Actualités of Wednesday, 23 August 2023

Source: Kalara

Cameroun : un procureur de la république séquestre une dame pour lui extorquer de l’argent

S’est-il transformé en un agent de recouvrement doublé d’un maître-chanteur ? S’est-il transformé en un agent de recouvrement doublé d’un maître-chanteur ?

Interpellée à Yaoundé où elle vit et transférée à Ngaoundéré pour répondre des faits d’escroquerie prétendument commis par son neveu en Russie, Mme Kamtchou reste captive de la justice pour avoir refusé de signer une reconnaissance de dette. La police exige à son époux de supporter le coût de son transfert à Yaoundé accompagné par ses geôliers. La garde à vue se prolonge en dépit de la saisine du Garde des Sceaux.

Le procureur de la République près les Tribunaux d’instance de Ngaoundéré s’est-il transformé en un agent de recouvrement doublé d’un maître-chanteur ? C’est ce qui semble ressortir d’une requête adressée la semaine dernière au ministre d’Etat chargé de la Justice, M. Laurent Esso, par M. Kamtchou Célestin, un commerçant installé à Yaoundé, dont l’épouse est tenue captive à la Division régionale de police judiciaire de l’Adamaoua (Drpja) depuis le 11 août 2023. Le problème, c’est que Mme Kamtchou Odette a été interpellée à Yaoundé sur ordre du procureur de la République en question, avant d’être transférée à Ngaoundéré pour une affaire qui se serait déroulée en Russie sans son implication. Le procureur conditionne la remise en liberté de la captive au paiement d’une somme d’un peu plus de 7 millions de francs ou à la signature d’une reconnaissance de dette par elle. Et face à son refus, sa détention par la police se prolonge au-delà des délais prévus par la loi.

D’après la version des faits donnée par M. Kamtchou au ministre de la justice, c’est un certain M. Dangang Tchemon Jocelin Delmas qui est à l’origine des déboires de son épouse. Longtemps expatrié en Russie et en fin de séjour là-bas, le concerné s’était appuyé sur M. Mangoumou Tchoneng Aganistan, neveu de Mme Kamtchou, pour faire transférer à son profit au Cameroun une somme d’un million de roubles (la monnaie russe), soit 9.113.000 de francs. «Ce transfert, explique M. Kamtchou dans sa requête, était destiné à un gérant de call box répondant au nom de Mounchili Linjouom Aramiyahou qui devait remettre la totalité de la somme à Dangang Tchemon Jocelin Delmas à son arrivée au Cameroun, ce qui n’a pas été fait, le gérant du call-box ayant pris la fuite avant l’arrivée du véritable destinataire de l’argent au Cameroun». Depuis lors, ce dernier ferait feu de tout bois pour recouvrer son argent.

Escroquerie…

En fait, après avoir découvert qu’il s’était fait avoir, M. Dangang Tchemon aurait proférer des menaces de mort à l’encontre M. Mangoumou Tchoneng resté en Suisse, au point d’amener la famille de ce dernier, dont Mme Kamtchou, à offrir de l’aider à recouvrer son million de roubles. «C’est ainsi que mon épouse a pris contact avec M. Dangang par téléphone, explique M. Kamtchou dans sa requête, pour lui proposer une solution compte tenu du fait qu’il a indiqué à cette dernière ne pas avoir les moyens pour regagner la Russie. La famille a alors cotisé la somme de deux millions de francs que mon épouse a remise à M. Dangang pour qu’il puisse acheter le billet d’avion et retrouver son ami en Russie pour qu’ils trouvent une solution. Une fois en possession de cette somme, il a commencé à réclamer le reste de l’argent à mon épouse qui n’est en rien concernée par la transaction faite par son neveu». La police va entrer en scène à partir de là.

«Il y a un mois et demi, les éléments de la direction de police judiciaire (de Yaoundé) ainsi qu’un élément de la Drpja ont pris d’assaut mon domicile et interpellé mon épouse à 5h30’ du matin. Après audition, l’élément de la Drpja nous a expliqué qu’un mauvais arrangement valait mieux qu’un bon procès. Sachant que la liberté n’a pas de prix, j’ai donné 500 mille francs et mon épouse déjà détenue a ajouté 10 mille francs, soit au total 510 mille francs pour sa libération. On croyait l’affaire close jusqu’à ce que le lundi, 7 août 2023, deux éléments de la Drpja soient venus avec un mandat d’amener du procureur de la République près les tribunaux de Ngaoundéré pour les faits de complicité d’escroquerie et d’abus de confiance retenus contre elle. Elle a été conduite à Ngaoundéré où le procureur de la République signataire du mandat d’amener a exigé la signature d’une reconnaissance de dette ou le paiement de l’intégralité de la somme réclamée pour qu’elle recouvre sa liberté… Elle a refusé les deux issues proposées par le procureur de la République.»

Pour faire cesser la détention dont est l’objet Mme Kamtchou Odette à Ngaoundéré, sa famille a requis les services d’un avocat sur place. Il s’agit de Me Raphaël Deugoue, qui est du reste membre du conseil de l’ordre et représentant du bâtonnier sur place. Ce dernier a sollicité la remise en liberté de sa cliente en expliquant, preuves à l’appui, qu’elle n’était pas concernée par la transaction entre le plaignant, qui a choisi les tribunaux de Ngaoundéré pour faire réparer le préjudice qu’il dit avoir subi en Suisse de la part du neveu de Mme Kamtchou et cette dernière qui est domiciliée à Yaoundé. Le 11 août 2023, d’ailleurs, il a mis à la disposition du procureur de la République des documents qui semblent attester que la transaction querellée entre M. Dangang, le plaignant, et M. Tchoneng, le prétendu escroc, s’est bel et bien déroulée en Russie, sans la moindre implication de Mme Kamtchou Odette.

Dans une correspondance du cabinet de Me Deugoue adressée le 11 août 2023 au procureur de la République, ce dernier réitère que sa cliente n’est en rien mêlée aux faits pour lesquels le patron des parquets des tribunaux d’instance de Ngaoundéré a émis un mandat d’amené à son encontre. «Pour justifier les arguments déjà avancés devant vous pour prouver, d’une part, que les faits dans l’affaire en référence ont bien eu lieu en Russie et, d’autre part, que la gardée à vue n’y était ni de près, ni de loin mêlée, je vous prie de trouver ci-joint, thermocopies de la plainte de [M.] Dangang datée du 14 avril 2023 et adressée à M. l’ambassadeur du Cameroun en Russie, ainsi que celle de [M.] Tchoneng adressée à la même autorité. Je vous remercie de bien vouloir considérer ces documents au moment de statuer sur ce dossier», écrit Me Deugoue.

Mère de famille

Ces arguments ont-ils infléchi la position du procureur de la République ? Dans la requête adressée à M. le ministre de la Justice le 17 août dernier en vue de son intervention dans le dossier, M. Kamtchou explique que le procureur de la République des tribunaux de Ngaoundéré a simplement prolongé la garde à vue de son épouse qui était déjà à son onzième jour et a décidé «de son transfert à Yaoundé devant le procureur de la République de Yaoundé – centre administratif qui serait désormais compétent pour connaître de l’affaire». Cependant, jusqu’à ce que Kalara aille sous presse (le 21 août 2023), le transfert n’avait pas été effectué. La raison ? «Les responsables de la division régionale de la police judiciaire de l’Adamaoua m’ont proposé de m’occuper du transport de leurs éléments et de mon épouse pour son transfert au parquet de Yaoundé», explique l’époux de la captive, qui estime que cette lourde charge n’est pas de sa responsabilité.

Conséquence : Mme Kamtchou Odette est encore restée en détention à Ngaoundéré, loin de ses enfants en bas âge laissés à Yaoundé jusqu’au 21 août dernier. Mais la supplique de l’époux de la concernée à l’attention du ministre de la Justice, patron des parquets de la République, a finalement produit des effets, puisque la concernée a effectivement été mise à la disposition du parquet du Tribunal de première instance de Yaoundé – centre administratif, qui l’a remise en liberté sans autre formalité le même 21 août au soir. «Je m’en remets à vous pour que mon épouse qui a voulu agir en mère de famille tout simplement recouvre sa liberté», avait écrit le malheureux Kamtchou dans sa supplique au Garde des Sceaux. Très inquiet, M. Kamtchou a cependant expliqué à Kalara dimanche que les conditions de détention de son épouse avaient été durcies pour la contraindre à trouver les moyens de supporter les coûts de son transfert à Yaoundé.

Ce dimanche, «elle a eu beaucoup de peine à obtenir la permission de se faire acheter un bout de pain», a témoigné M. Kamtchou. De toutes les façons, les efforts de votre journal pour avoir la version des faits du procureur de la République sont restés vains.