Dans une interview accordée à TV5 Monde, le président du PCRN, Cabral Libii a répondu à des questions dont une relative à l'éventualité d'une coalition avec le MRC, afin de battre Paul Biya dans les urnes.
Je rêve toujours d'être élu président de la République du Cameroun»
SERIEZ-VOUS PRET A VOUS UNIR AVEC MAURICE KAMTO POUR BATTRE LE CANDIDAT DU RDPC, LE PARTI POLITIQUE DE PAUL BIYA ?
La coalition est aujourd'hui une attente pressante du peuple camerounais. En 2018, j'avais déjà proposé des primaires pour l'opposition, mais mes concurrents ne m'ont pas suivi. J'avais même suggéré un tirage au sort, car je reste convaincu et je ne suis pas le seul qu'il est toujours préférable de s'unir, de mutualiser nos forces pour augmenter nos chances de victoire. Je propose donc deux choses en permanence.
Premièrement, pour véritablement se rassembler autour d'un projet, il est essentiel que nous nous asseyons ensemble pour convenir d'une offre à présenter aux camerounais, et que nous travaillions sur un projet d'action commune. La question cruciale est celle de la surveillance du vote. Nous ne reviendrons pas sur la sophistication de la fraude électorale au Cameroun. À ce propos, nous avons, avec sept partis politiques, y compris le nôtre, proposé en 2023 un code électoral alternatif. Jusqu'ici, le pouvoir n'a pas voulu l'entendre.
En l'absence d'une candidature unique, il est donc impératif que nous puissions établir une coalition d'action. J'ai un ferme et profond espoir que ma voix sera entendue par mes compatriotes et les leaders de l'opposition.
EST-IL PERTINENT DE SE PRESENTER DANS CES CONDITIONS ? CE SCRUTIN N'EST-IL PAS JOUE D'AVANCE ?
Non, absolument pas. Le scrutin n'est pas joué d'avance ; cette idée participe à une forme de résignation qui renforce l'impuissance acquise. Il faut faire attention à la question de la coalition, la multiplicité des candidatures n'a jamais entraîné l'émiettement des suffrages. Depuis la première élection multipartite en 1992 jusqu'à celle de 2018, nous avons constaté que les trois premiers candidats le gagnant, le deuxième et le troisième remportaient toujours plus de 95 % des suffrages. La coalition attendue concerne donc en réalité deux, trois, voire quatre leaders politiques. D'autre part, le peuple camerounais est en train de se réveiller. Je suis moi-même l'initiateur du mouvement « 11 millions d'inscrits » en 2017, qui est devenu « 11 millions de citoyens ».
Au Cameroun, environ 15 millions de personnes sont en âge de voter, mais nous n'avons jamais atteint les 8 millions d'inscrits. Ce cap a été franchi en août 2024, et il nous reste encore six mois pour inscrire de nouveaux électeurs avant 2025. Nous pourrions très bien nous rapprocher des 11 millions d'inscrits, tel est notre souhait. Ce peuple qui émerge de l'endormissement et de la résignation reprend conscience du pouvoir qu'il détient dans le bulletin de vote. Il appartient à ce même peuple de voter massivement et de s'impliquer bénévolement, si nécessaire, pour surveiller le vote et faire barrage à la fraude sophistiquée, afin que seule sa volonté prévale.
L'ACTUALITE DU CAMEROUN INCLUT EGALEMENT LE CAS DE RAMON COTTA, L'INFLUENCEUR QUI EST EN DETENTION SELON SON AVOCAT, AURAIT SUBI DES TORTURES. NOUS PENSONS AUSSI A L'ASSASSINAT DU JOURNALISTE MARTINEZ ZOGO, DONT LE PROCES EST EN COURS. COMMENT DECRIVEZ-VOUS L'ETAT DE LA LIBERTE D'EXPRESSION DANS VOTRE PAYS ?
Nous sommes dans une sorte de miroir déformant. Le Cameroun a ratifié tous les textes, que ce soit les chartes africaines des droits de l'homme et des peuples, toute la batterie des textes internationaux, et sa propre constitution. Tout cela est consacré, mais dans la pratique, c'est un peu plus compliqué. Notre démocratie souffre malheureusement de ce que nous appelons la « bondérisation » de l'État, peut-être liée à la longévité excessive d'un pouvoir en place depuis 40 ans. Le président actuel est arrivé au pouvoir alors que j'avais deux ans. J'ai été candidat face à lui en 2018 et peut-être encore en 2025. Une telle longévité entraîne forcément une forme de dérive ; il y a donc des personnes qui se comportent comme si tout leur était permis. Le parti politique que je dirige vient de sortir d' une longue affaire judiciaire simplement parce que nous subissons depuis décembre dernier l'interdiction de notre congrès ordinaire. Nous sortons d'une persécution incroyable, et nous espérons qu'elle va s'arrêter. Les persécutions existent, les dérives également. Tous ceux qui doivent porter une parole alternative pour le changement, tous ceux qui osent critiquer, doivent faire attention. Le pays ne se résume pas à une poignée d'individus qui font tout et n'importe quoi pour saborder les institutions. Je vous ai dit tout à l'heure que nous avons remporté une victoire judiciaire ; cela signifie qu'il y a encore heureusement des gens au Cameroun qui croient en l'État.
DANS VOTRE LIVRE, VOUS PROPOSEZ DES REFORMES DE LA JUSTICE, LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION, L'EDUCATION, L'EMPLOI ET LA SECURITE. LES VIOLENCES CONTINUENT EGALEMENT DANS LES REGIONS ANGLOPHONES. QU'EST-CE QUE VOUS PROPOSEZ POUR STABILISER CES REGIONS ?
Deux choses. D'abord, il est essentiel de continuer à dialoguer et à se parler. J'ai moi-même fait partie en 2019 du grand dialogue national. Les guerres se terminent toujours par des accords de paix, et pour qu'il y ait un accord, il faut que plusieurs personnes discutent ensemble. Nous proposons donc, au sein du Pcrn, qu'il y ait d'autres grands dialogues nationaux si nécessaire, afin de diversifier les acteurs qui se parlent. Nous pouvons espérer qu'au bout de tout cela, nous dessinions les contours de la paix.
Deuxièmement, il faut des réformes structurelles. Nous le proposons très clairement dans notre ouvrage avec la décentralisation communautaire. Nous restons convaincus que c'est une solution durable pour la paix. Il est nécessaire de réformer l'État ; nous sommes favorables au fédéralisme. Un pays comme le Cameroun, qui est un pays de diversité, ne peut gouverner efficacement qu'en se fondant sur une doctrine fédéraliste, et c'est ce que nous proposons