La tension persiste au Cameroun anglophone, malgré le lancement par le gouvernement d'une série de concertations dans ces régions désormais exposées à un risque d'"insurrection armée", a mis en garde jeudi l'International Crisis Group (ICG).
Le président camerounais Paul Biya doit "prendre ses responsabilités" et "agir vite" dans les zones anglophones où "les rangs des sécessionnistes augmentent de jour en jour" du fait de la "répression meurtrière" des autorités, a prévenu dans un nouveau rapport le centre d'analyse et de prévention des conflits.
A la demande du président, le Premier ministre Philemon Yang a entamé dimanche un nouveau processus de "dialogue" avec des représentants des populations des deux régions anglophones, après l'échec d'un premier dialogue initié peu après le déclenchement en novembre 2016 de la crise anglophone.
M. Yang poursuivait jeudi ses consultations dans la région du Nord-Ouest, alors que d'autres délégations dépêchées par Yaoundé sillonnaient celle du Sud-Ouest, dans un contexte sécuritaire toujours très tendu.
La maison d'un député anglophone, Bernard Forju, a été ainsi incendiée mardi dans cette région par des manifestants opposés à la venue des émissaires du gouvernement, selon des sources concordantes.
Les autorités ont par ailleurs interdit une marche organisée par le Social democratic front (SDF), le principal parti d'opposition anglophone, et prévue samedi à Douala pour "exprimer sa solidarité aux populations anglophones".
La manifestation avait été dans un premier temps autorisée, une grande première pour le SDF, qui s'est vu finalement retiré cette autorisation au motif que son "objet" a changé et est "de nature à troubler gravement l'ordre public". Le SDF a dit maintenir sa marche.
- 40 morts en 4 jours -
"Nous condamnons et rejetons fermement" les visites des officiels de Yaoundé, a déclaré Felix Agbor Bala, président du Consortium de la société civile anglophone, une organisation dissoute en janvier par le gouvernement.
"Nous considérons ces visites comme une provocation" au moment "où des centaines de personnes ont été arbitrairement arrêtées" tandis que "des dizaines" d'autres ont été tuées "par balles", s'est-il offusqué, en référence à la répression des manifestations du 1er octobre, date à laquelle les séparatistes avaient proclamé symboliquement leur indépendance dans les rues.
Selon un bilan établi par l'AFP, au moins 14 personnes ont été tuées pour cette seule journée, tandis que des ONG locales et des responsables de l'opposition ont avancé un bilan beaucoup plus lourd. Les autorités ont fait état de 10 à 12 morts.
Dans son rapport, l'ICG évoque des "dizaines de morts" pour le 1er octobre, et parle d'"au moins 40 morts et plus de 100 blessés" du 28 septembre au 2 octobre.
"Du fait de cette répression meurtrière, les rangs des sécessionnistes augmentent de jour en jour, et certains d'entre eux évoquent plus résolument l'idée d'une lutte armée ou de l'+autodéfense+", a prévenu le groupe de réflexion, mettant M. Biya en garde contre l'imminence d'une "insurrection armée".
Le président camerounais "doit aller au-delà des mesures cosmétiques et prendre ses responsabilités pour trouver des solutions politiques à la crise", préconise l'ICG.
M. Biya est absent de son pays depuis le 14 septembre, date à laquelle il avait quitté le Cameroun pour participer à l'Assemblée générale des Nations Unies.
Depuis novembre 2016, la minorité anglophone du Cameroun - environ 20% des 23 millions d'habitants - proteste contre sa marginalisation, certains exigeant le fédéralisme d'autres la sécession. Le régime de Yaoundé rejette ces deux options.
Quelques semaines après le début de la crise, le gouvernement avait engagé le dialogue avec les avocats et les enseignants dont les grèves successives ont été le point de départ de la révolte. Le processus avait échoué, les autorités rejetant les exigences devenus trop politiques de leurs interlocuteurs selon elles.
Dans son rapport, l'ICG a demandé aux partenaires internationaux du Cameroun, "jusqu'ici passifs, voire complaisants vis-à-vis du régime", d'exiger "l'ouverture d'un dialogue inclusif sur la décentralisation et le fédéralisme".
"L'aggravation de la crise (...) requiert désormais l'intervention d’un médiateur crédible", comme l'ONU ou l'Union africaine, a suggéré l'organisation.
Pour sa part, le leader anglophone Agbor Bala a préconisé la convocation d'une table ronde "en présence" de l'ONU. Le SDF demande aussi l'ouverture "d'un dialogue inclusif".
Dans une tribune publiée par la presse, un membre du cabinet de la présidence a fustigé de son côté les meneurs de la contestation qui "évoluent à visage masqué, rendant complexe toute tentative de rapprochement ou de discussion, même a minima".