L'instance dirigeante du rugby africain, Rugby Afrique, est accusée d'ignorer les intérêts du jeu sur le continent après une décision controversée d'organiser ses éliminatoires pour la Coupe du monde de 2023 en France.
En juillet, huit équipes africaines s'affronteront lors d'un tournoi dans deux villes françaises, Aix-en-Provence et Marseille, pour obtenir un billet automatique pour la phase finale, qui sera organisée par la France en septembre prochain.
Ce sera la première fois dans l'histoire du rugby africain que les éliminatoires de la Coupe du monde se dérouleront en dehors des frontières du continent, et cette décision a été accueillie avec mécontentement en Afrique.
L'un des prétendants, la Namibie, s'est prononcé contre cette décision, se disant "mécontent" de la décision.
"Nous avons demandé à Rugby Afrique de revoir sa décision", déclare Corrie Mensah, président du rugby namibien.
Mais "le résultat, c'est le maintien de la France comme hôte", déplore-t-il.
Le Kenya et le Zimbabwe ont présenté des candidatures que l'organisme continental a qualifiées de "solides", mais il a décidé d'attribuer les droits d'organisation à la France.
"Notre objectif principal est de continuer à grandir, à progresser et à prendre la place qui nous revient sur la scène internationale", déclare Rugby Afrique dans un communiqué.
"En collaboration avec nos membres et nos partenaires, Rugby Afrique doit inventer de nouvelles façons et créer de nouvelles opportunités pour augmenter ses revenus et les redistribuer dans le rugby africain", déclare l'instance sportive africaine.
L'ancienne internationale féminine ougandaise Helen Buteme déclare à la BBC que Rugby Afrique "ne prend pas les intérêts du rugby africain à cœur".
"Il n'y a pas la moindre justification pour emmener ce qui est notre plus grand tournoi dans un pays européen. L'Afrique a besoin de ce tournoi alors que la France n'en a pas besoin", soutient-elle.
La Namibie tentera de décrocher une septième participation consécutive au tournoi mondial, après avoir fait ses débuts en 1999.
Les autres équipes devant prendre part aux éliminatoires, qui se dérouleront du 1er au 10 juillet, sont le Kenya, l'Ouganda, le Zimbabwe, l'Algérie, le Burkina Faso, le Sénégal et la Côte d'Ivoire.
Les finalistes auront une deuxième chance d'accéder à la Coupe du monde lors d'un dernier tournoi de qualification mondial à quatre équipes, qui se tiendra en novembre.
Pas dans l'intérêt du rugby africain
La BBC a appris que le comité chargé en France de l'organisation de la Coupe du monde supervisera le tournoi de qualification africain, mais la raison pour laquelle la France a décidé de se porter candidate pour l'événement reste incertaine.
La Fédération française de rugby (FFR) a été surprise par le choix de la France pour la tenue des éliminatoires de Rugby Afrique, mais son directeur chargé de la communication, Laurent Latour, a démenti cette affirmation, a appris la BBC d'un haut fonctionnaire français.
La FFR ne s'oppose pas à cette décision, de toute façon, selon Latour.
Le comité d'organisation de France 2023 n'a pas voulu répondre à nos questions.
Au Kenya, un commentateur de rugby estime que cette décision annule le travail effectué pour développer le jeu à partir de la base.
"Cette décision de Rugby Afrique va à l'encontre de la tendance visant, à travers le continent, à étendre le jeu à la base", déclare Daudi Were.
"Rugby Afrique tente de défaire tout le bon travail des agents de développement du rugby à travers le continent en accueillant notre tournoi le plus important à l'étranger", dénonce Were.
Un sponsor officiel de Rugby Afrique, APO, a joint sa voix aux critiques. "Nous pensons que la décision n'est pas dans le meilleur intérêt du rugby africain. On ne peut que se demander si d'autres intérêts ne sont pas en jeu", s'inquiéte son président et fondateur, Nicolas Pompigne-Mognard.
En réponse aux critiques, Rugby Afrique déclare à la BBC que les considérations financières ont joué un rôle dans la décision, certains de leurs membres ayant des difficultés financières.
"Cet événement prévu en France est considéré comme un tremplin pour lancer une nouvelle dynamique de génération de revenus, qui nous aidera à nous développer", déclare Rugby Afrique.
Inquiétudes parmi les supporters
Alors que Rugby Afrique cherche à séduire une base de supporters internationale, certains fans de ce sport en Afrique se sentent privés de la possibilité de voir leurs équipes dans des stades, car les voyages en Europe sont coûteux.
L'instance dirigeante affirme toutefois que même si elle comprend la déception des supporters, la pandémie de Covid-19 ne leur aurait peut-être pas permis d'assister aux matchs de toute façon. Des retransmissions de haute qualité seront disponibles lors des éliminatoires de Rugby Afrique prévus en France, promet-elle.
Cependant, Rugby Afrique compte 38 associations membres à travers le continent - dont certaines ont accueilli des événements continentaux majeurs pendant la pandémie, notamment la Coupe d'Afrique des nations de football au Cameroun (9 janvier-6 février 2022), on ne voit donc pas pourquoi elle se contenterait d'un pays européen.
Le continent a également montré qu'il avait la capacité d'accueillir de grands événements internationaux par le passé, notamment la Coupe du monde de rugby de 1995 et la Coupe du monde Fifa de 2010 en Afrique du Sud, ainsi qu'un championnat du monde d'athlétisme des moins de 20 ans.
Les fans du continent déroulent une campagne de protestation sur les réseaux sociaux, avec une pétition en ligne, dans l'espoir qu'elle puisse influencer la décision de Rugby Afrique, mais la page n'a recueilli que 1 387 signatures en cinq mois.
Des appels ont été lancés à World Rugby, la fédération mondiale, pour qu'il revienne sur sa décision, mais l'organisme a déclaré à la BBC qu'il ne pouvait pas s'ingérer dans les décisions de ses associations régionales, ce qui réduit tout espoir que le tournoi se tienne sur le sol africain.