Avant que l'armée ne détruise son village et ne tue ses trois frères, Abang était fermier et électricien. Aujourd'hui, il est l'un des centaines d'hommes anglophones qui se battent avec des fusils de chasse et des amulettes magiques contre l'armée camerounaise pour l'indépendance d'un pays qu'ils appellent « Ambazonia ».
La minorité anglophone du Cameroun demande une autonomie depuis que les anciens territoires détenus par les Britanniques et les Français ont été fédérés en une seule nation d'Afrique centrale en 1961. Ces demandes sont devenues de plus en plus véhémentes depuis les années 1980.
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En octobre 2017, les manifestations pacifiques - appelant à l'utilisation de l'anglais dans les tribunaux et les classes - se sont aggravées lorsque les forces de sécurité ont tué des dizaines de manifestants et emprisonné des centaines d'autres. Cette violence a mené à la naissance de plusieurs groupes armés séparatistes qui ont depuis lors tué et enlevé de nombreux fonctionnaires dans la région du Nord-Ouest et la région du Sud-Ouest, les deux régions majoritairement anglophones. Le groupe d'Abang, les Forces de défense d'Ambazonia, ou ADF, est le plus important.
Plus de 180 000 personnes ont été déplacées par les opérations anti-insurrectionnelles des forces de sécurité camerounaises, qui ont tué des civils et incendié des villages. La plupart des combattants interrogés ont rejoint la milice après avoir été contraints de fuir leurs maisons.
Dans un rapport récemment publié, Amnesty International affirme que les séparatistes ont tué au moins 44 membres des forces de sécurité et attaqué 42 écoles depuis février 2017. Certaines attaques contre des écoles ont été attribuées aux Forces de défense d'Ambazonia par la population locale, mais Amnesty n'a pas pu établir ce lien et un porte-parole de l'ADF a nié l'implication du groupe.
Amnesty International a également fait état d'allégations selon lesquelles plus de 30 personnes ont été arbitrairement tuées par les forces de sécurité, y compris une attaque très médiatisée contre le village de Dadi en décembre 2017, au cours de laquelle au moins 23 personnes, y compris des mineurs, ont été arrêtées, puis torturées.
Le gouvernement a nié les allégations de violations systématiques des droits de l'homme par ses forces de sécurité. Il se dit ouvert au dialogue, mais insiste sur le fait que l'unité du Cameroun est " non négociable ".
Abang, la trentaine, est grand de taille et se penche légèrement en avant lorsqu'il s'assied. Sa gentillesse et son sourire ne disparaissent que lorsqu'il parle de « l'injustice » qui l'a poussé à prendre les armes. Puis, ses yeux s'assombrissent et il gesticule avec colère pendant qu'il parle. Il porte un T-shirt noir - le seul haut qu'il possède, dit-il.
Abang vit dans un camp qui comprend quelques bâtiments faits de boue, d'une cour (que les combattants appellent la place des parades) et d'un couple de poteaux de bambou sur lesquels on accroche occasionnellement des drapeaux. Il y a 50 autres combattants dans le camp.
« Même s'ils me tuent, il n'y a pas de problème », explique Abang. « Je suis prêt à sacrifier ma vie. »
Selon le chef des Forces de défense d'Ambazonia, Cho Ayaba, son groupe compte 1 500 soldats actifs répartis dans plus de 20 camps à travers le Cameroun anglophone.
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Au cours d'une semaine, IRIN a rencontré des combattants de plusieurs camps et a vu une centaine de combattants au total. L'ADF semble être le principal groupe armé opérant au Cameroun anglophone. Leur équipement est médiocre - ils portent des tongs plutôt que des bottes de combat.
Autour de son cou, Abang porte ce qu'il appelle, avec un sourire, un « fusil de singe ». C'est un fusil de chasse fabriqué au Nigeria.
Abang porte une demi-douzaine de cartouches de chasse rouges insérées dans une ceinture autour de sa taille. Il ne peut pas se permettre plus que ça. Aucun des hommes de l'ADF dans le camp d'Abang n'a de fusils d'assaut ; toute l'armée rebelle semble en avoir à peine une douzaine.
Ce n'est pas à la hauteur des armes d'assaut portées par les soldats de l'armée camerounaise. Ils ont été formés et équipés par la France et les États-Unis pour leur lutte contre le groupe extrémiste islamiste Boko Haram. Leurs canons tirent des centaines de balles à chaque minute.
La vie au quotidien est difficile dans le camp, dit Abang. Il y a à peine assez d'espace pour dormir côte à côte sur le sol des cabanes prêtées par le village voisin. Il n'y a pas assez de nourriture, et l'eau de la rivière qu'ils boivent est impropre à la consommation.
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Abang indique n’avoir nulle part où aller. L'armée a détruit son village, ce qui a obligé toute sa famille s'enfuir dans la brousse, où, selon lui, ils se cachent encore. L'armée a ensuite installé un campement dans son village, et maintenant il dit qu'il ne peut même pas retourner s'occuper de ses cacaoyers. Après avoir fui l'attaque, il a erré dans la région, passant quelque temps dans un camp de réfugiés au Nigeria. Il n'a pas vu sa femme et ses enfants depuis longtemps.
Presque tous les soldats de l'ADF ont une histoire comme celle d'Abang. Et la ligne séparant ces soldats des réfugiés est très mince ; leurs parcours sont à peu près les mêmes : de fermier à rebelles.