Lejeune Mbella Mbella dresse le bilan de la 27e session Conférence de l’UA tenue à Kigali, au Rwanda.
Quelle appréciation faites-vous des dernières assises de la conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine à Kigali au Rwanda?
Mes premiers sentiments sont ceux de satisfaction suite à la parfaite organisation des travaux par le Gouvernement rwandais que j’ai eu l’occasion de féliciter au nom du chef de l’Etat S.E. Paul BIYA. Les autorités rwandaises ont offert toutes les commodités qui ont permis aux travaux de se tenir sans incidents, dans une ville de Kigali rayonnante de propreté, qui a impressionné l’ensemble des délégations, et dont la modernisation en cours a donné lieu à un concert d’éloges à l’endroit du peuple rwandais, qui semble avoir résolument tourné le dos aux évènements tragiques d’il y a 20 ans, pour se concentrer sur l’essentiel, le développement du pays. S’agissant des travaux proprement dits, il convient de féliciter la présidence tchadienne (en exercice de l’Union) qui a mis un point d’honneur à faire respecter la décision prise en juin 2015, sur la rationalisation des assises de la Conférence, afin qu’elle examine uniquement des sujets d’ordre stratégique. Ceci a été le cas à Kigali après que le président en exercice ait demandé et obtenu de la Commission de l’UA, l’allègement de l’ordre du jour initial des travaux pour permettre aux chefs d’Etat et de gouvernement de se concentrer sur des questions névralgiques pour le continent. Je voudrais me féliciter à cet effet, des débats francs et intenses, dont certains ont dé- bouché sur des décisions historiques pour notre Organisation, même s’il convient d’admettre toutefois que tous les objectifs n’ont pas été atteints au cours de ces assises.
Le Sommet n’a pas pu procéder au renouvellement de l’Exécutif de la Commission, peut-on parler d’un échec ?
Je ne parlerai pas d’échec pour le continent mais d’un simple report tel que les textes le prévoient, même si l’idéal aurait été la mise en place rapide et effective d’un nouvel Exécutif pour la Commission, afin d’éviter une prorogation de la période évidente de latence d’activités liée au prolongement de la période pré-électorale ou à l’ambiance de fin de mandat pour certains responsables de cet Organe. Le scénario auquel nous avons abouti n’est pas celui qui était souhaité, particulièrement dans un contexte qui interpelle l’Afrique à se doter le plus vite possible de tous les moyens, y compris humains, pour mettre en œuvre efficacement l’Agenda 2063, qui impose d’exploiter positivement chaque minute de sa période d’implémentation pour garantir son succès.
Malheureusement, en l’absence d’une position consensuelle, aucune des trois candidatures en lice proposées respectivement par les régions Australe, Centrale et Orientale du continent n’a pu se détacher pour obtenir le minimum de voix requis pour être élu, à savoir les 2/3 des votes (soit 36 sur les 54 Etats électeurs). Au terme du 7e tour de scrutin resté sans issue, qui a vu la candidature botswanaise solliciter toute seule les suffrages conformément à la règlementation qui prévoit que le candidat le mieux placé concourt seul à l’étape ultime des scrutins pour se donner la chance de recueillir le quota de vote requis, il ne restait plus qu’à reporter cette élection en janvier prochain, avec la réouverture des listes de candidatures. Ce report s’étend au vote des Commissaires qui ne peuvent être désignés avant le Président de la Commission. Ceci permettra à l’Afrique de l’Ouest, qui a été au cœur de cette « situation de blocage » conformément à sa requête rendue officielle plusieurs Semaines plutôt de reporter ce vote, d’entrer dans la course à la Présidence avec la candidature du sénégalais Abdoulaye Bathily qui, admettons le, n’était plus un secret et a été quasiment rendue officielle en marge de ce Sommet.
Suite à cette décision de report, comment peut-on entrevoir la prochaine élection de janvier 2017 ?
A l’évidence, il sera très disputé dans la mesure où la réouverture des listes de candidatures introduira de nouveaux prétendants sans obligatoirement exclure ceux enregistrés au cours de la session de juillet 2016, particulièrement pour la présidence de cet Organe qui nourrit de nombreux appétits et prétentions légitimes de différentes sous-régions. Il est donc évident pour que l’on s’en sorte, que les Etats membres devront travailler à la recherche d’un candidat de consensus pour éviter qu’à la suite de l’Afrique de l’Ouest qui a eu recours à l’argument de l’abstention massive et du « tiers bloquant » pour empêcher qu’un candidat n’obtienne le nombre de vote requis pour accéder à la tête de la Commission, qu’on se retrouve dans une situation de recours à la même arme par un autre groupe régional ou coalition de groupes régionaux pour paralyser le vote en janvier prochain. Par conséquent, il y va de l’intérêt de tous de privilégier le dialogue, la négociation pour obtenir le consensus et renforcer l’unité du continent au détriment des divisions, si l’on veut sortir du scénario électoral de Kigali. Déjà, il faudrait se féliciter des recommandations faites par la Confé- rence à la suite du blocage de Kigali, instruisant de revoir les textes régissant les élections au sein de la Commission, dans l’optique d’éviter une multiplication des situations de paralysie du vote, le cas de juillet 2016 à Kigali, rappelant le souvenir identique de janvier 2012, qui a justifié le report et l’élection six mois plus tard de la présidente sortante actuelle.
De nombreuses autres questions majeures examinées au cours de cette session ont donné lieu à des décisions importantes pour l’Union…
Oui, les Etats membres ont discuté de nombreuses autres questions importantes qui ont donné lieu à des résolutions déterminantes pour notre avenir commun. C’est le cas du financement du budget de l’Union, dont la dépendance actuelle vis-à-vis des contributions des partenaires non africains est décriée par tous depuis longtemps, sans qu’une dé- cision véritable ne soit prise jusque-là pour une réappropriation effective de ce budget par les Etats membres, et une sortie de cette dépendance qui au final, avait donné aux partenaires extérieurs le dernier mot sur l’Institution, sur la base du principe « qui finance décide ».
Le débat relativement ancien sur la recherche à l’intérieur du continent, des financements alternatifs pour l’Organisation semble enfin connaître une évolution avec la décision prise par les chefs d’Etat, d’introduire un nouveau système de contribution statutaire qui mettra un terme au précédent, avec la méthode de prélèvement de 0,2% des taxes d’importation annuelles de chacun des Etats membres, pour renforcer le financement de l’Organisation. D’après l’ancien Président de la BAD, Dr Donald Kaberuka, Chef de l’équipe d’experts qui a proposé cette solution, l’UA pourrait s’en tirer avec un peu plus d’un milliard de dollar par an, soit près du triple de son budget actuel qui est d’environ 420 millions de dollars, lorsqu’on exclut de budget de l’AMISOM qui le place à près de 750 millions de dollars. Je voudrais rappeler, qu’une telle décision forte, qui permettrait à l’Afrique d’atteindre les objectifs qu’elle s’est assignée à l’horizon 2020 de supporter à 100% le fonctionnement de l’Institution et à 75% les charges des programmes, a sans doute été motivée par les statistiques du projet de budget 2017 qui situait encore une fois à près de 76% du budget total, les financements attendus des partenaires, les Etats membres devant contribuer seulement à hauteur de 24% de cette enveloppe. Le Cameroun qui a pris part au débat en appuyant le consensus total observé autour de cette proposition de prélèvement des taxes d’importation, a néanmoins pris soin comme beaucoup d’autres Etats membres, d’appeler à l’amélioration de la Gouvernance au niveau de la Commission par une rationalisation des dépenses et des structures de l’Union, dont la prolifé- ration constante est loin de garantir leur efficacité ou leur plus value dans les performances de l’Union. Il ne reste plus qu’aux Etats membres de rendre opérationnelle cette décision importante, s’ils veulent reprendre en main le destin de l’Organisation et lui assurer un avenir radieux. Le cap a été fixé pour l’opérationnalisation de cette mesure dès 2017. Les Etats membres sont invités à prendre les mesures juridiques et législatives qui légitimeraient ces prélèvements.
Qu’en est-il des autres sujets débattus au cours de ces assises ?
Permettez-moi d’évoquer trois d’entre eux. Sur la question de la promotion de l’Etat de droit sur le continent, les Chefs d’Etat, à la suite du Conseil Exécutif, procédant à l’évaluation du procès Hissène HABRE, ont entériné la proposition de mise en place d’un Fonds de compensation pour les victimes, évalué à plus de 40 millions de dollars par un juge tchadien. En adoptant cette décision, l’UA veut aller au-delà de la symbolique et du message fort de lutte contre l’impunité résultant du déroulement de ce procès, pour montrer sa détermination à réparer totalement les torts subis par les victimes de l’ex-président tchadien.
Dans le domaine de l’intégration continentale, les chefs d’Etat ont appelé à l’accélération et à l’encadrement plus prononcé du projet de Zone de Libre Echange Continentale (ZLEC), dont l’aboutissement diligent a été reconnu nécessaire, pour le développement des échanges commerciaux internes au continent, la préservation et le développement de notre espace économique continentale face à la menace de razzia que représentent des productions des industries non africaines qui se profilent à l’horizon, notamment dans le cadre des projets d’Accord de partenariat économique. Les chefs d’Etat ont ainsi instruit l’adoption d’une feuille de route en vue de l’élaboration et de la mise en œuvre d’ici janvier 2018, d’un protocole sur la libre circulation des personnes en Afrique qui devrait entrer immédiatement en vigueur dans les Etats membres.
On peut également retenir la remise solennelle des premiers exemplaires du passeport africain aux présidents Paul Kagame du Rwanda, hôte du sommet et Idriss Deby Itno du Tchad, président en exercice de l’Union. Il s’agit d’un message fort envoyé par l’UA à travers ce document, l’idée d’un même passeport commun pour les Africains étant au plan symbolique, une façon de se défaire des frontières héritées de la colonisation et de renouer avec l’idéal cher aux pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine. De manière plus concrète et opérationnelle, le projet de passeport africain, au-delà de la facilitation souhaitée de la circulation des personnes, pourrait aider à abolir les frontières commerciales intérieures, mettant ainsi en place une sorte d’espace Schengen à l’africaine, qui aiderait à développer le commerce transfrontalier pour en faire un facteur de croissance pour le continent. J’admets néanmoins qu’au stade actuel de ce projet, il pèse encore des doutes sur la plus value qu’introduira ce document en termes d’obtention automatique des visas d’entrée dans tous les territoires du continent.
Beaucoup de pays soutiennent que les menaces sécuritaires diverses qui affectent l’Afrique pourraient facilement s’exporter d’un pays à l’autre avec la vulgarisation rapide de ce passeport, y compris la menace terroriste. Cet argument touche également au domaine de la sécurité sanitaire à la lumière de la récente crise d’Ebola, ce qui amène à comprendre que la question de la gestion des épidémies sur le continent est également posée par rapport à la vulgarisation de ce passeport africain. Enfin, je ne saurai taire l’une des bonnes nouvelles pour le Cameroun au cours de ce Sommet, à savoir la désignation de notre compatriote, Mme Mengue Ntyam Ondo Suzanne, conseiller à la Cour Suprême au poste de juge à la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui siège à Arusha en Tanzanie. Il s’agit-là d’une nouvelle marque de confiance des peuples frères du continent à l’égard de notre pays, particulièrement au moment où l’Afrique entend faire de cette Institution, un instrument phare de la lutte contre l’impunité. Il nous reste tout simplement à lui souhaiter plein succès durant tout son mandat de six ans, et espérer qu’elle relèvera à la suite de plusieurs autres de nos compatriotes en service dans la fonction publique internationale, l’image de marque de notre pays.