Alors qu’une famille avait reçu un lopin de terre du site du complexe sportif en compensation de l’expropriation dont elle a été victime, le ministre a effacé la mesure. Mais la justice l’a désavoué en remettant le terrain aux victimes.
Les ayants-droit de la succession de Ateba Ambassa sont aux anges. Ils peuvent maintenant jouir paisiblement d’un terrain d’une superficie de 10 hectares se trouvant dans le site abritant le complexe sportif et immobilier d’Olembe à Yaoundé. Pour cause : ils ont remporté la bataille judiciaire qui les opposait depuis deux ans à l’Etat du Cameroun sur une partie du site.
En effet, alors que la vaste étendue de terre évoquée avait été attribuée par le ministre Henri Eyebe Ayissi à leur défunt parent, ancien homme d’affaires jadis basé à Bastos, quartier huppé de Yaoundé, le chef du département en charge des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières est revenu sur sa décision quelques mois plus tard en arguant d’une «indisponibilité» de ladite parcelle de terre. Mais, saisi par la succession, le Tribunal administratif du Centre a sanctionné le rétropédalage du ministre en procédant à l’annulation de son arrêté pour «violation d’un droit acquis». Cette sentence a été prononcée le 5 juillet 2022.
A travers leur recours introduit devant la justice, les Ateba Ambassa expliquent qu’ils possédaient un vaste domaine immobilier au quartier Olembe. Mais, en compagnie d’autres personnes, ils en avaient été dépossédés à la suite d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité. Le gouvernement avait affecté la gestion des terrains expropriés à différentes administrations en vue de la réalisation de projets d’envergure.
Logements sociaux
Ainsi, le ministère des Sports avait reçu un bout du site allégué pour la construction d’un complexe multisport dont le fameux stade olympique Paul Biya. Le ministère du Développement urbain et de l’Habitat de son côté reçut un autre bout pour la construction de 10 mille logements sociaux. Le ministère des Domaines était chargé d’y constituer une «réserve foncière».
Il se trouve que, conformément aux dispositions de l’article 7 du décret du 6 juillet 1974 encadrant la procédure d’expropriation, «l’expropriation ouvre droit à l’indemnisation [en argent]…Toutefois, l’autorité bénéficiaire de l’expropriation peut substituer à l’indemnisation [en argent] des terrains en compensation de valeur de même nature».
S’agissant de l’expropriation menée à Olembe, certains terrains récupérés par l’Etat n’ont pas été touchés pendant la réalisation des travaux mentionnés. De plus, toutes les victimes de l’opération n’avaient pas perçu des indemnisations en espèce. Pour ces cas, le gouvernement avait décidé de substituer l’indemnisation par l’octroi des terrains en compensation. Les terrains attribués en compensation ont concerné les lopins de terre non utilisés par les travaux déjà évoqués. Les plaignants affirment que c’est de cette façon que leur défunt parent a reçu le terrain litigieux.
Sécurité juridique
Précisément, indiquent les plaignants, le ministre des Domaines, sur instruction du Premier ministre, avait signé un arrêté le 24 mars 2020 portant «attribution de 10 hectares à Olembe à Ateba Ambassa au titre de compensation». Cet arrêté avait été suivi, ajoutent-ils, de l’établissement au profit de leur parent du titre foncier N°05178/Mfoundi. Mais à leur grande surprise, treize mois plus tard, le 17 février 2021, le ministre des Domaines était revenu sur sa décision en rapportant son arrêté, le titre foncier et tous ses morcellements motif pris d’une «indisponibilité» du terrain au centre du procès. En fait, le site querellé avait été «réattribué» au ministre du Développement urbain.
Pour les Ateba Ambassa, la volte-face du ministre des Domaines s’est faite en marge des textes en vigueur. Pendant son intervention, leur avocate a enfoncé le clou en estimant que le ministre Eyebe Ayissi «a procédé à une nouvelle expropriation» de ses clients, ceci sans leur verser la moindre indemnisation. Or, l’indemnisation des victimes est une mesure préalable à l’expropriation.
De plus, enseigne l’avocate, lorsqu’une autorité administrative signe un acte, elle dispose d’un délai de 60 jours pour le retirer, le modifier ou le rapporter, passé ce délai, l’auteur de l’acte est forclos. Les usagers visés par l’acte disposent du même délai pour l’attaquer. Et si ce texte octroie des droits, ces droits sont acquis par les bénéficiaires de l’acte après ce délai. Elle a conclu en parlant de sécurité juridique en priant le tribunal de rétablir ses clients dans leurs droits, car l’acte querellé est intervenu 11 mois après le délai requis, alors que «le droit de propriété [de Ateba Ambassa] était acquis», insiste l’avocate.
Le procureur lui a fait chorus en renchérissant que le ministre des Domaines aurait dû agir en respectant lui-même les délais pour permettre aux plaignants de faire valoir leurs droits en attaquant son arrêté ou pas devant les instances compétentes. Mais il s’y est pris trop tard, car «il y a eu consolidation des droits des bénéficiaires puisqu’il y a eu forclusion sur le délai du recours contentieux». Ces arguments ont suffi au tribunal pour effacer l’arrêté du ministre Eyebe Ayissi dont le service juridique de son administration n’a versé aucune écriture dans le procès pour voler à son secours.