L’adjudant de gendarmerie à la retraite Daptangou Vounsia s’est confié au journal L’œil du Sahel dans une interview…
Le 06 avril 1984, vous êtes gendarme en service à la Garde républicaine (GR), précisément à l’escadron qui était de garde au palais de l’Unité. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’ai exactement été affecté à la Garde républicaine en 1978, un an après mon engagement dans l’armée. J’y étais quand le président Ahmadou Ahidjo a démissionné de ses fonctions de président de la République, et nous nous sommes aussitôt mis au service de son successeur, Paul Biya. Dans la nuit du 06 avril 1984, l’escadron de feu capitaine Abalélé Abaya auquel j’appartenais, devait assurer la garde du palais de l’Unité.
C’est pour cette raison que je me suis retrouvé dans un sous-sol du palais avec des camarades. Là, un écran de contrôle se trouvait à notre disposition, sur lequel nous avons observé un mouvement suspect de militaires sortant du camp de la GR à Obili. Par deux fois, nous avons signalé ce fait à notre chef de garde et il nous a répondu exactement ceci : «taisez-vous, on va voir là où ils vont se diriger».
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Peu après, nous avons entendu une détonation à l’entrée du Palais. C’était un coup de canon. Sortis du sous-sol, nous avons constaté que l’entrée du palais avait été defoncée par des assaillants. Il a fallu se regrouper et aller à la rencontre du feu capitaine Abalélé Abaya.
«Qu’est-ce qui est arrivé», lui a-t-on demandé ? Il a ordonné que nous gardions notre calme, avant de s’en aller, nous abandonnant là. Puis, des gens, je ne sais à ce jour qui ils étaient précisément, ont commencé à tirer sur nous. Deux de mes camarades sont tombés, morts. Il s’agit de mon camarade Evélé, un Mousgoum d’origine, et un Peul dont je ne me souviens plus du nom. Pour ces deux-là, particulièrement, j’étais présent quand ils sont tombés. On nous signalera plus tard le décès d’autres camarades de mon escadron.
Vous racontez là des événements qui se sont déroulés dans la nuit. Que se passe-t-il ensuite au lever du jour ?
Peu avant 13 h le lendemain, les choses ont commencé à mal se passer pour nous. Au cours d’un rassemblement, nos armes qui n’avaient tiré aucun coup de feu, avaient été ramassées. Avant que nous ne soyons embarqués à la Semil. Là, on nous a confirmé l’information selon laquelle un coup d’Etat venait d’être déjoué ; coup d’Etat orchéstré par les capitaines Abali Ibrahim et Abalélé Abaya.
Qu’est-ce qui se passe ensuite pour vous et vos camarades ?
A la Semil, nous avons retrouvé plusieurs autres personnes soupçonnées d’avoir participé à cette triste entreprise. Je me souviens que l’actuel président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, était parmi nous. Il sera par la suite transporté dans un hôpital. Je ne le reverrai plus jusqu’à ma sortie de prison. Après la Semil, nous avons été conduits au lieu-dit : «Centre américanos», actuel QG du GSO. Mon interrogatoire a été très bref.
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On m’a demandé ceci : «Pourquoi tu n’as pas tiré sur Abali?». J’ai répondu qu’il ne revenait pas à un subordonné de faire du mal à son supérieur. Et que c’est le supérieur qui ordonne à son élément d’agir et qui se doit d’obéir. C’est un principe sacré dans l’armée.
J’ai aussi répondu que sans un ordre du supérieur, quelqu’un ne doit tirer sur son chef, que cela ne pouvait se faire. Après le «Centre américanos», nous avons été conduits directement à la prison de Kondengui. Nous devons être fin avril 84, je pense.
A l’entrée de la prison, les vêtements que nous portions ont été déchirés par des gardiennes de prison. Certains sont donc entrés nus. Moi, j’ai eu la chance de tomber sur un morceau de carton dont je me suis servi pour cacher mon sexe avant de retrouver ma cellule. Nous n’y avons pas passé beaucoup de temps avant d’être transférés à Mfou, pour le jugement.
Comment s’est déroulé votre jugement ?
On nous appelait et les condamnations pleuvaient. On a condamné certains à mort, d’autres à vie, d’autres à 10 ans, etc. L’un des juges s’appelait Ananga, et notre avocat était Me Nlembé. Le pauvre, il se battait comme il pouvait pour nous défendre. Je me souviens qu’il ne cessait de crier à l’endroit des juges : «Les enfants ne connaissent rien, vous les jugez et vous dites que vous allez les tuer? Tuez-les donc». Il a aussi dit qu’il ne savait pas qu’il y avait un problème entre le Sud et le Nord. Il répétait sans cesse : «Vous n’êtes pas en train de faire un jugement, ça c’est de la mascarade. Le jugement ne se fait pas comme ça !».
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Mais cela ne changeait rien. Moi, particulièrement, on ne m’a posé qu’une seule question. «Tu étais où ?» J’ai répondu : «J’étais au palais». Une question, une réponse. Voilà à quoi s’est résumé mon procès. Le procureur avait requis contre moi la prison à vie.
Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, mais dans le réquisitoire, ma peine a été ramenée à dix ans de prison ferme. Mais franchement, que ce fut la peine de mort ou la peine de 10 ans ferme, personne de nous ne croyait qu’il pouvait sortir de là vivant, compte tenu des conditions de détention, aussi bien à la Semil, à «Américanos» qu’à la prison de Kondengui. Car, en détention, nous n’avions rien à manger, rien à boire. On laissait les gens mourir comme des animaux.
Racontez-nous un peu vos conditions de détention à Kondengui ?
Nos conditions étaient très difficiles, car nos geôliers nous menaient particulièrement la vie dure. C’était vraiment atroce. Nous étions entre 300 et 400 détenus liés au putsch et beaucoup n’ont pas supporté ; et quand ils mourraient, il faillait parfois deux à trois jours avant de récupérer les corps. Chacun se battait comme il pouvait, avec pour seule arme, sa foi. Chaque jour qui passait, on voyait des gens mourir. Et chaque fois que les corps étaient emportés, on ne fournissait plus aucune information, même pas aux familles des concernés. Personnellement, je pense que je suis un miraculé.
Comment recouvrez-vous la liberté ?
Comme par miracle, on a commencé à libérer une première vague de prisonniers en 1990. Nous autres, qui avions été condamnés à dix ans et ceux qui étaient condamnés à vie, avons été libérés en 1991.
C’est à la Briqueterie que j’ai atterri, un jour de Ramadan. Ensuite, nous avons été accompagnés à la gare où un wagon spécial nous avait été affecté pour nous conduire à Ngaoundéré.
Nous avons été rappelés en 1994, 10 ans après les faits dans le cadre de la mise en oeuvre de l’amnistie décrétée par le chef de l’Etat.
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C’est comme cela que j’ai réintégré la gendarmerie où j’ai travaillé tour à tour au Secrétariat d’Etat à la défense (SED), au cabinet du Mindef et dans le département du Mayo-Rey jusqu’à ma retraite en 2011. Malheureusement, depuis mon départ à la retraite, comme beaucoup d’autres «ex-putschistes », je cours toujours après le paiement de mes droits.
De quels droits s’agit-il ?
A la suite de la loi d’amnistie promulguée par le chef de l’Etat en 1991, pour avoir bénéficié de celle-ci, on devait nous rétrocéder tous nos droits et biens, y compris de 1984, période des faits, à 1994, période où nous sommes réintégrés dans l’armée. La mesure concernait environ 250 personnes.
A ce jour, seule une dizaine de personnes a effectivement bénéficié de la loi d’amnistie. Malgré toutes les dispositions légales et les instructions présidentielles, nous n’avons toujours pas été indemnisés. Nous continuons d’attendre désespérément que nos dossiers aboutissent au ministère des Finances.
Avez-vous entrepris des démarches pour percevoir dans vos droits ?
Nous avons fourni les documents appropriés pour ce type de procédures. Nos dossiers ont été normalement enregistrés à la direction de la Dépense du personnel et des Pensions du ministère des Finances. De sources dignes de foi, nous savons que le président de la République, en bon père de famille, avait donné des instructions pour que nos dossiers soient traités avec diligence. Mais ces instructions n’ont pas été respectées. C’est très difficile pour nous.
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Nombreux n’ont pas pu être réintégrés en 1994, du fait qu’ils étaient devenus handicapés pendant leur détention. Ceux-là comptent énormément sur ces droits pour vivre.
Est-ce que votre statut d’ex-putschiste peut être à l’origine de ce désagrément ?
Certaines informations font état de ce que des instructions venues du ministère de la Défense ont interrompu la procédure de paiement de nos droits. Sincèrement, je ne pense pas que le fait que nous ayons été accusés comme putschistes, puisse avoir des répercussions sur notre dossier. Je veux croire qu’il s’agit simplement d’une mesure temporaire et non définitive.