C’est une date chargée dans l’histoire politique du Cameroun parce que ce jour de coup de d’Etat échoué marque la rupture politique entre Paul Biya et « son illustre prédécesseur ».
Les balles crépitent à Yaoundé ce 6 avril 1984 entre les Forces loyalistes au nouveau pouvoir tenu par Paul Biya et les mutins déterminés d’en finir avec lui, l’homme du 6 novembre 1982. Depuis Paris, le même jour, le président Ahmadou Ahidjo, interrogé par Radio Monte-Carlo (Rmc) vers 10 h30 mm, fait une déclaration surprenante : «si ce sont mes partisans, ils auront le dessus». La suite appartient à l’histoire qui pour l’essentiel retient que dès lors, le nouveau régime s’est mis à détricoter l’image de l’illustre prédécesseur. 39 ans plus tard, rien n’a changé à cette dynamique en dépit de la reconnaissance en 1991 de l’ancien chef de l’Etat au nombre des héros de la Nation. Ce coup d’Etat avorté a déconstruit l’image, le prestige édifié savamment par le premier président de la République de 1958 à 1982.
Condamné et mort en exil d’Ahmadou Ahidjo
Que s’était-il réellement passé pour qu’à peine deux ans de pouvoir, Ahmadou Ahidjo veuille à tout prix renverser son « filleul » ? Comment comprendre que cet homme ait fait le chemin politique à Paul Biya envers et contre ses amis et adversaires politiques, pour par la suite vouloir le débarquer si rapidement du pouvoir ? Paul Biya s’était-il trop vite démarqué de lui ? Au vue de la structuration gouvernementale à l’époque, on ne saurait répondre par l’affirmative. Toujours est-il que motivé par le prestige et la notoriété qui étaient siennes, il tenta l’impensable : le coup d’Etat du 6 avril 1984. Le nouveau pouvoir réagit sans état d’âme de manière tranchée, condamnant par contumace à mort Ahmadou Ahidjo ! Et même à sa mort survenue en 1989 à Dakar, le pouvoir n’a pas toujours fait rentrer ses restes au pays. Pire encore, son épouse Germaine a récemment rendu l’âme à Dakar et repose désormais auprès de son illustre époux. Le seul fait que ses restes demeurent hors du pays est en soi le plus grand désaveu qu’il puisse subir après plus d’une vingtaine d’années au sommet de l’Etat. Pendant ce temps, dans la mémoire des Camerounais et surtout de la jeune génération, Ahmadou Ahidjo passe plus pour un mythe qu’une réalité politique, le long magistère du nouveau pouvoir ayant mis sous l’éteignoir ce prestige, cette fascination de l’ancien chef de l’Etat. Pour en dire davantage, l’ancien Palais présidentiel où il a trôné pendant plus de deux décades, est désormais le Musée national. Que s’est émouvant de voir des jeunes gens boire, manger et jouer sur la pelouse lors des expositions ! Que ça interroge sur la vanité des gloires terrestres de voir des femmes y faire des braises, servir des boissons fraîches et que les clients bien repus vont faire pipi en plein air, dans les coins de ce lieu mythique ! Que reste-t-il de son image dans l’esprit des Camerounais ? Pas grand-chose aujourd’hui car le putsch avorté du 6 avril 1984 est la porte ouverte de la déchéance du président Ahmadou Ahidjo. Autrefois, quand les piétons allaient à pieds, ils s’abstenaient soigneusement de ne pas marcher le long de la barrière de l’ancienne présidence. La fameuse Garde républicaine donnait des sueurs froides. Aujourd’hui, que le temps a passé ! Que les choses ont changé ! Tout ceci a commencé fondamentalement le 6 avril 1984.
La reconfiguration des pôles politiques
L’Ancien régime avait construit la vie politique en deux pôles, le grand nord et le grand sud. Pour ainsi dire, les trois régions du septentrion formaient une seule province dont Garoua était la capitale, le grand sud quant à lui, était structuré autour de Yaoundé, la capitale provinciale du Centre-sud. Le Cameroun anglophone, bien sûr, avait l’Assemblée nationale, pour représenter au sommet de l’Etat, la deuxième personnalité de la République. Mais au fond, les deux régions se noyaient dans le grand-sud. Paul Biya, après le coup d’Etat du 6 avril 1984 va s’attaquer très rapidement à cet état des choses, en scindant la grande et puissante province du Nord en trois. L’Extrême-Nord, l’Adamaoua, ont suite à cet éclatement, manifesté leur joie de retrouver une sorte de liberté et d’indépendance, espérant à plus de présence administrative et donc de développement. Qu’on se souvienne qu’en 1958, Ahmadou Ahidjo avait demandé à tous les députés du grand-nord de démissionner pour mettre en minorité le gouvernement d’André Marie Mbida ! Cela s’est reproduit en 1983 au plus profond de la crise entre les deux hommes d’Etat, quand le sortant demandait aux ministres originaires du grand-nord de partir de l’équipe dirigeante pour fragiliser le gouvernement ou le pouvoir de Paul Biya. Un remake de 1958 qui ne va pas malheureusement prospérer. On peut se rendre compte de toute évidence, pour demeurer dans cette logique, que Garoua n’est plus la ville politique emblématique du grand-nord, mais Maroua et de la région de l’Extrême-nord, par ailleurs la plus peuplée du pays. Ce n’est pas tout, car le grand-nord était antérieurement présenté au sein de l’opinion comme une région homogène et musulmane. Avec l’éclatement administrative du cette partie du pays, on a constaté qu’il n’en était rien. Il y avait aussi bien les musulmans, les chrétiens que des animistes. Un mythe tombait. Si Ahmadou Ahidjo revenait aujourd’hui en vie, il aurait tant de peines à appliquer la politique qui était centrée entre le grand-nord et le grand-sud. Ceci permet de mieux comprendre pourquoi certaines officines estiment jusqu’après Biya, le pouvoir doit retourner de droit à un natif du septentrion.
L’absorption de l’Unc par le Rdpc en 1985
Le coup d’Etat aura été certainement le coup de gong qui a anticipé la mort de l’Union nationale camerounaise (Unc), sur les cendres de laquelle est né le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Avec cette absorption de l’instrument ou de l’outil politique d’Ahmadou Ahidjo, s’enracine dans la durée l’effacement de la vision politique de l’ancien chef de l’Etat. A commencer par la tenue du parti qui enterre définitivement les effigies d’Ahmadou Ahidjo. Dans la foulée, les congrès quinquennaux du parti, les plans quinquennaux et les Comices agropastoraux disparaissent de l’agenda politique. La nouvelle politique, « rigueur et moralisation », va en répandant sur la place publique les scandales de gestion de l’ancien régime. Il est vrai qu’à cette période, sans télévision, sans téléphone à disposition, l’unique instrument d’information des masses était la radio, la presse et surtout la rumeur. De ce fait, la rumeur a tout dit et tout fait d’Ahmadou Ahidjo au point où il était désormais perçu par beaucoup comme le mal du pays, lui avait passé près de 14 ans de son pouvoir à faire la paix et à établir l’unité du pays. Avec ces repères démantelés, il va de soi qu’on était dans une entreprise de démanteler la politique d’Ahmadou Ahidjo des mémoires. Par exemple, un Anglophone était toujours à la tête du pouvoir législatif avec Ahidjo, avec Paul Biya, il n’en sera plus de même, le pouvoir législatif conféré à un natif de l’Extrême-Nord. Le Sénat quant à lui est attribué à un ressortissant de l’Ouest. Le gouvernement pendant ce temps est attribué à un natif des deux régions anglophones du pays. Comme quoi, les marques et la vision politiques d’Ahmadou Ahidjo ne sont plus que de lointains souvenirs dans la mémoire collective. Et là aussi, c’est une volonté politique depuis le 6 avril 1984 de toute évidence.