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Actualités of Friday, 18 August 2023

Source: L'Oeil du Sahel N°1834

Cameroun : l’ossement humain, le nouvel or blanc

"J’avais avisé le Délégué du gouvernement"

Quand Aboubakar Siroma, ex sénateur SDF de l’Adamaoua est monté au créneau en 2022 pour dénoncer la disparition des cimetières à Ngaoundéré, il a été traité de manière curieuse. La seule partie de sa dénonciation qui a manifestement retenu l’attention et qui lui a valu 9h d’audition dans les services de la police à Ngaoundéré, c’était pour avoir dit que les autorités de la ville ont échoué pour n’avoir pas sécurisé les sépultures. Pourtant, ce que voulait prévenir cet élu du peuple, c’était bien ce trafic des ossements humains.
Aujourd’hui, la population de l’Adamaoua en est à pleurer la profanation des tombes et plus douloureusement encore, de nombreux assassinats et disparitions de personnes. Le lien de ces malheurs semble de plus en plus établi avec le trafic luxuriant des ossements humains. De fait, en 2022, il soulignait que «la situation est extrêmement grave. Je me souviens, quand j’étais enfant, il y avait un cimetière chrétien vers Beka-Hosséré, à l’endroit qu’on appelait Lac Mission. Les parents de nos amis chrétiens y étaient enterrés. Mais à ma grande surprise, cet endroit est devenu une ville, avec des habitations.

Toutes les tombes ont été profanées, des maisons, hôtels et grandes villas y ont été construits. Aujourd’hui, on appelle cet endroit Djaroual ou carrefour Commissariat allant à Beka ; le nom flotte. C’est intriguant et triste parce que dans les mairies, il y a des commis sions chargées de la sécurisation et de l’entretien des cimetières. Dans le même élan, vous voyez le quartier Joli Soir qui, il y a 10 ans, abritait un grand cimetière. C’est d’abord le côté chrétien qui a été envahi, ensuite, tout le reste du cimetière a été rasé. J’ai même appris qu’en profanant ces tombes, une dépouille avait été découverte intacte. Qu’en a-t-on fait ? Je n’en sais rien. Il en est de même des ossements humains et des restes mortuaires. Qu’en ont fait les gens qui y ont construit ? Une chose est certaine, d’aucuns en ont profité pour faire les trafics des ossements humains. Et voilà encore le même phénomène qui se profile au quartier NordCifan. En 2014-2015, j’y ai effectué une descente, et j’ai constaté que les gens ont commencé à grignoter le secteur chrétien du cimetière. J’avais avisé le Délégué du gouvernement, m’appuyant sur ce qui s’est passé au Lac Mission et à Joli Soir.

Rien n’a été fait, et le côté chrétien du cimetière est en train de disparaître ; il y reste à peine 10 tombes avec plus de deux hectares qui ont déjà été envahis». CONCESSIONS À SÉPULTURES CONVOITÉES En tout cas, à Ngaoundéré, il y a des étrangers qui sont pointés du doigt comme commanditaires du trafic des ossements humains. D’après certaines personnes averties, ces personnes venues des pays voisins n’hésitent pas à acheter des concessions jonchées de tombes, quand ce ne sont des portions de cimetière ou de caveaux familiaux. Et le business des ossements prospère. D’ailleurs, en début d’année 2022, le temps d’une réunion de coordination sur le bilan de l’année 2021 dans le département de la Vina, le préfet Yves Bertrand Awounfac Alienou soulignait que «sur un plan encore moins reluisant, le département de la Vina a fait face à de nombreux défis en 2021. Il y a eu la recrudescence de la criminalité et du grand banditisme caractérisés par des enlèvements et prises d’otage avec demandes de rançons, la profanation des tombeaux et le trafic des ossements humains qui devient préoccupant ; de nombreux accidents de la circulation routière du fait de la dégradation avancée de la chaussée à certains endroits, mais aussi du mauvais comportement des chauffeurs au premier rang desquels les conducteurs de mototaxis ; la consommation et le trafic du tramol et d’autres stupéfiants dans les établissements scolaires ; la mauvaise exécution des ouvrages construits sur fonds publics, les coupures intempestives d’eau et d’électricité, la multiplication des actes de défiance à l’endroit des représentants de l’autorité de l’Etat, la perpétuation du mauvais accueil des usagers dans les services publics, etc.».

Les ossements humains sont donc une préoccupation de tous les instants dans la Vina. En guise d’illustration, en 2021, Bobbo Issa, chef de 3e degré du quartier Beka-Hosséré, dénonçait ce trafic dont l’un des pools était cette zone. «J’ai été informé que la police judiciaire est venue attraper quelqu’un en possession d’ossements humains. Bien entendu, j’avais été averti par des enfants qui m’ont dit que la personne en question était suspecte. J’ai convoqué ce jeune homme chez moi et je lui ai dit qu’il était préférable qu’il quitte le village, au vu des informations qui me sont parvenues le concernant. J’ai estimé qu’il allait nous amener des choses que les enfants de Béka-Hosséré ne connaissent pas. Ce monsieur vient de la RCA, c’est un étranger qui s’est introduit dans notre quartier avec la complicité d’un des nôtres. Les deux ont donc été attrapés par la police. Ce sont les enfants du quartier qui ont constaté que ces deux trafiquants ont profané trois tombes au cimetière», relatait-il. Et de préconiser aussi, comme le sénateur Aboubakar Siroma, la sécurisation des cimetières par les communes. Mais c’est une réalité qui s’étend à l’Adamaoua tout entière. Et c’est en 2019 que la région commence véritablement à mesurer l’ampleur du mal.

Le 24 mars 2019, des trafiquants d’ossements humains sont interpellés à Garoua-Boulaï. Meiganga, qui se trouve être identifiée comme un lieu de ravitaillement. Tout à côté de Garoua Boulaï, Meiganga passe pour être un lieu d'approvisionnement en ossements humains. Une autorité de la ville confiait, de fait, que : «Il y a trois mois qu’on a arrêté des trafiquants d’ossements humains à Meiganga. Cinq jeunes mineurs qui ont moins tous moins de 20 ans. C’est au niveau de Ngaoundéré que l’alerte a été donnée et on les a interpellés à Meiganga, car c’est ici qu’ils ont exhumé ces os. Après les enquêtes, on les a déferrés à la prison principale de Meiganga. Donc, c’est Ngaoundéré qui a mené l’enquête. Ça inquiète déjà parce que les populations n’ont plus l’assurance que les dépouilles des leurs sont vraiment en paix». Par la même occasion, à cette période, une vidéo circulait en mars 2019, montrant l’audition du nommé Mohamadou Daabo, pris par des services de sécurité à Douala. Le présumé trafiquant révélait avoir obtenu les ossements humains en sa possession au moment de son interpellation au rond-point Déido, dans la localité de Mbamti, dans l’arrondissement de Banyo, département du Mayo-Banyo. L’agent de sécurité indiquait que le renseignement ayant permis de mettre la main sur Mohamadou Daabo faisait état de ce qu’il devrait placer ces ossements humains à la somme de 25 millions FCfa. Et le présumé trafiquant de rétorquer que le montant de la transaction était plutôt prévu à 2,5 millions FCfa. Les ossements soigneusement emballés dans des plastiques, étaient ceux d’un enfant, précisait Mohamadou Daabo.
APPÉTIT DE LA TERREUR

L’un des points de transit de ces ossements humains, entre les régions du Nord et de l’Adamaoua, avait même été identifié en 2021 par le colonel Dominique Njoka, commandant de la 31e Brigade d’infanterie motorisée. L’officier supérieur de l’armée indiquait que : «l’insécurité dans les régions du Nord et de l’Adamaoua, réside dans les parcs. Ce sont des zones de ravitaillement des malfrats, de trafic de drogue, de stupéfiants, des armes de petits calibres. En outre, il y a exploitation des espèces protégées et le trafic des ossements humains, et bien d’autres mauvaises choses qui s’y passent». La ville de Meiganga, département du Mbéré, entre particulièrement en scène dans ce triste registre le 13 janvier 2021. Ce jour, la compagnie de gendarmerie est alertée par le responsable du cimetière. Selon une source sécuritaire, ce dernier «a découvert que des tombes étaient déjà profanées. Ses soupçons étaient portés vers un voisin. Et le lendemain, on est allé regarder, pour se rendre compte qu’il y avait même encore des restes dans une tombe». Dans son déploiement, la brigade de gendarmerie de Meiganga interpelle trois personnes dont deux élèves. «C’est comme ça que de fil en aiguille, on a pu avoir les six profanateurs. De fait, quand les élèves commencent à délier les langues, on se rend compte que c’est le cimetière que nous avions visité la veille et où il y avait encore des restes. Ce seraient des restes de prisonniers. L’enquête est en cours avec le régisseur, question de voir comment on peut identifier ces restes. Il faut préciser que c’est un cimetière où on ne met pas les noms des défunts, côté musulman», renseignait-on. Il avait été question de vérifier le cahier où sont consignés les noms des défunts pour voir de qui il pouvait s’agir. Et c’est en 2021 qu’une autorité de la ville de Meiganga craignait déjà le pire dans le trafic des ossements humains. Elle confiait alors que «d’une certaine manière, l’appétit de ces trafiquants, adeptes de la vie facile, a été aiguisé. Et l’appétit venant en mangeant, ils risquent même de commencer à tuer des gens pour faire vivre leur business». A ce jour, on en est à ce qu’il redoutait : les trafiquants ne se contentent plus seulement de profaner les tombes, ils tuent désormais pour avoir des os frais. Une triste et funeste réalité qui exige une prudence plus accrue.