Les ministres de la Défense des deux pays ont renouvelé le 12 avril dernier un accord de coopération militaire qui fait parler.
Le 02 mars dernier, c'était un coup de tonnerre à New-York. Le Cameroun était un de ces 12 pays qui n'ont pas participé au vote de la résolution de l'ONU. Celle-ci a exigé "que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force en Ukraine". Il n'était pas avec les 141 pays dont les États-Unis et la France qui ont voté pour, ni avec les cinq donc la Russie qui étaient contre, ni même avec les 35 menés par la Chine qui se sont abstenus. Il n'était pas là. L'avenir du monde libre se jouait disait-on mais, sans lui. Le fait n'a pas manqué d'étonner bien des observateurs mais, l'affaire s'est dissipée dans le chaos de la guerre qui bat son plein.
Le 19 avril, une main a glissé (opportunément ?) dans les réseaux sociaux, un document officiel annonçant la signature d'un Accord de coopération militaire entre la République du Cameroun et la Fédération de Russie. La cérémonie de signature avait pourtant eu a eu lieu le 12 avril sans que cela soit su du public camerounais. L'affaire était donc jusque-là passée sous les radars de l’opinion. L'un dans l'autre les deux événements ont tôt fait d'être liés par d'autres mains et d'être interprétés par les adeptes de scénarios tortueux.
D'aucuns ont avancé que le Cameroun, manifestait par cet accord son alliance avec la Russie et l'arrivée imminente de la société militaire russe Wagner. La véhémence de leurs commentaires tranchés a incité la presse à s'en saisir pour traiter le nouveau phénomène. Chacun y est allé de son analyse. "C'est le timing de la signature qui semble être le problème si on en croit la presse", remarque un observateur. " Ce n'est pas fortuit et toute nouveauté est signe de progrès", se réjouit Abdoulaye D. militant du Rdpc, fervent supporter dudit Accord.
D'après un militaire à la retraite encore en réserve de parole publique, "il faut savoir que la signature d'un accord qu'il soit commercial, culturel ou de défense, est l'aboutissement d'un long processus. Il peut avoir duré plusieurs mois. Mais, elle peut coïncider avec un événement qui suscite des interprétations diverses. Notamment le cas de la signature de l'Accord de défense entre le Cameroun et la Fédération de Russie. Je crois qu'elle suscite beaucoup d'interrogations parce que des pays du tiers monde dont beaucoup d’États africains, lors de la guerre froide étaient appelés à faire un choix entre l'occident et le bloc dit de l'est.
Ce qui a imposé ce mouvement bipolaire c'est l'économie. Beaucoup de ces pays pour éviter l’onde de choc de l’effondrement de l'économie de l'Union soviétique étaient enclins à soutenir le capitalisme prôné par l'occident ", présente-t-il. Avant d'ajouter : " La signature de cet Accord s'inscrit dans une mutation dans la sécurité internationale instaurée au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Le monde a alors été divisé en deux grands blocs. Pour sauver les apparences, il s'est néanmoins réuni au sein de l’Onu. Mais, celle-ci est dirigée par les vainqueurs avec des apparences d'une organisation démocratique. Mais, ce n'est qu'une façade parce que dans cette organisation, il existe un droit de veto pour les cinq pays réputés militairement les plus forts.
Or, la démocratie c'est la loi de la majorité. Ces cinq pays ne représentent pas le quart de la population mondiale. Les autres n'ont presque rien à dire. Mais, depuis un moment, les pays non alignés s'affirment et font des choix. Ils semblent indépendants dans leurs choix, comme libérés de ceux qui les ont cooptés dans l'ONU. Des choix qui répondent à leurs exigences sécuritaires.
Et de préciser : "Un pays élabore des accords de défense en tenant compte de deux considérations : les menaces auxquelles il est confronté et ses besoins. Et les carences et manquements des partenariats déjà acquis qui ne lui apportent pas de solutions, il peut se tourner vers d'autres partenariats pour combler ces insuffisances. Seulement, le nouvel Accord ne manque pas de curiosité. Il veut coopérer au sein de l'ONU, ça veut dire que la Russie malgré les condamnations de la guerre en Ukraine continue à reconnaître la puissance des instances internationales dirigées par les Nations unies. Mais, ce qui est particulier c'est que les pays dont la politique étrangère était en réalité dirigée à partir de Paris, commencent à signer des partenariats sans consulter une quelconque personne ou même de passer outre l'accord de cette personne. ", se réjouit-il. Calculateur et stratège, il affirme que pour les crises actuelles du Cameroun, la solution ne se retrouve pas dans les anciens partenariats qu'il a engrangés au fil des années.
"La coopération avec les capitalistes surtout en matière de matériels militaires a beaucoup de contraintes. Il faut des autorisations de transfert de matériel, la destination des armes, la garantie qu'elles ne vont pas servir à s'attaquer à des populations civiles... Or, la Russie est un pays qui ne s'occupe pas de la politique intérieure de ses partenaires et donc n'a pas ces exigences. Elle s'occupe de ses affaires. « Le Cameroun en réalité a de nombreux défis sécuritaires ces dernières années. Notre interlocuteur énumère : le voisinage avec la Rca qui est victime de sa richesse. Celle-ci est disputée par plusieurs groupes rebelles qui souvent débordent de leur territoire pour se retrouver au Cameroun. Il y'a aussi Boko Haram au nord est du Nigeria qui ne connaît pas les frontières et se retrouve aussi chez nous, il y a aussi les crises internes dans les régions du Nord ouest et Sud ouest, il y a aussi les problèmes récurrents entre les peuples de la plaine du Logone et de nombreuses autres tensions inter ethniques ou tribales »
La plus grande difficulté observée sur le terrain par les camarades et anciens collègues c'est l'utilisation par Boko Haram et dans le Noso des engins explosifs improvisés. La solution c'est des véhicules blindés de haute gamme, la formation pointue des militaires, la reconnaissance des itinéraires, la reconnaissance aérienne... Et depuis 2014, la Russie a soutenu le Cameroun en terme de matériel dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. On peut donc dire que la signature de cet accord est l'aboutissement d'un processus et que le Cameroun face à son histoire, doit faire des choix, celui de plaire aux autres ou de résoudre ses problèmes. J'ose croire et le président de la République l'a dit au lendemain de la visite du président Hu Jintao (Chine) au Cameroun, il y a tellement à faire, tout le monde aura un rôle à jouer. Tant, le partenariat du Cameroun avec la Chine était considéré comme un affront fait à la France. Reconnaissons aussi que les Usa et la France n'ont pas rompu leurs relations avec la Russie. Certes il y'a une crise, ce n'est pas une posture pour convenir à l'un ou à l'autre qui va rompre leurs relations.
Le Cameroun avait trois choix : être non-alignés c'est à dire quelqu'un qui va au gré du vent, soit soutenir aveuglement les occidentaux pour protéger son économie et les aider à diriger le monde ou bien soutenir les pays émergents. La Russie est à la tête de cette catégorie qui ne veulent plus se voir imposer un nouvel ordre mondial. A bien regarder, ce n'est pas un accord de défense pour aller soutenir la Russie, c'est un partage d'expériences, c'est de la formation, c'est un partage de points de vue..., les termes sont bien ciblés, il doit être interprété comme tel.
L'opinion s'agite beaucoup parce que le Cameroun est perçu comme un "département" de la France, et que les relations tendues entre la France et la Russie aujourd'hui devraient contraindre le Cameroun à la réserve. Le président de la République est à un âge et a une expérience du pouvoir qui font qu'il ne peut plus faire le choix de plaire à un tiers si ce n'est à son peuple. Je crois que ceux qui l'ont conseillé sur le plan militaire sont pris à la gorge, sur le plan de l'acquisition des moyens de haute performance pour faire face aux défis actuels, il y a d'énormes contraintes. Il ne suffit pas d'avoir de l'argent il faut y satisfaire. La facture de sécurité a explosé ces dernières années elle est cinq fois plus chère.
Mais encore, il ne faut pas interpréter cela comme la solution à la crise sécuritaire actuelle. Parce que la maîtrise d'une situation est un préalable pour la phase suivante, qui peut être le développement, la négociation, la cohésion sociale... " Coopération militaire D'après notre interlocuteur, la coopération militaire à venir peut apporter d'agréables surprises. Il se remémore ainsi des apports de la coopération française qui a fait naître des unités d'élites de l'armée camerounaise comme le Bataillon des troupes aéroportées, le Bataillon spécial amphibie, le Bataillon d'infanterie de marine. La coopération israélienne pour sa part a formé et encadré des unités comme la Garde présidentielle, le Bataillon d'intervention rapide et fait naître des sociétés militaires privées qui vendent leurs services au Cameroun aujourd'hui.
On peut ainsi voir naître des unités spéciales avec une expérience russe et des équipements russes de haute performance on peut aussi voir des sociétés militaires russes. Ces sociétés ne sont pas forcément des mercenaires. Elles sont des facilitateurs dans l'achat du matériel, dans le traitement de l'information stratégique, la formation antiterroriste..., cela dans une culture militaire qui diffère de celle des occidentaux. Si ces derniers insistent sur la minutie, la précision chirurgicale, aller au plus petit détail. Pour les russes c'est plutôt, de régler un problème en acceptant de faire des pertes peu importe leurs nombres. De plus, les russes sont moins frileux à l'opinion publique que les occidentaux pour qui la perception de leurs actes comptent beaucoup dans leurs prises de décisions.
Il y a de ce fait, une extension de la zone d'influence de la Russie à travers des sociétés militaires privées dans des pays d'Afrique. Il reste à savoir si cette extension ôte véritablement à d'autres leur influence. L'Afrique étant reconnue comme une terre d'avenir aux innombrables ressources naturelles inexploitées, à la population jeune et à d'autres atouts. De nouveaux acteurs s'y intéressent. Le Cameroun a fait le choix de cet accord que beaucoup considèrent comme un alignement à la Russie mais, le Cameroun n'est pas un allié de la Russie comme l'est l'Algérie. Cette dernière pour autant, n'est pas en conflit avec l'Ukraine ni avec les occidentaux.