Traduit au conseil de discipline pour la perte d’un véhicule de service, le policier estime sa punition exagérée par rapport au motif invoqué. Il soupçonne son prédécesseur ayant présidé les travaux d’avoir profité de l’occasion pour lui régler son compte. La Dgsn motive la sanction infligée par le strict respect des textes en la matière.
Les épaulettes de la tenue de Joseph Tsoungui, ancien commandant du Groupement Spécial d’Opérations (GSO) de la police, ne comptent plus que 4 étoiles, la cinquième a été emportée par un passage devant le conseil de discipline en mars 2017. Un coup dur pour cet ancien commissaire principal qui va perturber son ascension au sein de la police camerounaise. C’est le 16 novembre 2021, alors qu’il est déjà à la retraite, que son affaire sera finalement examinée par le Tribunal administratif du Centre. L’homme se plaint d’avoir été rétrogradé après la perte d’un véhicule de service alors que les membres du conseil de discipline avaient proposé un abaissement d’échelon comme sanction à son égard.
En service au GSO depuis 1989, Joseph Tsoungui était à l’apogée de sa carrière lorsqu’il fut nommé à la tête de ce groupement en 2014. Il dirige cette unité d’élite de la police sans difficulté majeure jusqu’en 2015, l’année où tout va basculer pour sa carrière. Resté attaché aux services de renseignement, pour y avoir fait ses débuts, le policier raconte qu’il voyait régulièrement des informateurs pour mettre derrière les barreaux une bande de voleurs de véhicules dont il avait suivi les traces quelques années plus tôt. Dans la nuit du 4 septembre de la même année, il devait également échanger avec un informateur. Pour rallier le lieu du rendez-vous, Joseph Tsoungui va emprunter un des véhicules banalisés du GSO. Un acte qu’il regrettera amèrement. Alors qu’il a obtenu les informations demandées, le policier retrouvera sa place de parking vide. Aucune trace du véhicule perceptible au carrefour Nkolndongo, où il l’avait laissé. Les investigations ne parviendront pas à mettre la main sur la voiture.
Une vieille voiture
Obligé d’en référer à son supérieur, Joseph Tsoungui fera un rapport au Délégué général à la Sûreté nationale. La réaction du chef de corps ne se fait pas attendre. Il est d’abord relevé de son poste, avant d’être traduit au conseil de discipline. A l’issue de la session, il passe du grade de commissaire de police principal à celui de commissaire de police tout court. Le coup de massue est aggravé par sa mutation à l’Ecole nationale supérieure de police, alors qu’il a toujours servi au GSO depuis la création de cette unité. Pourtant, explique Joseph Tsoungui, le conseil de discipline n’avait préconisé qu’un abaissement d’échelon. Comme motif, il est aussi écrit «rendement nul» à la tête du GSO, en plus de la «négligence ayant entrainé la perte d’un véhicule de service» qui lui est reproché.
Selon les avocats de l’ancien commandant du GSO, il n’est inscrit nulle part dans le Statut des fonctionnaires de la Sûreté nationale que la perte d’un véhicule doit conduire à un abaissement de grade. D’autant plus que Joseph Tsoungui va confirmer qu’aucun des éléments de son unité n’a jamais été rétrogradé pour la perte d’un matériel de service, même ceux ayant égaré leurs armes auraient été excusés par le conseil de discipline. De ce fait, les hommes en robe trouvent la sanction excessive pour une voiture déjà vétuste. «Le véhicule était déjà vieux. On pouvait demander à M. Tsoungui de rembourser ce véhicule qui ne pouvait même pas coûter 700 mille francs», regrette l’un d’eux. Selon les avocats, la sanction ne peut être expliquée que par la présence du commandant ayant servi au GSO avant leur client. Présidant les débats, il est soupçonné d’avoir aggravé la punition.
PV à problème
En ce qui concerne l’autorisation d’utiliser le véhicule, la Dgsn la reconnait seulement au chef de corps, les avocats et leur client soutiennent que ce ne sont pas toutes les opérations qui peuvent attendre l’accord de cette haute hiérarchie. La rencontre avec l’informateur faisait ainsi partie des prérogatives du commandant. En plus, ils font remarquer la nuance à apporter pour l’autorisation à demander. Elle devrait seulement être préconisée pour les opérations d’envergure, ce qui n’était pas le cas pour la rencontre avec l’informateur. Joseph Tsoungui explique également qu’il ne pouvait pas se faire accompagner d’un collaborateur pour éviter des fuites d’informations, pouvant faire échouer la potentielle opération future.
Enfin, les hommes de l’accusation reprochent au procès-verbal de cette session la mention d’une date erronée pour la perte du véhicule, le 21 avril 2014, au lieu du 4 septembre 2015. C’est pour cette raison qu’ils soutiennent que la décision prise par le Dgsn sur la base de ce PV soit annulée par le tribunal. Pour eux, ce serait justice pour leur client dont le nom a été trainé dans la boue. «En 2017, M. Tsoungui Simi n’avait pas cette stature. Il était bien dodu», explique l’un des avocats pour tenter de prouver au tribunal l’impact qu’a eu cette sanction sur la vie de son client. C’est en partie pour lui faire retrouver son épanouissement autant physique que social que les plaideurs réclament la somme de 125 millions de francs comme dommages et intérêts pour leur client.
Policier trop honnête
Pour le représentant de la Dgsn, Joseph Tsoungui a été traité conformément aux textes qui régissent sa fonction, soit le statut des fonctionnaires de la Sûreté nationale. Ce n’est que la négligence de Joseph Tsoungui qui devrait être trouvée comme raison de sa sanction et rien d’autre. «Le GSO est l’unité gardée du chef de corps, qui l’utilise quand il veut et comme il veut», rétorquera l’élément de la Dgsn au sujet de l’autorisation d’opération à obtenir auprès du patron de la police : la Dgsn conteste donc la justesse de la mission au fond autant que la procédure de sortie.)
L’émissaire de la police ajoute que le plaignant n’a produit aucune preuve qu’il était avec un informateur lorsqu’il s’est fait dérober le véhicule. Au cas contraire, il aurait interrogé ce dernier pour savoir s’il en savait quelque chose. Un procès-verbal d’audition devait aussi être établi, avec une identification claire de l’informateur en question. Cet élément de preuve aurait rendu ses déclarations crédibles. Pour lui rien n’aurait fait savoir le vol de véhicule si Joseph Tsoungui s’était tu sur l’incident. «Connaissant ses états de service, on comprend qu’il a voulu être honnête», lance ironiquement le représentant de la Dgsn. «Un policier est formé de telle sorte que ce qui se passe dehors ne lui arrive pas», ajoutera-t-il pour justifier la sanction dure infligée. Un avis partagé par le ministère public qui juge la punition «prise de manière mesurée». Le tribunal donnera son appréciation des faits le 21 décembre 2021.