Actualités of Saturday, 28 January 2017

Source: cameroon-info.net

Crise anglophone: ce que Joshua Osih reproche à Paul Biya

L'honorable Joshua OSIH, vice-président national du SDF (en jaune) L'honorable Joshua OSIH, vice-président national du SDF (en jaune)

Le vice-président national du SDF dénonce «une entourloupe périphérique». Il estime que l’on ne saurait «proposer une solution administrative à un problème politique profond et critique».

Pour le Député SDF Joshua Osih, la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme ne peut résoudre la crise qui a cours en ce moment dans les Régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Il le dit dans une tribune publiée le 27 janvier 2017 dans le quotidien La Nouvelle Expression.

D’entrée de jeu le numéro deux du premier parti de l’opposition camerounaise dénonce «une entourloupe périphérique qui ne saurait en aucun cas résoudre le problème de fond posé par nos compatriotes anglophones». Et de poursuivre: «On ne saurait soigner une tumeur potentiellement cancéreuse avec le remède de la grippe aviaire. On ne saurait proposer une solution administrative à un problème politique profond et critique».

Joshua Osih soutient que cette commission ne devrait pas avoir d’effet décrispant sur cette crise. Il reproche au Président de la République le fait de n’avoir pas fait une communication à cet effet. Laquelle communication «aurait pu constituer dès le déclenchement de la crise, un déclencheur apaisant à l’endroit des protestataires».

L’élu de la circonscription Wouri Sud réclame aussi un débat national inclusif qui aurait pu être organisé à la suite d’une audience solennelle accordée aux principaux leaders des partis politiques, de la «vraie» société civile.

Joshua Osih pense encore que Paul Biya veut «noyer le poisson» en créant la commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Il émet des doutes même sur la composition et le fonctionnement de cette structure. Selon lui, il ne faut «rien» attendre des 15 membres qui seront nommés. Il croit qu’ils seront tous issus du parti du Président Paul Biya ou en seront des alliés.

«Il ne lui viendra jamais à l’idée de nommer des personnalités reconnues pour leur impartialité, leur intégrité, leur rectitude morale, leur compétence et leur sens élevé du devoir. Il désignera en grande majorité des personnes contrôlables, notamment ceux qu’il tient», déplore Joshua Osih qui ajoute: «le rapport de ladite commission ne sera jamais rendu public puisqu’il a tenu à préciser que le rapport lui sera transmis. Ce qui revient à dire que ce rapport sera éventuellement modifié suivant sa convenance et ses intérêts».

Lire ci-dessous l’intégralité de son commentaire

La création de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme est une entourloupe périphérique qui ne saurait en aucun cas résoudre le problème de fond posé par nos compatriotes anglophones. On ne saurait soigner une tumeur potentiellement cancéreuse avec le remède de la grippe aviaire. On ne saurait proposer une solution administrative à un problème politique profond et critique.

En attendant la mise sur pied du fédéralisme qui est une forme achevée de la décentralisation, les problèmes soulevés par nos compatriotes auraient pu trouver tout au moins un début de solution dans l’application effective de tous les textes liés à la décentralisation notamment la création des conseils régionaux qui, en dehors des domaines de souveraineté tels que la sécurité aux frontières, la monnaie, la sécurité extérieure, la diplomatie ainsi que les normes nationales, ont compétence dans tous les domaines d’activités économique, social, politique et culturel. Cette commission n’aura visiblement aucun effet décrispant sur cette crise. Une communication solennelle du Président de la République à cet effet aurait pu constituer dès le déclenchement de la crise, un déclencheur apaisant à l’endroit des protestataires. Plutôt que de créer cette commission dont les rapports connaitront manifestement le même sort que les précédentes qui ont été enterrées, il aurait dû organiser un débat national inclusif après avoir reçu au cours d’une audience solennelle les principaux leaders des partis politiques, de la société civile – la vraie et non celle masquée derrière les officines du parti-Etat – et du clergé dans son ensemble pour recueillir leurs points de vue sur la situation. Malheureusement pour le pays, M. Biya, en disciple singulier de Machiavel, n’a pas cru devoir se soumettre à ce rituel républicain.

Avec cette commission, M. Biya et ses collaborateurs seront une fois de plus les seuls à définir l’orientation qu’ils voudront bien donner à cette crise qui est pourtant tectonique avec un fort risque d’effet domino. La fonctionnarisation de cette commission au niveau du personnel participe en réalité de la volonté perpétuelle de distribuer les prébendes au niveau de l’Etat centralisé.

Sur un tout autre plan, la mise sur pied de cette commission en 2017 est la preuve de l’inertie caractérisée et sédimentée au sommet de l’Etat. Si le Conseil des ministres – haute instance de suivi, d’évaluation et d’arbitrage des textes en préparation ou déjà adoptés – se tenait à une fréquence régulière, on n’aurait pas eu besoin de créer cette commission budgétivore.

Parlant du multiculturalisme qui fait partie des missions assignées à cette commission, les conseils régionaux ont compétence en matière de promotion des langues et des cultures nationales. En matière de bilinguisme, la loi de 1998 d’orientation de l’éducation prescrit entre autres la promotion du bilinguisme, l’harmonisation des deux sous-systèmes tout en précisant dans l’une de ses dispositions pertinentes que « Le système scolaire est organisé en deux sous-systèmes, l’un anglophone, l’autre francophone, par lequel est réaffirmée l’option nationale du biculturalisme ».

Le problème anglophone est connu. Il ne sert à rien de vouloir noyer le poisson. Parler en ce moment précis du multiculturalisme – qui est de la compétence des conseils régionaux – plutôt que du biculturalisme est fortement révélateur de ce que le régime de M. Biya veut banaliser et généraliser l’une des principales revendications de nos compatriotes anglophones. Ce qui peut avoir pour effet de renforcer leur sentiment d’assimilation par la communauté linguistique francophone. Encore que la loi de 1998 sus-mentionnée indique pourtant que « les deux sous-systèmes coexistent, chacun conservant sa spécificité en matière de certification et d’évaluation ».

Pour ce qui concerne les 15 membres qui seront nommés, il ne faut s’attendre à rien. M. Biya nommera 15 membres directement ou indirectement alliés à son parti. Pourtant un début de sérieux consisterait à ne pas nommer un membre qui a appartenu ou qui appartient à un parti politique. Fidèle à sa conception monarchique du pouvoir, il nommera malheureusement qui il veut.

Il ne lui viendra jamais à l’idée de nommer des personnalités reconnues pour leur impartialité, leur intégrité, leur rectitude morale, leur compétence et leur sens élevé du devoir. Il désignera en grande majorité des personnes contrôlables, notamment ceux qu’il tient. Le rapport de ladite commission ne sera jamais rendu public puisqu’il a tenu à préciser que le rapport lui sera transmis. Ce qui revient à dire que ce rapport sera éventuellement modifié suivant sa convenance et ses intérêts.

Ceux qui croient en cette commission ou en la capacité de M. Biya à effectuer sa mue après 35 ans de règne sans partage font preuve de naïveté politique. Le progrès sous toutes ses formes ne se fera pas avec le système actuel.

Hon. Joshua N. OSIH
Député de la Nation.