Depuis 2016, la partie anglophone du Cameroun incarnée par les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est en proie à une crise politico-militaire qui a fait et continue de faire des ravages. Les forces loyalistes de Yaoundé, déployées dans cette zone font face à des factions séparatistes parfois assimilés à des terroristes. Dans cette guerre asymétrique ayant déjà fait des milliers de victimes, les uns continuent de lutter pour l’intégrité du Cameroun (Etat unitaire) alors qu’en face, les autres veulent l’indépendance d’une République d’Ambazonie, avec son gouvernement à la tête de laquelle il y a eu récemment une « alternance ». Dans cette guerre sans merci, les victimes sont de tout âge. Plus inquiétant, ce conflit a fait le lit à des infanticides qui ont ébranlé le monde entier. La presse libre n’est pas n’ont plus épargnée.
Une guerre « asymétrique » et « durable »
Tout avait démarré en octobre 2016, où des groupes organisés (enseignants et des avocats anglophones) ont entamé des mouvements de grève pour, disent-ils, dénoncer la « francisation » du personnel enseignant et du système juridique. Très vite l’opinion a épousé ces revendications. D’ailleurs depuis des décennies, les populations anglophones qui constituent 20 % de la population du Cameroun, fustigent une marginalisation et une discrimination évidente par rapport au reste du pays. Ce mouvement marque le début d’une importante mobilisation populaire pacifique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest - dites NOSO - sous forme de manifestations.
Avec la violente répression qui s’est abattue sur les manifestations cette crise s’est basculée dans un conflit à grande échelle. C’est depuis lors qu’on assiste à des affrontements meurtriers entre les forces gouvernementales et des factions séparatistes.
Depuis le début de la crise dans le NOSO, les combats auraient fait plus de 6 000 morts selon plusieurs organisations internationales. Selon les statistiques des agences onusiennes (UNHCR, OIM et OCHA), plus de 640 000 civils avaient fui l’insécurité dans le NOSO : environ 70 000 se sont réfugiés au Nigeria, et 570 000 se sont déplacés dans d’autres régions du Cameroun. Selon l’ONG ACLED, qui collecte, analyse et cartographie des informations sur les conflits armés, 506 incidents ont été dénombrés dans le NOSO en 2021 (dont 249 affrontements armés, 219 violences contre des civils et 38 attentats).
Mais ces derniers mois, les séparatistes semblent changer de stratégie. Ils procèdent désormais par des attentats à l'aide d'un engin explosif improvisé (EEI). La plus spectaculaire ces derniers mois reste l’attaque à la bombe contre le convoi du maire d’Ekondo Titi, dans le département du Ndian, région du Sud-Ouest du Cameroun, a fait, au sept morts dont plusieurs autorités.
L’autre côté sombre de cette guerre est le lot des infanticides auxquels l’on assiste depuis quelques temps. Plusieurs enfants se retrouvent, malgré eux, parmi les victimes collatérales de cette guerre entre faction séparatistes et forces loyalistes. En juin 2022, lors d’une opération de l’armée, des soldats camerounais ont tué neuf civils, dont un bébé à Missong, un hameau de la région du Nord-Ouest. La disparition de cet enfant émeut l’opinion, même si le gouvernement a essayé de condamner cette bavure. Quatre soldats recherchaient un des leurs porté disparu quand ils ont fait face le 1er juin à "un groupe de villageois survoltés", à Missong, un hameau de la région du Nord-Ouest, avait écrit le ministère de la Défense dans un communiqué.
Ils ont tiré "dans une réaction inappropriée, inadaptée à la circonstance et manifestement disproportionnée" et tué quatre femmes, quatre hommes et une fillette de 18 mois, selon le ministère qui parle de "méprise" et assure que les quatre militaires, qui ont également "légèrement blessé" une fillette de 12 mois, sont "aux arrêts".
La plus mémorable des infanticides dans le NOSO reste le meurtre d’une fillette de 5 ans environs à Buea, dans le Sud-Ouest du Cameroun en octobre 2021. Ce décès a entraîné des soulèvements dans la région durant plusieurs jours. Dans la foulée, notamment le 24 novembre, trois élèves et un enseignant avaient été tués dans une autre attaque à la bombe à Ekondo Titi sans oublier le drame de Kumba qui a coûté la vie à au moins huit enfants en octobre 2020 dans l'attaque de leur salle de classe.
Ambazonie, une République « imaginaire » mais « démocratique »
Le 1er octobre 2017, des groupes séparatistes déclarent symboliquement l’indépendance de la République d’Ambazonie. En cette date, suite à une violente répression ayant occasionné des dizaines de morts, certaines figures ont décrété l’indépendance et prôné la lutte armée qui s’enlise depuis lors.
La République “ambazonienne” dispose de son drapeau, sur fond bleu et blanc, avec treize étoiles. « Un pays encore imaginaire, mais pour lequel les sécessionnistes ont déjà leur hymne. Depuis, la majorité du gouvernement de cette République se retrouve à l’extérieur. Yaoundé a, à maintes reprises, demandé aux pays d’accueil de ces personnalités, de les arrêter, sans réelles réussites.
Récemment, le gouvernement a connu une alternance. Désormais c’est une femme qui est la présidente. Marianta Njomia. Officiellement, elle est enseignante de physique aux Royaumes Unis. Dans son pays natal, elle est la nouvelle présidente de la République autoproclamée de l’Ambazonie. Marianta Njomia remplace Samuel Sako qui occupait ce poste de manière intérimaire.L’activiste ambazonien Mark Bareta qui a annoncé l’information le 16 mars 2022, invite la nouvelle présidente à œuvrer pour la réconciliation entre les différentes factions.
‘’Je suis convaincu que la Présidente Madame Marianta, leader de la faction IG qui a succédé au Dr. Samuel Sako, va prononcer son premier discours devant le peuple d'Ambazonie. En tant que mère/femme, je suis impatient de l'écouter. J'espère qu'elle fera de la réconciliation et de l'unité son programme de mandat’’, a déclaré sur son compte Twitter. Il espère également que le départ de Paul Biya se fera sous son régime.
‘’Je sais que les femmes ont un moyen de rassembler les hommes sans faire de politique. Je crois personnellement, comme je le disais en 2016/2017, que "Dieu dit encore quelque chose". La camarade Marianta devrait tendre la main à d'autres leaders, rassembler tous les hommes pour le combat finale contre le Cameroun Biya’’, a indiqué l’activiste.
Son arrivée à la tête de cette République ne fait toujours pas l’unanimité. Depuis lors, une crise interne secoue ce gouvernement sans territoire. Les principaux acteurs sont considérés comme les bras financiers des combattants séparatistes.
Une guerre à huis-clos
Les guerres se nourrissent de la propagande. Le pouvoir de Paul Biya a vraiment compris les enjeux et a fait tout pour museler la presse libre dans la couverture de cette guerre. Les médias traditionnels sont réduits à relayer les prouesses de l’armée camerounaise, faisant souvent un blackout sur les bavures et autres. Les médias privés aussi dans la peur de se voir traiter de complices des Ambazoniens se sont imposé une autocensure qui ne dit pas son nom.
Sur le terrain, difficile de couvrir une guerre aussi asymétrique qu’imprévisible. Du côté des sécessionnistes et de leur soutien politique, l’on se cantonne sur les réseaux sociaux pour faire leur propagande. Des pages sont créées pour relayer régulièrement les actions des séparatistes et autres.
Mais au milieu, un média comme Camerounweb, avec sa ligne éditoriale qui est de démocratiser l’information, essaye de traiter cette guerre avec une neutralité qui lui vaut parfois des inimitiés de part et d'autre. La rédaction de CamerounWeb dans le traitement de cette crise reste professionnelle et factuelle et sans prise de position. CamerounWeb reste l’un des rares médias à adopter cette posture. Paradoxalement, ce média est taxé de faire le jeu (ou la propagande) pour les séparatistes.
A plusieurs reprises, les apparatchiks du pouvoir de Yaoundé ont lancé des accusations à peine voilées contre CamerounWeb dans le traitement de cette guerre. Pour autant, le site internet qui est depuis plusieurs années, le média en ligne le plus visité du Cameroun, a toujours fait de la neutralité son crédo et de l’objectivité son fil conducteur.
L’horizon en pointillés
Depuis le début de ce conflit sanglant, les Camerounais sont toujours dans l’attente d’un dénouement. Seulement, il y a eu que des espoirs déçus. Dans le dernier trimestre de 2019 se tenait à Yaoundé une assise placée sous le vocable de Grand dialogue national. L’évènement se voulait la réponse ultime du gouvernement à une « crise anglophone » qui, avait déjà fait des milliers de morts à l’époque.
Cinq jours durant, 600 personnalités réunies en commissions ont planché sur huit « thématiques principales contenues dans le message du Chef de l’État » du 10 septembre 2019 : bilinguisme, diversité culturelle et cohésion sociale ; système éducatif ; système judiciaire ; retour des réfugiés et des déplacés internes ; reconstruction et développement des régions touchées par le conflit ; désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants ; rôle de la diaspora dans la crise et sa participation au développement du pays ; décentralisation et développement local.
Malheureusement, ces assises n’ont accouché que d’une « souris ». Elles portaient les germes même se son échec. Beaucoup avaient regretté l’absence des vrais protagonistes comme Paul Biya en premier chef.
Depuis, ces tentatives éparpillées de rapprochement pour trouver une issue négociée à cette crise se sont heurtées à d’énormes contingences. Le désespoir gagne du terrain.
Sur le théâtre des opérations, les belligérants durcissent leur position. Les Ambaboys (séparatistes) deviennent de plus en plus redoutables dans leurs actions. Ils s’attaquent désormais à tout le monde, et parfois aux civils, ce qui n’était pas le cas à la genèse de cette crise. Yaoundé également ne jure que par la force pour venir à bout des séparatistes considérés et traités comme des terroristes.
De l’avis de certains observateurs, la guerre au NOSO dans sa conception initiale est terminée depuis des années. Pour eux, les factions séparatistes qui se manifestent sur le terrain sont entretenues par des réseaux même au sein du pouvoir, pour des desseins inavoués.
Mais dans ce Capharnaüm de sang et d’horreur, ce sont les populations civiles qui payent le lourd tribut. Aujourd’hui, les enfants dans la zone anglophone vont à l’école dans la peur. Les fonctionnaires vivent dans la crainte d’un kidnapping.
La crise dans le NOSO reste l’une des guerres qui ne retient pas l’attention de la Communauté internationale. Cette guerre est reléguée au second plan alors que les victimes se comptent par milliers. Pour redonner espoir à un peuple qui mérite de vivre dignement, il va falloir sans doute que l’ONU prenne ses responsabilités pour non seulement déployer dans l’urgence une force de protection des civils mais aussi essayer d’amener les deux parties à la table de discussions pour trouver une solution négociée et apaisée à ce conflit.