Le DG du PAD est-il activement recherché pour être incarcéré en exécution d’une décision de justice l’ayant condamnée le 5 août 2021 notamment pour abus de fonction ? Depuis deux semaines, l’opinion publique est tenue en haleine par des révélations des réseaux sociaux allant dans ce sens. Et pourtant, personne n’a jamais eu connaissance du déclenchement officiel d’une procédure administrative d’interpellation de l’autorité portuaire. Qui a intérêt à le déstabiliser et quelles sont les raisons qui sous-tendraient une telle entreprise ? Voici à travers un jeu de questions-réponses, quelques éléments de compréhension de ce qui se passe réellement.
Un mandat d’arrêt invisible…
Le vendredi 3 juin dernier, la toile s’est littéralement enflammée à la suite de la mise en circulation d’une correspondance frappée du sceau de la confidentialité et signée apparemment la veille par le procureur général près la Cour d’appel du Littoral. Destinée prioritairement au «commandant du groupement de gendarmerie territoriale du Wouri», la correspondance en question le mettait pratiquement en demeure d’exécuter le «jugement N°1854/CD/COR rendu le 5 août 2021 par le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo et le mandat de justice subséquent». Le document, apparemment déchargé le même jour au secrétariat du commandant de la légion de gendarmerie du Littoral faisait l’objet de cinq autres ampliations au rang desquelles celles destinées au ministre de la Défense et au secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie.
Le contenu de la correspondance comportait une menace à l’endroit de son destinataire principal : «Vous voudrez bien, peut-on y lire, au risque d’engager votre responsabilité pénale individuelle au sens des dispositions des articles 74, 89, 129 (inexécution de réquisition), 131, 148 (refus de service dû), et 157 (rébellion) du code pénal, exécuter le mandat de justice dont ci-joint copie, décerné par le TPI de Douala-Bonanjo contre le nommé Ngo’o Cyrus (directeur général du Port autonome de Douala)». Le but avoué par l’auteur de ce document était donc de provoquer l’incarcération de façon urgente du DG du PAD. Ce qui a provoqué sur les réseaux sociaux où cette correspondance devenue rapidement culte un vrai affrontement entre les partisans et les détracteurs de l’autorité portuaire en question. Et il a fallu attendre le lendemain, pour que l’authenticité du document soit remise en question par la rumeur…
Cette spéculation sur la liberté de M. Cyrus Ngo’o n’est pas la première en rapport avec la fameuse décision rendue par le TPI de Bonanjo le 5 août 2021. Déjà lors du week-end du 20 mai 2022, la toile s’était déjà enflammée, dans une ampleur certes moindre, suite à un texte publié par le lanceur d’alertes camerounais Boris Bertolt. Les médias du Groupe l’Anecdote (notamment l’émission Club d’élite de Vision 4) avaient pris le relai, avec des commentaires péremptoires sur l’incarcération programmée du DG du PAD. Il était alors raconté que de retour d’un séjour à l’étranger dans le cadre de ses charges professionnelles, M. Cyrus Ngo’o avait dû s’échapper par les toilettes à l’Aéroport international de Douala après avoir été inquiété par un contrôle policier. Mais, personne n’avait vu, comme du reste le week-end dernier, la trace d’un mandat d’arrêt concernant le DG du PAD.
En principe, selon les usages judiciaires, l’émission d’un mandat d’incarcération par un juge est généralement suivie, au moment de son exécution lorsqu’elle n’intervient pas immédiatement, par la signature d’un mandat d’arrêt, d’un avis de recherche et/ou des avis d’interdiction de sortie du territoire. Dans le cas d’espèce, aucune de ces précautions ne semble encore avoir été ouvertement prise. D’où le caractère éminemment énigmatique de la chasse engagée contre le DG du PAD.
Dans le proche entourage de M. Cyrus Ngo’o, on prend très au sérieux les rumeurs relatives à son interpellation projetée. Des sources internes au PAD confirment d’ailleurs que le projet de son interpellation lors de son retour au Cameroun le jeudi 18 mai. Des dispositions auraient été prises, apprend-on, pour désamorcer le dispositif mis en place à l’aéroport international de Douala pour la basse besogne. Mais les sources de Kalara rassurent que le DG ne s’était pas échappé par les toilettes, comme allégué par ses détracteurs. Souffrant vers la fin de son séjour à l’étranger, il avait été récupérer directement au tarmac de l’aéroport par une équipe comprenant le médecin du PAD, pour une prise en charge médicale rapide. Voilà ce qui avait déjoué, dit-on, les objectifs photographiques des voyeurs pourtant mobilisés.
Rappelons à toutes fins utiles que M. Ngo’o a bel et bien été reconnu coupable d’abus de fonction et de concussion le 5 août 2021 par le TPI de Bonanjo dans le cadre d’un procès engagé le 9 novembre 2020 par le DG de la société Cana Bois. Il était condamné à six mois de prison avec sursis pendant cinq ans et à 1,7 millions de francs d’amende francs d’amende. Le tribunal lui avait aussi infligé la sanction de payer les dépens (frais de justice et autres) pour un montant avoisinant 162 millions de francs. Un mandat d’incarcération pour une durée de 5 ans était émis par le juge pour contraindre le condamné à s’acquitter de cette sanction. M. Cyrus Ngo’o se voyait aussi infligé le paiement des dommages et intérêts de 3,2 milliards de francs au profit de la Cana Bois. C’est la vraie-fausse exécution de cette décision d’incarcération qui tient l’opinion publique en haleine depuis plus de deux semaines.
Qui peut avoir intérêt à faire incarcérer Cyrus Ngo’o ?
S’il est établi qu’un mandat d’incarcération a été effectivement émis contre le DG du PAD le 5 août 2021 pour le contraindre à payer l’amende et les dépens arrêtés par le juge dans l’affaire Cana Bois, il est tout aussi établi que par un courrier officiel, M. Cyrus Ngo’o avait transmis au Greffier en chef du TPI de Douala-Bonanjo, le 10 août 2021, soit cinq jours seulement après sa condamnation, un chèque certifié au montant des condamnations pécuniaires prononcées en faveur de l’Etat. Le même jour d’ailleurs, affirment les sources concordantes, le Greffier en chef avait établi un reçu attestant du paiement par M. Ngo’o des sommes en question. Ce paiement n’a jamais été remis en question par le greffier en chef, selon les sources de Kalara.
Sur quoi pourrait donc se fonder l’incarcération effective du DG du PAD s’il détient la preuve du paiement en question ? Les détracteurs de M. Cyrus Ngo’o affirment que le chèque certifié, présenté à l’encaissement, a été retourné par le Trésorier payeur général de Douala au greffier en chef, au prétexte que la condamnation du 5 août 2021 concerne personnellement M. Ngo’o et que les comptes du PAD ne sauraient supporter une telle charge, qui serait éminemment privée. Ceux qui soutiennent cet avis du TPG estiment que la délivrance d’un chèque sur le compte du PAD serait une tentative de détournement des deniers publics. C’est une opinion battue en brèches par de nombreux juristes, qui soutiennent qu’il est normal que l’entreprise publique supporte les sanctions pécuniaires de son dirigeant, quitte à se retourner contre lui plus tard, dès lors que les actes à l’origine de sa condamnation ont été pris dans l’exercice de sa fonction.
Quoi qu’il en soit, le greffier en chef n’a pas encore remis en question le chèque reçu du PAD. Du coup, les manœuvres visant à l’incarcération du DG ne pourraient provenir dans ce cas, que des personnes ayant un compte personnel à lui régler. Si le DG de Cana Bois apparaît comme l’une de principales personnes à suspecter dans ce cas, étant l’auteur de la procédure judiciaire ayant conduit à la condamnation du DG, il apparaît qu’il ne pourrait tirer aucun profit direct de l’emprisonnement de Cyrus Ngo’o. Les intérêts de M. Nassar Bou Hadir se situent en fait dans le recouvrement des dommages intérêts de la somme de 3,2 milliards de francs décidés par le juge en sa faveur et la normalisation de ses relations avec l’organisme portuaire. Or, la décision du TPI de Douala-Bonanjo fait l’objet d’un appel. Du coup, la piste Nassar paraît peu crédible.
Il reste la piste des autres adversaires de Cyrus Ngo’o. Parmi les plus connus de ces derniers temps, figure Me Atou. Gérant du cabinet qui porte son nom, chargé des actifs résiduels de trois ex-sociétés d’Etat parmi lesquelles l’Office national des Ports du Cameroun (Onpc), ancêtre du PAD, M. Atou se trouve engagé dans une rude bataille avec M. Ngo’o pour le contrôle d’une partie des actifs dont il revendique l’exclusivité de la gestion, sur la base d’un contrat qui le lie à l’Etat. D’ailleurs, Me Atou revendique ouvertement une dénonciation adressée à certains hauts responsables publics, notamment le procureur général près le TCS, contre M. Cyrus Ngo’o. En août 2021, le DG du PAD avait d’ailleurs été longuement entendu par le Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS sur la base de la dénonciation de M. Atou. Et cette dénonciation, qui vise aussi à distance le Secrétaire général de la présidence de la République, M. Ngoh Ngoh, n’est pas encore éteinte…
La piste du clan Atou paraît vraisemblable quand on prend en considération l’activisme très prononcé de Vision 4 et du journal L’Anecdote devant les rumeurs de l’incarcération programmée de Cyrus Ngo’o. Comme M. Jean-Pierre Amougou Belinga, M. Atou passe pour être un proche du ministre d’Etat Laurent Esso. Or, il est désormais de notoriété publique, comme dans l’affaire opposant la DGI aux entreprises de M. Amougou Belinga, que le ministre de la Justice et le Sgpr nourrissent l’un contre l’autre une profonde inimitié. De toutes les façons, en l’absence d’actes concrets, la réponse à la question posée repose sur l’analyse ou la spéculation.
Où en est-on avec l’affaire Cana Bois dans tout ça ?
Après le verdict du 5 août 2021, le DG du PAD avait relevé appel de la décision en question. Le dossier se trouve donc à la Cour d’appel du Littoral et, en principe, son examen est programmé lors de l’audience de la chambre correctionnelle de cette juridiction prévue le 9 juin 2022, c’est-à-dire jeudi prochain. Plusieurs fois renvoyé ces derniers mois au prétexte que le «dossier ne serait pas en état» d’être examiné, certains justiciables n’ayant pas été notifié de son enrôlement, les choses semblent avoir déjà été remise en ordre. Mais, il reste à savoir si le DG du PAD pourra enfin accepter de comparaître devant la cour. Devant le TPI de Douala-Bonanjo, il avait été condamné sans défendre sa cause, se faisant toujours excusé par ses avocats, pour des raisons qu’il est seul à maîtriser.
Ce qui est sûr, c’est que M. Cyrus Ngo’o n’est pas à l’aise dans les salles d’audience ouvertes au public. Il avait sollicité le huis-clos pour l’examen de son affaire devant le TPI, mais sa requête fut rejetée. Il est donc curieux de savoir si le DG, qui a déjà été lourdement condamné, même s’il considère que la décision du TPI de Douala-Bonanjo relève d’une instrumentalisation du juge (lire-ci-dessous), va se résoudre à se déplacer lui-même pour le palais de justice. Certains dans son entourage disent redouter qu’il soit capturé à l’occasion au regard des rumeurs «sérieuses» qui circulent. Il faut donc attendre jeudi prochain pour juger ce qu’il adviendra.
A noter cependant que la bataille entre Cana Bois et le PAD ne se déroule pas uniquement devant le tribunal correctionnel. Le DG de Cana Bois a également engagé des procédures judiciaires contre le PAD devant le Tribunal administratif et le juge des référés. Toutes ces procédures sont encore pendantes.
Quid du juge Mfompa Abada Mforen Bruno
M. Mfompa Abada Mforen Bruno est le magistrat qui avait rendu la décision condamnant M. Cyrus Ngo’o le 5 août 2021. Depuis le début de la semaine dernière, il est l’objet d’un lynchage public en règle. Et pour cause : alors que l’affaire opposant le promoteur de Cana Bois au DG du PAD était encore en cours d’examen, ce juge s’était laissé aller à des échanges pour le moins curieux avec Me Elamé Bonny Privat, l’un des avocats de M. Cyrus Ngo’o. A travers le réseau social WhatsApp, le magistrat faisait part de façon insistante des travaux de son chantier bloqués au niveau de la toiture, images à l’appui. Dans les écrits qui ont été rendus publics à travers la diffusion des captures d’écran faites sur le téléphone de son interlocuteur, il sollicitait son «frère», l’avocat du DG, pour qu’il lui obtienne un appui financier de nature à l’aider à achever la toiture de sa maison en construction…
Selon toute vraisemblance, le financement en question ne lui a jamais été accordé. Mais le DG du PAD a été condamné comme on le sait. M. Ngo’o est convaincu que sa condamnation est consécutive au fait pour lui d’avoir bouché ses oreilles devant les sollicitations du juge. De toutes les façons, une dénonciation dans ce sens avait été faite par voie hiérarchique à l’encontre du magistrat. Une procédure disciplinaire avait été déclenchée. Et M. Mfompa Abada Mforen avait reçu une demande d’explication du président du TPI de Douala-Bonanjo. La réponse apportée à cette demande d’explications a aussi été publiée, de même que la copie d’une lettre de désespoir adressée au président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, dans laquelle le magistrat sollicite l’intervention du chef de l’Etat pour que sa carrière ne soit pas ruinée.
Dans les explications faites ici et là sur les faits qui lui sont reprochés, le magistrat dit avoir condamné le DG du PAD contre son propre gré et suivant les instructions de son chef hiérarchique direct. Il explique avoir dévoilé dans une note adressée au président du TPI sur la demande de ce dernier, longtemps avant le verdict, sa position par rapport aux faits soumis à son examen. Et cette position était favorable à la relaxe de M. Cyrus Ngo’o. Et cette note, transmise aux plus hauts dirigeants du ministère de la Justice, aurait déclenché les pressions qui l’ont amené à déclarer coupable le DG du PAD. Il se défend ainsi d’avoir sanctionné le dirigeant portuaire pour son manque de générosité à son égard.
Vendredi, 3 juin dernier, lorsque la fausse correspondance attribuée au procureur général près la Cour d’appel du Littoral a inondé les réseaux sociaux, toute la documentation concernant les aveux du juge ont refait surface à la vitesse «V». Ces documents ont fait l’objet des partages quasiment en même temps que des documents portant sur une requête «aux fins de défense à exécution» montée par les conseil du DG du PAD, dans l’espoir de paralyser l’incarcération éventuelle de leur client.
En attendant de savoir ce qu’il adviendra à la carrière du juge, qui s’est sans doute foutu profondément le doigt dans l’œil du fait de ses demandes d’argent incongrues, il apparaît bien que les camps qui se battent pour le contrôle du PAD ou autour du PAD n’excluent aucun coup tordu pour s’affaiblir les uns et les autres. On est bien en face d’une bataille entre groupes quasiment mafieux, qui utilisent chacun la justice en fonction de ses intérêts du moment. Et on voit bien que la querelle entre Cana Bois et le PAD finit par passer au second plan dans une lutte d’éléphants que personne n’ose désigner par peur de représailles. Ainsi va la justice camerounaise, ballotée par des intérêts égoïstes.