Actualités of Saturday, 21 January 2023

Source: www.bbc.com

Cette méthode contre-intuitive qui sauve des champs de riz au Sénégal

Autrefois, les habitants de Fanda y cultivaient de quoi se nourrir toute l’année. Autrefois, les habitants de Fanda y cultivaient de quoi se nourrir toute l’année.

Dans le village de Fanda, les voix des enfants se mélangent au doux clapotis des barques sur la rive du fleuve Casamance. Le long du fleuve, des étendues d’herbes sauvages ont remplacé les anciennes rizières, qui s’étiraient à perte de vue.

Autrefois, les habitants de Fanda y cultivaient de quoi se nourrir toute l’année. Mais petit à petit, le sel du fleuve a envahi les terres, devenues incultivables.

Dans les villages à l’est de la capitale Casamançaise Ziguinchor « 90% des rizières sont abandonnées, on ne parvient plus à subvenir à nos propres besoins », déplore Aliou Cissé, secrétaire administratif et financier du Réseau National des Acteurs du Développement du Sénégal (RENADS).

Auto-suffisante et grenier du Sénégal il y a quelques années, la Casamance dépend désormais des produits importés, dont le riz.

 Le changement climatique, notamment les baisses de pluviométrie, et les déplacements de populations dans les années 1990 en raison d’un conflit séparatiste, ont contribué à cette salinisation.

Sans entretien des rizières, le sel a pu s’immiscer davantage, alors que la déforestation de la mangrove contribuait à la montée des eaux. Des dégâts difficilement réversibles, même après le retour des populations.

Cette perte des rizières a accentué la précarité alimentaire des familles Casamançaises et favorisé l’exode rural des jeunes, qui quittent leurs villages pour se rendre à Ziguinchor voire Dakar. Elle s’ajoute à la diminution des ressources aquatiques, en raison de la pêche non régulée sur le fleuve, qui a décimé les poissons.

Aliou Cissé se souvient de l’abondance des ressources halieutiques pendant son enfance, passée sur les rives du fleuve. « Tout ce qui reste sont des petits poissons. Pour avoir un kg de poisson il va vous valoir 10-20 poissons, alors qu’avant 2 à 3 poissons faisaient 1 kg », explique-t-il.

« Il y avait beaucoup d’usines de poisson ici à Ziguinchor, de traitement de produits halieutiques, maintenant la plupart ont fermé. »

 Au Sénégal, le chômage en zone rurale s’élève à près de 30% selon les chiffres de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie.

En Casamance, où de nombreux jeunes pratiquent des métiers informels tels que la conduite de taxi-motos, ce chiffre pourrait être plus élevé encore.

« Les maris sont obligés d’acheter du riz et les enfants ne peuvent pas travailler, donc ils partent », regrette Safiatou Diallo, mère de famille et ancienne rizicultrice.

La reconversion, une question de survie

Une minorité a eu la chance de se reconvertir, via des projets de développement rural. Jean-Louis Mendy, ancien riziculteur et pêcheur, pratique aujourd’hui la pisciculture dans des étangs artificiels creusés près de son village, Niaguis. « Un soulagement », pour le jeune homme, qui a quitté sa pirogue en 2012.

L’initiative est chapeautée par le RENADS pour créer des emplois et lutter contre l’immigration clandestine. « Aujourd’hui, le poisson est devenu très cher, et au niveau de la région, la majorité des pêcheurs viennent du Nord », explique Eude Diatta, responsable du projet.

« Beaucoup abandonnent le terroir pensant que la solution est ailleurs et pourtant elle est là. Pour moi la pisciculture est la souveraineté économique: Vous avez de l’argent. Vous avez du poisson et vous avez du travail », ajoute-t-il, estimant que ces étangs pourront produire 4 tonnes de poisson par hectare sur six mois.

Une petite usine à Niaguis fabrique les aliments de poissons à partir de matière première locale, à majorité végétale.

La rizipisciculture, une solution ?

Mais Eude Diatta voit plus grand. Il est convaincu que les étangs piscicoles pourraient aussi réhabiliter les rizières, via la rizipisciculture.

L’idée est de creuser des étangs entre le fleuve et les rizières, afin qu’ils constituent des digues anti-sel. « Cela pourra freiner l’avancée de la langue salée », assure Eude Diatta.

L’eau de pluie captée dans ces étangs pourrait aussi servir de système d’irrigation.

 A Fanda, le concept a été expérimenté en 2021. Aliou Cissé avoue avoir été sceptique. « Tout était blanc de sel, les gens nous disaient que cela faisait plus de 30 ans qu’ils n’avaient pas cultivé, mais les techniciens disaient: ici, on va cultiver du riz », se souvient-il. « Moi, je n’y croyais pas ». Mais l’expérience a porté ses fruits, et le riz a recommencé à pousser.

Si cette méthode pourrait, dans l’idéal, solutionner à la fois le problème du riz et des ressources halieutiques, elle peine à se mettre en place. Par manque de financements, ces étangs rizipiscicoles n’ont pas encore été répliqués à grande échelle, malgré l’encouragement des autorités publiques.

Un frein accentué par un déficit de jeunes pionniers capables de mettre en place et maintenir ces étangs.

Des formations sont en cours pour inciter les jeunes à s’organiser en groupes. « Si ces jeunes parviennent à avoir des affectations sur ces terres ils vont eux même aménager les étangs en attendant d’avoir un financement de l’État », explique Aliou Cissé.


  • Les terres salées d’hier deviendront demain des terres promises au Sénégal

 Les autorités publiques disent avoir mis en place de nombreux autres projets, et ainsi relancé considérablement la production de riz en Casamance. Subvention de matériel agricole et de semences, financements…Selon Casimir Sambou, directeur régional du développement rural de Ziguinchor, le nombre d’hectares de rizières en Casamance serait passé de 37400 à 69 120 en six ans.

 

Mais le long du fleuve, les champs abandonnés restent une réalité. Un gâchis d’année en année, qui accentue les frustrations.

Jean Louis Mendy attend toujours que sa famille puisse un jour récupérer ses rizières. « Cela fait maintenant des années qu’on ne peut rien faire, on reste comme ça à attendre », déplore-t-il en scrutant les vastes champs désaffectés, à quelques pas de son village.

Il s’inquiète pour l’avenir de ses enfants, qui manquent de perspectives. « Avant il n’y avait pas de travail mais on avait de l’espace pour cultiver, au moins si on a du riz à la maison ça soulage un peu. Mais maintenant, il n’y a pas de riz et pas de travail, ça devient difficile ».

 L’imprévisibilité du climat vient renforcer l’inquiétude des agriculteurs Casamançais, qui ont connu au cours des dernières décennies d’importants épisodes de sécheresse.

Mais les fortes pluies de 2022 et les campagnes de reforestation des mangroves ont apporté une note d’optimisme. Un espoir que, peut-être, la guerre contre le sel peut encore être gagnée.

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