Actualités of Friday, 25 October 2024

Source: Le Jour

Cameroun : les lois se tordent et se brisent sous le poids de l’autorité

Un chemin encore trop peu emprunté par ces héritiers Un chemin encore trop peu emprunté par ces héritiers

Dans les vastes plaines et les forêts denses au sud du Sahara, l’ombre des anciens empires coloniaux persiste encore aujourd’hui, telle une brume tenace. Le politique africain, cet être vibrant de mille couleurs et de chants ancestraux, se retrouve malheureusement enchaîné à des structures politiques héritées d’un passédépassé qui ne lui appartient même pas. Ses institutions, bâties sur des fondations étrangères, peinent à s’adapter aux réalités locales, étouffant ainsi l’émergence de voix nouvelles et de rêves inédits. Les héritiers de ce système, ces échos des temps révolus, semblent ignorer qu’ils perpétuent un cycle de silence et de soumission, où la créativité politique est un oiseau dont les ailes sont brisées avant même de prendre son envol.

Dans des contrées comme celui de mon pays, le Cameroun, les lois se tordent et se brisent sous le poids de l’autorité, menaçant de chaînes invisibles ceux qui osent défier le statu quo. Ainsi, l’odeur du père colonial, avec sa chicotte et ses pratiques oppressives, continue de flotter dans l’air, ravivant les cicatrices du passé sur nos corps et entravant l’innovation politique de notre jeunesse. Ces héritiers, déconnectés des réalités de leurs peuples, exacerbent les tensions ethniques et régionales, empêchant la naissance d’une harmonie sociale nécessaire à l’éclosion de solutions novatrices. Pourtant, dans ce monde en perpétuelle mutation, la mondialisation se présente comme un paradoxe fascinant. Elle impose une uniformité qui étouffe la diversité, tout en ouvrant des portes vers des horizons d’expression inexplorés.

Mais le politique africain, le Camerounais, au lieu de s’emparer de ces nouvelles perspectives pour intégrer ses valeurs culturelles dans le concert des nations, se perd dans un mimétisme stérile. La jeunesse, étouffée dans son élan, trouve refuge dans les réseaux sociaux, ces oasis numériques dans lesquelles elle dessoiffe sa créativité débordante dans des frivolités improvisées : humour, poésie et calembours de tous genres. Certaines de ces créations, il faut l’admettre, sont si originales qu’elles laissent un sentiment de gâchis. Malheureusement, la grande majorité d’entre elles se limite à des futilités, reflétant l’errance, la perdition, l'ivresse sociale et d’autres défis auxquels font face les sociétés africaines au sud du Sahara. Marginalement, des mouvements comme « Y’en a marre » au Sénégal ou « Yerewolo » au Mali témoignent néanmoins de cette volonté timide de briser les chaînes, de dénoncer la corruption et de rêver d’un avenir où la gouvernance serait synonyme de justice et de transparence. Africain, Camerounais, as-tu le droit de réclamer la justice et la transparence ?

La réinvention des traditions, voilà un chemin encore trop peu emprunté par ces héritiers de l’ancien vieux temps colonial. Notre continent, riche de ses savoirs ancestraux, n’est pas dépourvu de valeurs capables d’inspirer une politique nouvelle. Le Rwanda, avec son système « d’Umuganda », et l’Éthiopie, avec le « Gadaa », montrent la voie d’une gouvernance qui marie sans complexe tradition et modernité, où chaque citoyen est acteur du développement communautaire.

Du Ghana à l’Ouganda, nous pourrions citer d’autres modèles de gouvernance mobilisant différents systèmes : des chefferies traditionnelles, à la démocratie participative ou encore de consensus communautaire. Tous participent à renforcer la cohésion sociale, à la gestion des ressources communautaires, et, surtout, à la médiation des conflits suivi d’une adhésion aux décisions politiques de l’État. Ces modèles, bien que souvent isolés, restent des terres fertiles pour explorer l’innovation et la transformation socio-économique des pays d’Afrique noire au sud du Sahara. Ils montrent que les traditions politiques en Afrique noire peuvent être diversifiées et adaptées aux contextes locaux, contribuant ainsi à la stabilité et au développement. L’enjeu réel est leur opérationnalisation qui requiert le courage de créer des espaces d’expression – pas nécessairement de dialogue – où toutes les voix, des jeunes aux marginalisés en passant par des opposants, pourront s’exprimer et contribuer à la renaissance d’une politique authentique. Tous les sujets pourraient ainsi être débattus sans complexe, et des millions de solutions brillantes, comme des étoiles dans le ciel, émerger.

Ainsi, même si le Chef de l’État était en vacances, se prélassant sur une plage avec un cocktail à la main, ou s’il était simplement cloué au lit avec un rhume tenace, on trouverait bien un moyen participatif de faire avancer la danse de la république. On pourra aussi, dans ce même espace, réfléchir à haute voix sur la finitude certaine d’une vie, celle de nous tous, celle du président de la république et le futur successoral que nous voulons pour notre pays; ce ne sont absolument plus des sujets tabous, au contraire. La constitution est là pour nous guider; alors, pourquoi ne pas sortir du tabou, de l’incertitude, du mystère et des rumeurs? L’opérationnalisation de cette libération particulière de la parole s’appellerait la démocratie à l’Africaine. Une démocratie qui laisse éclore la créativité en s’inspirant des contextes locaux et en favorisant l’implication citoyenne. Une démocratie qui laisse les citoyens se réinventer, sans chicotte, sans menace, sans censure. En combinant les savoirs traditionnels et populaires, et les outils modernes, le politique africain forgerait ainsi, subséquemment, des solutions durables, adaptées aux réalités contemporaines.

Ainsi, en s’écartant de l’odeur du père et en abandonnant le mimétisme aveugle des pratiques coloniales, il peut enfin s’élever, tel un phénix renaissant de ses cendres, pour devenir un moteur de transformation sociale et politique. Il deviendra l’officier d’état civil d’un mariage harmonieux entre tradition et modernité, une « glocalisation » heureuse qui célèbre l’ancrage local dans un monde globalisé. Et de cette union naîtra un avenir où l’Afrique, forte de ses racines et de ses aspirations, s’élèvera, éternellement gagnante, en donnant le La d’une gouvernance en phase avec les aspirations de ses populations, et son développement durable. Le Préambule de la Constitution du Cameroun, dans son second paragraphe, prêche exactement en ces termes. Il note : « Jaloux de l’indépendance chèrement acquise et résolu à préserver cette indépendance; convaincu que le salut de l’Afrique se trouve dans la réalisation d’une solidarité de plus en plus étroite entre les peuples africains, affirme sa volonté d’œuvrer dans la construction d’une Afrique unie et libre […]. » Qui, en Afrique noire au sud du Sahara, aurait maintenant le courage de mettre cette idéologie panafricaniste en pratique ? Nos élites sont-elles capables de se départir de cette vieille odeur du père de ce passé plus que dépassé ?

Professeur titulaire
et directeur de recherche
du LAMAC&S à l’Université
d’Ottawa