foulée, il est écroué à la Prison centrale de Yaoundé à Kondengui.

Marafa, « Président »

Le 30 avril 2012, deux semaines après son arrestation, en pleine instruction de son dossier, du fond de son cachot, Marafa ouvre le cycle de ses Lettres Ouvertes au président de la République et aux Camerounais. Dans cette première du genre, il prévient, s’adressant au Chef de l’Etat : « Vous comprenez donc qu’ayant recouvré ma liberté de parole car n’étant plus tenu par une quelconque obligation de solidarité ou de réserve, je puisse exposer, échanger et partager avec tous nos compatriotes mes idées et mes réflexions que je vous réservais en toute exclusivité ou que je ne développais qu’au cours des réunions à huit clos. Ces idées et ces réflexions portent particulièrement sur la paix et la justice », écrivait-il. S’en est suivi une intense activité épistolaire fréquente dans la presse nationale et internationale. Transféré en détention dans le camp militaire du secrétariat d’Etat à la Défense (Sed) le 25 mai 2012, rien n’arrêtera Marafa dans la diffusion de ses pamphlets.

Au terme de l’information judiciaire, il est imputé à Marafa Hamidou Yaya des détournements de deniers publics en coaction dans l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel. Renvoyé en jugement pour répondre de cette accusation, le procès de Marafa s’ouvre le 16 juillet 2012. Le juge Gilbert Schlick qui, deux mois plutôt, avait acquitté Jean-Marie Atangana Mebara pour « faits non établis » préside les audiences. Le « procès Marafa » comme baptisé par la presse connait un grand engouement du public. Chacune des arrivées de l’ancien ministre au Palais de justice de Yaoundé, sous forte escorte mixte (gendarmerie et police), se fait sous des applaudissements retentissants de la foule massée à l’extérieur et à l’intérieur de la salle d’audience. « Marafa Président », scandait-on.

Le 22 septembre 2012, l’ancien secrétaire général de la Présidence de la République est condamné à 25 ans de prison pour « complicité intellectuelle », un délit, jusqu’ici inexistant dans les sanctions pénales. Marafa Hamidou Yaya se pourvoit en cassation. Pour le département américain, Marafa Hamidou Yaya est un prisonnier politique. Le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU, quant à lui, dénonce les nombreuses irrégularités dans la procédure à son encontre et demande sa libération et la réparation du préjudice subi.
Jeannette Marafa

Il a fallu 4 ans pour que la Cour suprême se prononce après le jugement rendu en premier ressort. Le 18 mai 2016 à 5h du matin, la Haute Juridiction réduit de 5 ans la peine prononcée par le Tgi du Mfoundi. Marafa écope de 20 ans de prison. Les voies de recours juridico judiciaires sont épuisées. « Encore une fois, la vérité factuelle, simplement factuelle, est que je suis innocent. Je suis un homme qui a servi son pays et son peuple, un homme qui sans doute a commis des erreurs mais n’a jamais volé ni personne ni l’Etat », déclarait Marafa Hamidou Yaya devant la Cour suprême au terme de son procès.

Marafa a continué de donner des nouvelles de lui à travers ses sorties dans la presse tant locale qu’étrangère. En janvier 2018, un audio de Marafa est diffusé sur Rfi. Ce qui suscite l’ire du gouvernement. Ses conditions de détention se durcissent. Ses visiteurs ont été réduits sur décision de ses geôliers. Sa santé s’est littéralement dégradée.

Les chocs émotionnels qu’il aura vécu en 10 ans passés en cellule ne sont pas moindre. Entre autres : la perte de son épouse, Jeannette Noora Marafa, le 25 août 2017 à Paris où elle a été enterrée, l’assassinat de sa secrétaire, proche et confidente, Christiane Yvette Soppo Mbango en janvier 2014 (les assassins courent toujours). Et il y a une semaine, le décès de son grand ami, un fidèle parmi les plus fidèles, Emmanuel Ekwalla Dibotti.
L’affaire : Quand Paul Biya voulait s’offrir un avion neuf (encadré)

Indispensable attribut du pouvoir ou plaisir dispendieux, l’avion présidentiel est un objet mythique. En effet, au début des années 2000, les aéronefs qui composent la flotte de la présidence de la République présentent des signes de vieillissement. Le Boeing 727 baptisé « Le Pelican », acquis en 1978, sous le président Ahmadou Ahidjo était devenu vieux et causait des nuisances sonores dans les aéroports où il atterrissait.

Paul Biya qui s’offre régulièrement des déplacements en Europe veut alors acquérir un nouvel avion. Il est donc prescrit à l’Etat-major particulier du président de la République de faire une étude pour trouver un avion de remplacement. Le choix est porté sur le Boeing business jet 2 (Bbj2). Cette proposition est agréée y compris par Paul Biya. Mais cette décision met le Cameroun en porte-à-faux avec ses partenaires financiers internationaux. Le Cameroun était sous ajustement structurel, donc en négociation avec le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale. Hostiles à ce type de dépenses, ces institutions se sont opposées à l’acquisition d’un avion présidentiel et ont menacé d’interrompre la coopération avec le Cameroun. Face à la menace brandie, le pouvoir choisit la ruse. L’opposition du Fmi et de la Banque mondiale est contournée. Il fallait acquérir l’avion provisoirement au nom de la Camair, son immatriculation ultérieure au nom du Cameroun ne devant poser aucun problème.
Camair

C’est alors que le projet d’achat de l’avion du président de la République est confié à la Camair. En fait, la Camair prend en charge l’opération, mais c’est la Snh qui va délier la bourse. C’est l’époque où Yves Michel Fotso est administrateur directeur général de la Camair. Il se trouve donc au centre du processus. Avec pour interlocuteur dans la gestion de ce dossier, Marafa Hamidou Yaya, alors secrétaire général de la présidence de la République, président du Conseil d’administration de la Snh et Blaise Benaé Mpecke, le chef d’Etat major particulier du président de la République, de regrettée mémoire.

En 2001, le processus d’acquisition du Bbj2 est lancé. Yves Michel Fotso décide de s’appuyer dans cette opération sur un intermédiaire. Grâce à l’intermédiation de Jean-Marie Assene Nkou (en fuite), gérant d’une compagnie privée de transport aérien qui dessert l’intérieur du pays, un contact est noué avec Gia international, une société qui a son siège dans l’Etat d’Oregon à l’Ouest des Etats-Unis d’Amérique. Gia va en principe jouer le rôle d’intermédiaire pour trouver des financements sur la base des avances que lui verse le Cameroun. Le ministre des Finances de l’époque, Michel Meva’a Meboutou s’était opposé à cette formule d’achat par leasing, expliquant qu’il ne concevait pas qu’un avion du chef de l’Etat soit soumis au « hasard des aléas de ce genre de contrat ».
45 milliards Fcfa

Le coût global de l’avion y compris les aménagements d’intérieur s’élève à 45 milliards FCfa. En août 2001, la Camair par l’entremise de Gia va lancer la commande de l’aéronef auprès du constructeur Boeing. Une avance de 1,5 milliard FCfa est versée. Cette somme est insignifiante. En septembre 2001, la Snh débloque 24 milliards FCfa qu’elle met à la disposition de l’Adg de la Camair. L’argent va transiter par le compte de la Gia à la Bank of America. En mai 2002, près d’un an après le déblocage des fonds, Boeing n’a toujours pas reçu les 24 milliards FCfa. Ainsi, las d’attendre que le Cameroun confirme sa commande en versant une somme substantielle, Boeing va rembourser ce mois de mai là, la somme de 1,5 milliard FCfa précédemment reçue. Ce qui vaut radiation de la commande. On en est là lorsque Jean-Marie Atangana Mebara devient secrétaire général de la présidence de la République, le 24 août 2002 et prend le relais de Marafa Hamidou Yaya dans le dossier. Blaise Bénaé Mpecke et Yves Michel Fotso sont encore en poste. Atangana Mebara se dote des services d’un cabinet londonien spécialisé dans l’aéronautique pour tenter de récupérer les 24 milliards FCfa. L’opération va échouer. L’achat du Bbj2 est abandonné et se transforme en acquisition de l’Albatros.