« Le soja m’a demandé en mariage. J’ai dit oui. Et depuis, nous menons ensemble une vie heureuse ». C’est par ces mots que Matan Yajabi nous commence son aventure avec le soja, l’or jaune vers lequel beaucoup de paysans ruent dans la préfecture de Dankpen, située à environ 485 km au Nord de Lomé, la capitale togolaise.
Au nom du soja
Comme Matan, beaucoup d’autres paysans de la préfecture de Dankpen, ne jurent que par la culture du soja. De 8 tonnes au départ, il est arrivé à une production de plus de 30 tonnes de soja bio par an. Il prévoit d’ailleurs d’augmenter la production l’année prochaine pour plus de bénéfices. « Mon objectif pour la saison prochaine, c’est d’aller à 40 ou 50 tonnes », prévoit-il.« Il me rapporte plus que les cultures que je faisais », confie-t-il, sourire aux lèvres, faisant allusion aux maïs et aux ignames qu’il cultivait avant de découvrir le trésor. C’est plus rentable, selon lui.
Il s’est lancé dans la culture du soja depuis plusieurs années. Surtout lorsqu’il a vu ses camarades agrandir leurs surfaces cultivables grâce à cette culture. « J’ai pris ma décision lorsque j’ai vu ceux avec qui je me plaignais de l’absence de débouché pour nos productions, se faisaient plein d’argent avec le soja », nous confie-t-il.
La culture de soja, selon lui, est en plus, facile. Il faut seulement trois mois pour que le soja soit prêt à la récolte. Tout le contraire pour le maïs dont il faut attendre 6 ou 7 mois, selon la zone de culture.
Le choix du bio
Au Togo, les paysans cultivent deux types de soja : le conventionnel et le bio. Le soja conventionnel est transformé sur le plan local avec ses produits dérivés pour la consommation. Le bio est beaucoup plus destiné à l’exportation, surtout vers la zone de l’Union européenne dont le Togo est le premier exportateur.C’est là où il y a beaucoup de bénéfices à se faire, selon Derrick Tamandja, le Directeur général de la société Soja Bio Sarl au Togo, membre du Conseil interprofessionnel de la filière soja (CIFS). « Le soja, surtout le bio, n’est pas comme le coton dont l’Etat est le seul acheteur. Le soja a un marché multiple. Les producteurs gagnent beaucoup d’argent », indique-t-il.
Convaincu que c’est cette céréale qui lui donne sa position actuelle dans le village, Matan se réclame l’exemple palpable de la réussite dans la reconversion dans la culture du soja. Lui qui, il y a quelques années, cherchait des débouchés pour ses sacs de maïs. Aujourd’hui, il ne se déplace même plus pour évacuer ses productions de soja.
En réalité, la société Soja Bio Sarl, comme d’autres entreprises installées dans la région et à Lomé (la capitale), s’est donné pour mission de passer de village en village, acheter directement le soja auprès des producteurs et les stocker dans des magasins en attendant la certification et l’acheminement vers le port de Lomé. Matan n’a plus à s’en faire en ce qui concerne le transport de ses produits vers un potentiel débouché.
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Des récoltes au rythme de la disponibilité des terrains cultivables
Ce qu’on peut noter chez ces cultivateurs, c’est que la plupart ne sont pas des propriétaires terriens. Ils sont obligés de louer les terrains sur lesquels ils font leur culture. En retour, ils paient les propriétaires terriens en nature ou en espèce, cela dépend du contrat qui existe entre les deux partenaires en amont.Le village de Matan, Guérin-Kouka, ne dispose pas assez de terrains cultivables. « C’est dans les villages voisins que je loue la terre pour travailler. L’année où je trouve beaucoup de surfaces cultivables, je fais des récoltes considérables », confie-t-il, indiquant que ce sont 27 hectares qu’il a trouvés cette année pour une production de 30 tonnes de soja au total.
« Cela ne veut pas dire que ceux qui louent leur terre ne travaillent pas. C’est parce qu’ils en disposent assez et ne peuvent pas les exploiter toutes à cause des outils encore rudimentaires et l’indisponibilité de la main d’œuvre. Ils décident de louer une partie de ces surfaces, et faire leur culture sur le reste. Dans tous les cas, eux aussi trouvent leur compte avec l’évènement du soja qui embrase toute notre préfecture », souligne Derrick Tamandja, le membre du CIFS.
Selon lui, 1 hectare peut donner jusqu’à 3 tonnes de soja. Si on prend la campagne 2021-2022 où le kilogramme du soja a été vendu à 650 FCFA, on peut imaginer le bénéfice que peut faire cet agriculteur. Cette année, le kilogramme de soja a été vendu à 500 FCFA, selon les données du CIFS. On peut comprendre la joie de Matan qui a décédé de s’ouvrir à nous pour parler de « sa réussite ».
« Je n’aime pas trop donné les chiffres d’affaires que je fais. Mais comprenez tout simplement que le soja a changé ma vie », se contente-t-il de nous affirmer, tout heureux.
Un exemple de réussite ?
« Je n’ai pas cette prétention, mais le soja a beaucoup transformé la vie de ma famille », insiste modestement Matan.Le « monsieur soja », comme il se fait appeler dans le village, est marié et père de famille. Ses enfants fréquentent aujourd’hui grâce à sa situation stable, une chance que n’ont pas beaucoup d’enfants dans le village. « Ce n’est pas toujours gaie pour un parent de voir ses enfants arrêter les études par manque de moyens. Pour moi, ce n’est plus possible que mes enfants n’aillent pas à l’école », soutient-il.
Lui qui faisait ses travaux champêtres avec des houes et des dabas, possède aujourd’hui 3 tracteurs, deux motos, un tricycle. En dehors de la nouvelle maison qu’il s’est tapé chez lui au village, il a deux autres villas qu’il a mises en location à Kouka, une ville qui fait office de chef-lieu de sa préfecture.
« J’ai pu acheter un véhicule personnel qui me permet de faire les allers et retours entre le village et la ville. Tout ça, grâce au soja », se réjouit-il.
Le soja a considérablement changé le cadre de vie de ce paysan.
Dans ce village, avoir ne serait-ce qu’une moto, est un signe de réussite. Et l’on est respecté pour ça. Normal que les villageois considèrent Matan comme un modèle, une référence pour les jeunes qui veulent se lancer dans l’agriculture, notamment dans le soja.
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Du travail à une dizaine de jeunes
Le « monsieur soja » est devenu un véritable entrepreneur dans sa région. Il se fait aider dans son entreprise par une dizaine de jeunes qu’il a pris dans son village. « Il y a seulement deux parmi eux qui viennent du village voisin », dit-il.Il a surtout besoin de l’apport de ces jeunes gens au moment de la récolte. « Nous ne nous plaignons pas. Matan fait le nécessaire pour que nous soyons à l’aise, je veux parler de ce que nous gagnons de l’activité que nous faisons ici », confirme Nasser qui ajoute qu’il n’a rien à envier aux jeunes qui ont quitté le village pour la ville à la recherche d’une vie meilleure.
C’est vrai qu’au début, cette reconversion a été difficile, mais au fil des jours, il a su se faire une place au milieu de ces gros producteurs qui ne jurent que par le soja aujourd’hui pour se débarrasser de cette odeur de misère qui leur collait à la peau.
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Des difficultés vite maîtrisées
Passer du maïs et de l’igname au soja, la décision n’a pas été facile pour lui, surtout qu’il ne savait pas dans quoi il s’embarquait. Mais avec l’aide des spécialistes des d'associations telles que le Conseil interprofessionnel du secteur du soja au Togo, la Fédération nationale des coopératives de producteurs de soja, l'Association togolaise des transformateurs de soja et l'Association nationale des négociants-exportateurs de soja, il a su tirer son épingle du jeu et s’imposer aujourd’hui dans le secteur.Ces associations, à travers des séances de formation et de sensibilisation, ont renforcé la chaîne de valeur en mobilisant producteurs, transformateurs et négociants en coopératives. Le CIFS, par exemple, c’est 24.000 producteurs dont 9 000 femmes.
« Ces associations constituent un forum qui rassemble les producteurs afin qu'ils puissent trouver ensemble des solutions à leurs problèmes et progresser dans la même direction. C'est une opportunité pour eux d'être soutenus par un organisme qui assure leur progression constante et leur développement en tant que professionnels », déclare Adji Tchepan, Chef de projet au ministère du Commerce et de la Consommation locale.
Respecter la norme bio pour se faire de l’argent
Pour être sûr de vendre ses produits, il faut qu’ils réunissent toutes les conditions d’une culture bio. C’est grâce à cela qu’ils peuvent être certifiés et à même de trouver des acheteurs dignes de ce nom.Et selon Derrick Tamandja, l’un des promoteurs de cette filière dans la région, il faut que le producteur change de parcelle tous les 4 ans. « Cela fait partie des conditions pour la certification », souligne-t-il.
Il arrive que des stocks de soja soient contaminés et donc ne respectent plus les conditions pour la certification. Ces produits ne peuvent plus être vendus. Cela devient un manque à gagner énorme pour le producteur qui ne peut que compter sur la campagne suivante pour espérer faire des affaires.
« C’est pourquoi il faut bien faire attention aux sacs dans lesquels on doit stocker le soja et le lieu de stockage. Il est facile de perdre beaucoup d’argent dans ce business à cause de la négligence. Cela m’est déjà arrivé », se rappelle Derrick.
Contrairement à ce que les gens peuvent penser, la culture de soja ne se fait qu’une seule fois l’année, même si sa durée est très courte. Parce qu’il faut, selon toujours Derrick, laisser le sol se reposer pour un temps, laisser les micro-organismes se régénérer afin que le sol retrouve sa richesse. « Et puis dans notre zone ici au nord du pays, nous n’avons qu’une seule saison de pluie. Le soja a besoin de l’eau pour bien donner », souligne-t-il
Et changer de parcelle est une contrainte que les paysans arrivent difficilement à gérer. Matan confirme qu’il doit changer de parcelles l’année prochaine pour continuer son aventure avec cette céréale.
Connaissant bien le soja, ceux qui louent ces parcelles versent parfois dans la surenchère, comptant aussi tirer profit de cette filière en plein essor.
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D’où vient le soja ?
Le soja n’est pas indigène au Togo. Il a été introduit dans le pays dans les années 1980 par la Coopération allemande au développement (GIZ) pour fournir un complément alimentaire à base de protéines afin de réduire la malnutrition.Entre 2015 et 2018, 112 tonnes de nouvelles semences ont été distribuées à plus de 200 coopératives, dans le cadre d'un projet géré par le gouvernement togolais avec le soutien du Cadre intégré renforcé (CIR). L'initiative a germé et la production de soja a augmenté de 73 % dans le pays au cours de cette période.
En 2015, le pays produisait moins de 25 000 tonnes de soja. Depuis, la production a été multipliée par cinq pour atteindre plus de 200 000 tonnes en 2021. Cette année, c’est plus de 280.000 tonnes de soja produits. La projection pour l’année prochaine est de 300.000 tonnes, selon le Conseil interprofessionnel de la filière soja.
Premier exportateur de soja bio vers l’Union européenne, le Togo, grâce aux fèves, a atteint les marchés du Pays-Bas, du Vietnam, des Etats-Unis et de l’Inde.
Un secteur en plein essor
En 2020, on comptait au Togo plus de 200 entreprises, avec un chiffre d’affaires d’environ 182 milliards de FCFA par an, selon Tamandja du Conseil interprofessionnel de la filière soja (CIFS) au Togo.Pour la prochaine campagne, les acteurs s’engagent à transformer 80% du soja conventionnel, 20% seront exportés. Quant au bio dont la grande quantité est tournée vers l’extérieur, 60% seront exportés vers l’Europe pour maintenir la place de leader du Togo, les 40% seront destinés à la transformation locale, selon les prévisions du CIFS.
Lors du Conseil des ministres le 26 octobre dernier, le gouvernement togolais a mis un accent particulier sur les mesures visant à renforcer la traçabilité et la facilitation de l’accès à la certification du soja biologique et de ses produits dérivés.
« La filière soja est l’une des filières porteuses identifiées dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route gouvernementale, compte tenu de son potentiel pour le développement de l’agro-industrie », lit-on dans le communiqué sanctionnant ce Conseil des ministres.
Cependant, il faudra aussi compter avec le climat pour sauvegarder cette place leader sur le marché international.
« C'est un problème qui revient de plus en plus souvent lors des réunions interprofessionnelles et qui a été identifié par des études agronomiques. Tout le monde parle d'irrigation et de la nécessité de faciliter l'accès à l'eau », reconnaît Tchepan.