Actualités of Wednesday, 6 April 2022

Source: L'oeil du Sahel N°1635

Coup d'Etat manqué de Biya : trois putschistes racontent leur 6 avril

Haman Merkzaya, Zourmba Nihi Ousmaïla et Niresitike Dorson sont trois putschistes du 6 avril Haman Merkzaya, Zourmba Nihi Ousmaïla et Niresitike Dorson sont trois putschistes du 6 avril

Haman Merkzaya, Zourmba Nihi Ousmaïla et Niresitike Dorson sont trois putschistes du 6 avril. Ils étaient impliqués dans le coupe d’Etat tenté pour renverser l’indéboulonnable président Paul Biya.

Dans un dossier accordé par l’œil d’Afrique, les trois « putschistes » racontent leur 06 avril. Haman Merkzaya, inspecteur de police 2e grade était élève gardien de la paix au moment de son arrestation. Zourmba Nihi Ousmaïla lui était, gendarme-major au moment des faits et Niresitike Dorson, gendarme-major lui l’était également le 7 avril 1984 au moment de son arrestation.

0riginaires du Mayo Louti et aujourd’hui à la retraite, ils ont plusieurs points communs. Ils ont tous écopé de 10 ans d’emprisonnement ferme et ont été libérés le 1er avril 1991 après avoir purgé 7 ans de prison. Ils attendent également tous d’être appelés un jour pour percevoir leurs indemnités conformément à la loi d’amnistie de 1991.

Le média camerounais leur a accordé une interview que la rédaction de Camerounweb vous propose de lire.

Que faisiez-vous avant le coup d’Etat du 6 avril et comment s’est déroulée cette journée pour vous?

Haman Merkazaya

Les événements du 6 avril 1984 sont intervenus alors que j’étais élève-gardien de la paix. J’avais réussi au concours de recrutement à la police quelques mois plus tôt et j’étais à Yaoundé dans le cadre du parachèvement de la formation. Dans la journée du 5 avril 1984, j’ai été programmé pour faire partie des policiers qui devaient être de garde au parquet général de Yaoundé. J’ai donc passé toute la journée du 5 et toute la nuit du 5 au 6 avril au palais de justice. Nous étions une équipe de 4 personnes. Cette nuit, aux environs de minuit, nous avons entendu des violents coups de feu en direction de l’ancien palais présidentiel qui jouxte le palais de justice de Yaoundé. Les coups de feu étaient orientés vers une pièce où étaient alors détenus le capitaine Salatou et ses deux compagnons qui avaient été condamnés plus tôt dans une affaire de tentative de coup d’Etat. Nous avons compris qu’il se passait quelque chose de grave au vu de l’intensité des coups de feu, mais personne de nous ne savait avec précision ce qui se passait. Moins de 30 minutes plus tard, les coups de feu ont cessé et on n’a plus rien entendu jusqu’au matin. À 6h, quand j’ai été relevé, j’ai pris un bus pour mon domicile à Obili-Melen. Juste à la descente, des militaires qui avaient envahi le secteur m’ont demandé de me rendre directement au camp militaire d’Obili sans aucune explication. Après plusieurs heures passées dans le camp de la Garde républicaine, je tombe sur un de mes frères gendarme qui m’informe qu’il doit y avoir eu coup d’Etat dans la nuit, mais lui-même n’avait pas plus de précision. Après de longues heures d’attente, nous avons été transférés au Mindef, à la Sémil, où je vais passer un mois en compagnie d’autres détenus avant d’être conduit à la prison de Kondengui.

Zourmba Nihi Ousmaïla

Au moment des faits, je suis gendarme-major en service à la Garde républicaine. J’ai pris la garde au palais de l’unité le 5 avril, laquelle devait se terminer le 6 avril en matinée. Je travaillais sous les ordres du feu capitaine Abali. Nous étions une équipe de 6 hommes postés à l’entrée du palais qui se trouve du côté d’Etoudi et j’étais le seul gendarme-major dans le groupe. A l’époque, dans la gendarmerie, il n’y avait pas beaucoup de hauts gradés et gendarmesmajor, je faisais déjà office de haut gradé. Notre garde a commencé le 5 avril à 13h. Mais aux environs de 19h, on nous apprend que le capitaine Abali sous qui nous travaillions pendant la garde a été relevé et remplacé au pied-levé par le lieutenant Garba sans aucune autre précision. Il y avait une consigne stricte qui stipulait qu’aucun homme en tenue, quel que soit son grade, ne pouvait débarquer au palais dans la nuit sans emprunter l’entrée principale. Sans avoir vu le lieutenant Garba arriver pour relever le capitaine Abali, nous le surprenons en train de faire des tours dans le palais. Jusque-là, on se posait toujours la question de savoir ce que le capitaine Abali avait bien pu faire ou s’il avait été subitement victime d’un malaise. Je me suis rendu au poste de police du palais pour en avoir le cœur net. Le commandant de peloton qui s’y trouvait m’a fait savoir qu’il était dans la même situation que moi. On s’est alors dit que nous allons continuer notre travail comme d’habitude. Mais par mesure de sécurité, comme je trouvais ce mouvement pas très clair, vers 1h du matin, j’ai décidé de faire fermer le tunnel qui conduisait vers la résidence du président de la République. Et je suis ressorti avec mes éléments dans la cour principale du palais. Quelques instants après, les armes ont commencé à tonner. On ne savait pas qui nous attaquait. Les coups de feu ont duré toute la nuit. Aux environs de 7h du matin, le capitaine Abali qui avait été remplacé sans explication la veille pendant la garde, a débarqué au palais et a été repoussé par les éléments de la Division de la sécurité présidentielle (DSP). Il a battu en retraite et a pris la fuite. C’est alors que les éléments de la DSP ont décidé de s’en prendre à nous. Devant cette nouvelle situation, nous avons décidé de déposer les armes. Nous sommes restés assis dans le palais pendant 24h sans relève et c’est après qu’on nous a conduit directement à Américanos, en détention.

Niresitike Dorson

Moi, j’étais gendarme en service à la Garde républicaine. Dans la nuit du 5 au 6 avril 1984, j’étais de repos et je me trouvais au camp dans la chambre qui m’avait été affectée au Célibatoruim. Aux environs de minuit, des bruits incessants de bottes et des coups de feu ont commencé à se faire entendre. Certains éléments de garde ont accouru vers nos chambres en cognant fortement à nos portes en nous demandant quel type de militaire nous étions, comment pouvions-nous entendre des coups de feu et continuer à dormir. Nous nous sommes rendus au camp en tenue. A peine arrivés, on nous a donnés des armes et nous sommes restés dans la cour à attendre des ordres en vain jusqu’au matin. Tout ce qu’on nous a dit, c’est que le palais était attaqué et on ne savait par qui. Alors que nous étions toujours dans l’attente des ordres pour agir, un hélicoptère est venu larguer des bombes au camp, chacun a pris la poudre d’escampette avec son arme. Je me suis retrouvé du côté de Mvog-Betsi en compagnie d’un camarade. Il y avait un ratissage des militaires dans le coin et j’ai été pris avec mon arme et transféré immédiatement à l’Emia, puis au Quartier général où on a séjourné pendant deux semaines avant d’être transféré à Kondengui.

Comment s’est déroulé vos procès ?

Haman Merkazaya

Le mien s’est tenu au Camp de l’unité le 1er août 1984. Bien avant le procès, j’avais été auditionné en prison sans l’assistance d’un avocat. Pendant mon audition, j’avais tenté, en vain, de faire comprendre que je n’étais qu’un élève gardien de la paix et qu’une simple vérification de la main courante du palais de justice pouvait prouver que je ne savais rien de cette affaire. Selon les informations en ma possession, c’est un camarade de ma promotion, une fois qu’il avait appris que j’avais été interpellé, qui s’était empressé de me charger. On n’a jamais pris le soin de vérifier mes déclarations. Mon interrogateur m’a juste demandé qui m’a amené à Obili au camp militaire ? « Est-ce Abali ? Abale Abale ou le commissaire Sadou ? ». Je lui ai signifié que je ne connaissais aucun de ces types et que je ne les avais jamais rencontrés. Il m’a ensuite demandé quel poste j’allais occuper si le coup d’Etat avait réussi ? Quand je lui ai rétorqué qu’avec mon grade d’élève gardien de la paix, luimême pense que je pouvais être quoi dans cette affaire, il a piqué une colère et l’interrogatoire s’est terminé-là. Lors du procès, j’étais assisté par un avocat commis d’office que je n’ai jamais rencontré. Le juge Ananga m’a posé la question suivante : Qui t’a anobli ? J’avoue que je n’ai rien compris à la question. On m’a demandé de me mettre de côté. Je voyais les autres qui passaient et déroulaient leur emploi du temps de la journée du 5 et du 6 avril 1984. La suite, ça a été le prononcé du verdict et j’ai écopé de 10 ans de prison ferme.

Zourmba Nihi Ousmaïla

Des geôles d’Américanos, j’avais été transféré à la prison de Kondengui. Mon procès a lieu entre le 10 et 14 mai 1984. Bien avant, des auditions avaient eu lieu en prison comme pour tous les autres. Lors de l’audience, la première question qu’on m’a posée était de savoir où je me trouvais dans la nuit du 5 au 6 avril 1984. J’ai répondu naturellement que j’étais au Palais de l’unité. Le juge m’a lancé un "C’est bon merci" avant de continuer en me demandant ce que je faisais là-bas. J’ai raconté tout ce que j’avais fait cette nuit et quand j’ai notamment évoqué le passage où j’indiquais avoir décidé de fermer le tunnel qui donnait accès à la résidence du chef de l’Etat, il s’est écrié : «c’était pour l’arrêter comme une souris !» parlant du président de la République. J’ai poursuivi en indiquant que j’agissais dans le cadre du respect des consignes et qu’au moment de fermer le tunnel, quand je me suis retrouvé devant la résidence du président de la République avant de regagner la cour principale du Palais, j’avais sur moi une arme et 120 munitions. Si j’étais dans le coup et que je voulais vraiment tuer le Président, à cet instant personne ne m’aurait empêché surtout qu’il se trouvait bien dans sa résidence à cet instant. Il a poursuivi en me demandant ce que je devais avoir si le coup d’Etat avait réussi. J’ai piqué une colère en pleine audience et ce sont mes camarades qui m’ont demandé de me calmer. C’est là que s’est achevé mon procès. J’ai été condamné à mort. Quand on a lu le verdict, j’ai crié à haute voix dans la salle d’audience : «Si j’ai envié Paul Biya, que Dieu me punisse». Nous sommes retournés en prison. Le même jour, au journal de 13h, le président de la République a décidé que nous qui avions été condamnés à mort, qu’on ne soit pas exécuté. Curieusement, on nous a ramenés devant la barre pour un nouveau verdict et ma peine a été ramenée à 10 ans d’emprisonnement ferme.

Niresitike Dorson

Le scénario est pratiquement le même pour moi. J’ai également écopé de 10 ans d’emprisonnement ferme au terme du procès. J’étais jugé au même moment que le gendarme major Zourmba Nihi.

Après mon audition en prison, on s’est retrouvé au tribunal. Mon procès s’est résumé à quatre questions. Vous étiez-ou ? J’ai répondu au camp dans ma chambre. Tu es sorti après les coups de feu ? J’ai répondu oui. Pourquoi tu es sorti ? J’ai indiqué au juge qu’il s’agit d’un règlement militaire et que je devais me rendre au camp dès qu’il y a des coups de feu. Après, le procureur a requis 20 ans de prison pour moi et le juge m’a donné 10 ans ferme.

Comment s’est déroulé votre séjour en prison ?

Haman Merkazaya

Durant toute cette procédure, nous ne nous connaissions pas. C’est en prison que nous nous sommes rencontrés. Eux, ils appartenaient à un même corps et travaillaient dans la même unité. Moi j’étais de la police, je me demandais toujours ce que je faisais dans cette affaire. En dehors de nos cellules qui étaient différentes, nous étions logés dans le même secteur en prison et on vivait pratiquement les mêmes conditions de détention. Dès mon arrivée en prison, j’ai été installé dans une même cellule que l’ancien gouverneur Hamadou Malloum, le capitaine Tamboutou qui faisait partie de la garde rapprochée d’Ahmadou Ahidjo un moment et Ali Youssoufa, entre autres. J’ai fait la connaissance également des personnalités célèbres comme Tanko Hassan, le célèbre homme d’affaires de Bonabéri à Douala, l’actuel ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakari, Issa Bakary (ancien Délégué général à la gendarmerie nationale), Abdoulaye Mazou (ancien secrétaire général du Ministère de l’Education nationale)... Pour ce qui est des conditions de vie, elles étaient inhumaines. A plusieurs reprises, j’ai franchement pensé que nous ne sortirions pas vivants de cet enfer. Les tortures que nous subissions étaient incroyables. On n’avait aucun contact avec nos familles. Il y a eu un mois que nous avons baptisé le «septembre noir». C’était en 1986, et il a été appelé ainsi en raison du nombre important des décès de nos camarades. Cela a été ainsi jusqu’à ce que le Président décide, en 1991, de procéder à une remise de peine. C’est ainsi que le 1er avril 1991, nous avions tous recouvré la liberté et été conduits dans le Mayo-Louti.

Zourmba Nihi Ousmaïla

Même pour se nourrir, c’était un problème. Les repas étaient rares et de qualité approximative. Quand un de nous tombait malade, la situation se compliquait parce que avoir accès aux soins était un véritable parcours du combattant.

Niresitike Dorson

Dans cette douloureuse épreuve, il faut être éternellement reconnaissant aux sœurs missionnaires qui venaient nous assister régulièrement. Elles nous réconfortaient beaucoup et se battaient sans cesse pour nous permettre d’accéder à certains soins et services. Elles ont été présentes tout le temps que notre détention a duré et ont joué un grand rôle dans l’entretien de notre moral.

Vous êtes tous retraités aujourd’hui. Avez-vous amplement bénéficié de la loi d’amnistie de 1991 ?

Haman Merkazaya

La loi d’amnistie a été promulguée après notre libération, le 23 avril 1991. Je me trouvais déjà à Guider quand elle a été promulguée. Un décret du 4 mai 1992 est venu fixer les modalités de réintégration dans des emplois publics des personnes bénéficiaires de la loi d’amnistie. En application de ce décret, j’ai repris le service effectivement le 14 février 1994 dans les services de la Délégation générale à la sureté nationale à Yaoundé comme élève gardien de la paix. En clair, on m’a repris avec le même grade et le même indice qu’au moment où j’ai été arrêté. J’ai donc travaillé de février 1994 jusqu’à mon départ à la retraite en 2011 sans avoir été rétabli dans mes droits, c’est-àdire le paiement de mon salaire à partir du mois de février 1985 jusqu’en 1994, date de ma reprise de service et le rétablissement de 117 mois d’ancienneté de carrière. Dans un communiqué dont nous avons pris connaissance, il nous était demandé de déposer auprès du secrétariat général de la Présidence de la République nos dossiers afin qu’ils soient examinés. J’ai effectivement déposé mes dossiers et j’ai suivi toutes les procédures dans les services compétents. En 2005, j’ai reçu un document du ministère de l’Economie et des Finances, précisément de la direction des Soldes qui établissait une liste de personnes concernées par la loi d’amnistie et indiquait le montant à leur verser. Dans cette liste, mon nom y figure bien avec le montant de mes indemnités. Nous attendons toujours qu’on nous signifie le jour où on va être payés. Pendant ce temps, certains de nos camarades ont reçu leur paiement, les derniers ont touché en 2015. On espère seulement qu’il s’agit d’un problème de temps et que notre problème va trouver rapidement solution, pour le bonheur de nos familles.

Zourmba Nihi Ousmaïla

Comme Haman vous l’a indiqué, nous avons été tous libérées le 1er avril 1991. J’ai repris le travail le 18 janvier 1994, comme si de rien ne s’était passé. On m’a réintégré comme gendarme major avec le même indice que celui que j’avais au moment de mon arrestation en 1984. La situation a perduré jusqu’en 2005, date de mon départ à la retraite. Après, j’ai suivi toutes les procédures requises pour pouvoir bénéficier de la loi d’amnistie promulguée en 1991. Mon nom est apparu dans la liste dressant l’état de solde des personnes concernées par cette loi. Le montant qui me revient y est même indiqué, mais je ne sais pas ce qu’il faut faire pour être payé et ce depuis 2005.

Niresitike Dorson

Contrairement à mes deux compagnons d’infortune, mon nom ne figure encore dans aucun état de solde dressé par le ministère des Finances. Mais j’ai bel et bien introduit un dossier afin de bénéficier de mes droits. J’ai été réintégré dans le cadre de la réhabilitation des anciens "mutins" à la gendarmerie le 18 janvier 1994. Je suis à la retraite depuis janvier 2011. Ma pension retraite passe, mais sans tenir compte de la période où j’ai été condamné. J’ai apporté tous les éléments qui démontrent que je dois bénéficier moi aussi de la loi d’amnistie. Sans nouvelle des autorités, j’ai déposé un autre dossier pour attirer l’attention sur ma condition aux services des anciens combattants à Garoua. J’ai des camarades de promotion qui ont touché leurs indemnités relatives à l’amnistie mais moi j’attends toujours.