Actualités of Friday, 25 August 2023

Source: www.bbc.com

Coopération : la Russie peut-elle être une réponse aux manquements de l'Occident en Afrique ?

La Russie peut-elle être une réponse aux manquements de l'Occident en Afrique ? La Russie peut-elle être une réponse aux manquements de l'Occident en Afrique ?

Le sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a marqué, selon les experts, le "grand retour" de la Russie sur le continent africain.

Une quarantaine de dirigeants africains étaient alors reçus par Vladimir Poutine pour un rendez-vous présenté comme une réplique aux sommets organisés par la France ou la Chine avec leurs partenaires africains.

Une histoire ancienne

L'Afrique et la Russie sont liées par un long passé commun. L'étude des relations historiques et diplomatiques entre la Russie et l'Afrique permet de mieux comprendre la nature et les nouvelles caractéristiques du réengagement de la Russie sur le continent africain.

En effet, les relations entre Moscou et le continent africain remontent au Moyen Âge, selon Dr Arkhangelskaya Alexandra, chercheure au Center for Southern African Studies, "lorsque pèlerins russes orthodoxes et chrétiens d'Afrique (essentiellement des Égyptiens et des Éthiopiens) se rencontrent en Terre sainte, tandis que les musulmans russes et africains se côtoient sur les sites sacrés de l'islam".

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Les contacts de la Russie avec l'Afrique subsaharienne se poursuivent après la révolution de 1917, sur une échelle plus restreinte au départ, à travers l'Internationale communiste et les Africains venus suivre une formation politique dans l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

Par la suite, l'URSS appuie le Congrès national africain (ANC) et le Parti communiste sud-africain (SACP) en Afrique du Sud, le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et l'Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU).

Lutte pour les indépendances

En 1960, à l'initiative de l'Union soviétique, l'assemblée générale des Nations unies adopte la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colonisés, malgré l'opposition de certains grands États occidentaux.

Au milieu des années 1980, l'Union soviétique signe des centaines d'accords avec les pays africains. Environ 25 000 Africains sont formés dans les universités et les collèges techniques soviétiques, dans de multiples domaines, et des milliers sortent des académies militaires et politiques de l'URSS.

Le regain d'intérêt de Moscou pour l'Afrique remonte donc à des dizaines d'années, mais le tournant date de l'année 2014. À l'époque, les Russes annexent la Crimée, et l'Occident répond par des sanctions économiques. La Russie doit donc trouver de nouveaux débouchés pour relancer sa croissance, déjà ralentie depuis 2008.

L'offensive russe vers l'Afrique, pourquoi le continent intéresse la Russie

Des acteurs extérieurs actifs en Afrique, la Russie est sans doute celui qui a le plus accru son influence ces dernières années sur le continent.

Pour le politologue Tawa Netton Prince, l'Afrique a toujours été un continent convoité sur le plan géopolitique, car les Etats occidentaux sont à la recherche de puissance et de positionnement. La Russie, n'ayant pas un passé colonisateur, "n'a jamais accepté que l'Afrique soit considérée comme une chasse gardée pour les Occidentaux", selon Tawa Netton.

En outre, le Dr Joseph Siegle, qui dirige le programme de recherche du Centre d'études stratégiques de l'Afrique, estime que "le dernier sommet Russie-Afrique (Saint-Pétersbourg, juillet 2023) a mis en relief l'importance grandissante de l'Afrique pour la politique étrangère russe".

L'Afrique demeure en effet le continent le plus accueillant de l'engagement russe. C'est aussi la région la moins propice à critiquer Moscou pour sa prise de territoire en Ukraine. "Si les liens économiques entre la Russie et l'Afrique sont modestes, le continent dote la Russie d'une scène globale depuis laquelle la Russie peut se vanter d'une posture géostratégique plus importante qu'elle n'y parait", ajoute Dr Joseph Siegle. La Russie voudrait également démontrer, selon lui, qu'elle "n'est pas un paria, mais qu'elle bénéficie du soutien implicite des chefs d'État africains malgré ces violations du droit international".

L'Afrique : un nouveau marché

Sur le plan économique, Moscou veut diversifier ses marchés à l'international, notamment en Afrique. La Russie cherche à échapper à l'isolement international consécutif à son invasion de l'Ukraine. L'expansion des engagements économiques de la Russie en Afrique revêt une importance accrue principalement dans les secteurs de matières premières comme l'agriculture et les hydrocarbures.

L'Afrique dépend de la Russie pour 30 % de ses approvisionnements en céréales.

La quasi-totalité des exportations russes est constituée de blé ; 80 % de ces exportations de blé sont destinées à l'Afrique du Nord (Algérie, Égypte, Libye, Maroc et Tunisie), ainsi qu'au Nigeria, à l'Éthiopie, au Soudan et à l'Afrique du Sud. Selon les spécialistes, l'Afrique dépend actuellement des importations pour 63 % de ses besoins en blé, un pourcentage qui devrait augmenter avec la croissance démographique du continent.

La Russie est également le premier vendeur d'armes à l'Afrique ; elle contrôle la moitié du marché. Si des armes russes sont vendues à 14 pays africains, l'Algérie, l'Égypte et l'Angola représentent 94 % de la valeur des ventes d'armes dans la région, estime Dr Joseph Siegle. Il conclut que "les véritables motivations de la Russie pour s'engager en Afrique sont de promouvoir ses intérêts géostratégiques".

Que gagne l'Afrique de ce partenariat ?

Economiquement, l'Afrique gagne très peu de sa coopération avec Moscou. Selon les économistes, la Russie contribue pour moins de 1 % aux investissements directs étrangers (IDE) destinés au continent. Les engagements économiques de la Russie en Afrique sont plutôt fondés sur le commerce. Toutefois, ce commerce est lui aussi modeste, puisqu'il ne représente que 14 milliards de dollars. En guise de comparaisons, Dr Joseph Siegle explique que la valeur du commerce africain avec l'UE, la Chine et les États-Unis est respectivement de 295 milliards, 254 milliards et 65 milliards de dollars.

Les exportations africaines vers la Russie ne représentent que 0,4 % du total de l'Afrique et se composent principalement de produits frais.

Par contre, l'Afrique importe, de la Russie, principalement des céréales, des armes, des matières extractives et de l'énergie nucléaire. Pourtant, plus de 70 % de l'ensemble du commerce russe avec l'Afrique se concentre dans quatre pays seulement : l'Égypte, l'Algérie, le Maroc et l'Afrique du Sud. Il apparait clairement que les échanges sont fortement déséquilibrés en faveur de la Russie.

En outre, lors du sommet de Sotchi en 2019, le président russe Vladimir Poutine s'était engagé à doubler le niveau du commerce russe avec l'Afrique en cinq ans. Malheureusement, il a diminué chaque année depuis 2018, chutant de 30 % au total selon les experts.

Selon l'Institut d'études en sécurité, ces statistiques reflètent en partie "l'absence en Russie d'un système d'importation en franchise de droits comparable à celui de la loi américaine sur la croissance et les perspectives économiques en Afrique"

Une présence qui inquiète l'Occident

Selon Tawa Netton, la Russie adopte "une politique de remplacement" de l'Occident en Afrique et c'est ce qui inquiète.

Joseph Siegle renchérit en disant que l'influence grandissante de la Russie en Afrique, ces dernières années, est en grande partie le résultat de l'usage, par Moscou, "de moyens non-officiels, notamment le déploiement de mercenaires, les campagnes de désinformation, d'accords de ressources contre des armes et du trafic de métaux précieux". Il ajoute que ces outils sont généralement utilisés dans le cadre d'un ensemble de mesures visant à soutenir des acteurs politiques vulnérables.

Au Mali, les campagnes de désinformation russes qui ont débuté en 2019 ont dénigré l'ONU, la France et le président démocratiquement élu, Ibrahim Boubacar Keïta.

La Russie est rapidement devenue le principal soutien du coup d'État militaire qui a suivi en août 2020. Comme dans les autres contextes, le déploiement de mercenaires Wagner s'est accompagné de récits macabres de violations des droits humains.

Le cas de la République centrafricaine

Le président de la Centrafrique, Faustin Archange Touadéra, s'est prononcé en faveur d'une consolidation des relations avec la France, tout en expliquant que son partenariat avec la Russie, marqué par la présence controversée de la milice Wagner dans son pays, était appelé à se poursuivre.

On se rappelle qu'en fin 2020, le président Touadéra, menacé par une offensive rebelle sur Bangui, avait appelé Moscou à la rescousse. Des centaines de mercenaires russes avaient débarqué et permis rapidement de repousser les groupes armés hors de la plupart des territoires qu'ils contrôlaient.

L'implication croissante du groupe Wagner en Centrafrique a conduit la France à retirer ses derniers soldats de Centrafrique, fin 2022.

"Nous ne sommes pas contre la France", a souligné le président Touadéra lors d'une interview accordée à TV5 et l'AFP en début août 2023.

Interrogé sur le partenariat avec la Russie, M. Touadéra a estimé qu'il "n'y a pas de raison que cette relation ne puisse pas se poursuivre".

"La République Centrafricaine est un pays qui cherche à entretenir des bonnes relations avec tous les pays qui souhaitent travailler avec nous, avec tous les pays amis, y compris la France et la Fédération de Russie, parce qu'aujourd'hui, nous menons une diplomatie pour permettre à notre pays de bénéficier de (tous) types de coopération possibles", a-t-il résumé.

L'Afrique peut-elle se passer de l'Occident ?

L'opposition entre les puissances occidentales et la Russie en Afrique est une preuve, selon les experts, que le continent devient un acteur majeur des relations internationales.

Si pour les panafricanistes, "l'Afrique doit prendre son destin en main", le politologue Tawa Netton pense que le continent ne doit pas se défaire de ses liens historiques avec l'Occident. Cette relation doit être "redéfinie". "Dans un contexte de mondialisation, il faut diversifier ses relations sans rompre avec les anciennes", argue-t-il.

Le chercheur Achille Mbembe voit, à travers les récents coups d'Etat en Afrique, "l'expression d'un grand basculement". Selon lui, "l'Afrique est en train de rentrer dans une autre période de son histoire, une période qui sera longue et qui entraînera d'énormes bouleversements".

Il appelle cependant à éviter le "néo-souverainisme", c'est-à-dire une "substitution d'un maître par un autre".

Et récemment à la veille du sommet des Brics, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a indiqué que l'Afrique du Sud, mieux le continent, "ne se laissera pas entraîner dans une compétition entre puissances mondiales".

Et comme le disait le Général de Gaulle, "les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts", à l'Afrique de défendre les siens.