Chargé de la communication du collectif des avocats constitués pour la défense des détenus dans le cadre de la crise anglophone, il donne les raisons qui leurs ont poussé à déposer la robe le 15 novembre dernier.
Pourquoi vous avez décidé d’abandonner la défense des personnes arrêtées dans le cadre de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, après plusieurs années de procès pour certains ?
La décision d’abandonner la défense de nos clients n’a pas été facile à prendre. Avant de prendre cette décision, nous avons exprimé notre ras-le-bol le 15 novembre 2021 à cause des violations graves des droits de défenses et de prévenus.
Le 13 octobre 2021, trois de nos clients étaient enlevés de la prison centrale de Kon-dengui sans notre avis. Nous avons tout fait pour nous rapprocher du commissaire du gouvernement, des officiers du Secrétariat d’État à la défense (Sed) pour leur rappeler que c’est inadmissible d’enlever les gens de la prison sans l’avis de leurs avocats. Même si de nouvelles enquêtes devaient être menées contre eux, les prévenus devraient être informés, ainsi que leurs avocats.
Parmi nos clients, il y en a qui ont été interpellés en 2017 et 2018. Cela voudrait dire qu’ils ont passé plus de 5 ans en prison, sans suite pour leur affaire. Au moment où on attendait que tout se passe bien afin que leur affaire passe au tribunal, le commissaire du gouvernement qui ordonne qu’on les fasse sortir pour besoin d’enquête, sans en informer les avocats.
Nous avons écrit au procureur général, qui n’a jamais répondu. Deux des détenus devaient comparaitre au tribunal le 18 octobre, et leur audience n’a pas eu lieu. Le 15 novembre, non plus. Nous avons donc choisit de dire que si on ne les fait pas rentrer à Kondengui, nous ne pouvons pas continuer à accompagner nos clients comme des gens qui accompagnent des bœufs à l’abattoir.
Autre abus, une femme est allée donner de la nourriture à nos clients, mais on l’a arrêté et enfermé pendant une nuit. Il a fallu qu’on monte au créneau pour qu’on la relâche. Dans le même sillage, deux personnes avaient été enlevé de la prison centrale de Kondengui, parce qu’accusés d’avoir ont remis une lettre à un visiteur. On juge nos clients sans la présence de leurs avocats, moins encore d’un interprète, et on leur demande de garder le silence.
Ce n’est pas possible au 21e siècle. Nos clients ont signé des documents sous la contrainte. Ils ont été détenus au sous-sol du service central de recherche judiciaire pendant neuf jours, à un endroit où il y a toujours de l’eau pendant la saison pluvieuse. C’est d’ailleurs ce qui justifie le mouvement d’humeur des détenus de la crise anglophone à la prison centrale de Kondegui, le 23 octobre 2021.
On ne peut pas accompagner l’État du Cameroun à continuer dans la violation des droits des prévenus, des droits humains. La présomption d’innocence tel que prévue par l’article 8 du Code de procédure pénale, l’article 122 du même Code mentionnent qu’on ne peut pas utiliser des moyens peu orthodoxe pour enlever des gens n’importe comment et les entendre. La loi ne le permet pas. L’état de santé de nos clients est critique. Nous avons fait une requête pour qu’on leur accorde des soins par les médecins au choix du gouvernement, tel que prévu par l’article 123 du code de procédure pénale. Ils ont refusé. Jusqu’au moment où je vous parle, ils sont toujours au Sed.
Ce qui nous a poussé à bout, c’est que le parquet n’était pas humble et à continué de nier en disant que tous ce que nous disions n’était pas vrai. C’est donc pour cela que nous avons claqué la porte. Noué.disons que tant que nos clients ne rentrent pas à la prison centrale de Kondengui, nous n’entrerons plus entrer au tribunal dans le cadre de cette affaire.
Un avocat des détenus anglophones a été enfermé pendant 10 jours au Sed, le 29 mai dernier, sans raison. Il a fallu que le monde cri pour qu’il soit libéré. Ça veut dire que même les droits des avocats ne sont pas respectés. J’ai été journaliste avant d’être avocat. Je connais certaines réalités. Ce n’est pas normal que vous voulez causer avec votre client, le gendarme vous rappelle à chaque seconde : il vous reste 5minutes ! Cela vous frustre plus que votre client.
La défense de cette affaire a-t-elle été particulièrement plus difficile que les autres affaires dans lesquelles vous avez jusqu’ici assuré la défense des prévenus ?
Non ! Nous ne sommes pas partis parce que c’est difficile de défendre nos clients. Nous sommes les hommes de droit. Si l’application de notre code de procédure pénale était assurée au Cameroun, c’est que les avocats n’allaient pas se plaindre. Je peux vous dire que le tribunal militaire de Yaoundé se comporte comme un tribunal commandé. Vous savez, un tribunal militaire, c’est le président de la République (PR) qui commande les militaires. Leur justice est toujours sous la commande du PR. C’est pour cela que, quand vous entrez dans la salle d’audience, il y a une photo du PR au-dessus de la collégialité de ce tribunal. Honnêtement, il n’y a rien eu de difficile. Tous ce que nous décrions est la non-application du droit.
Nous tirons simplement une sonnette d’alarme pour dire qu’il y a danger. Nos clients sont condamnés sans preuve. On condamne nos clients avec les procès-verbaux de la police judiciaire. Tout se passe comme si on était au village. Quand l’article 365 dit qu’en cas d’absence de témoins d’accusation, l’affaire ne doit pas continuer, c’est instructif. Mais, le tribunal va faire une lecture contraire à cela. Depuis 2017, je suis au tribunal militaire. Il y a des magistrats qui ne maîtrisent même pas la géographie du Nord:Ouest et Sud-Ouest.
Mais, ils sont là pour condamner juste parce qu’on leur a dit que tel a brûlé la maison de tel. Pourtant ces maisons sont là. Les journalistes peuvent aller vérifier. Finalement, c’est devenu un tribunal de règlement de compte. Je prends le cas de Ngalim Félix. Il est en prison depuis 2016, parce que le témoin d’accusation qui est l’ancien délégué de la sûreté du Nord-Ouest n’arrive pas à venir au tribunal. Dans les normes, les affaires civiles ne devraient pas passer au tribunal militaire. La loi ne le permet pas.
Est-ce que les difficultés que vous dénoncez sont insurmontables?
Les difficultés ne sont pas insurmontables. Si la loi était respectée, tout allait bien se passer. Nous disons que la loi n’est pas respectée. Si c’est insurmontable, ça veut dire qu’il y a problème. Les droits des accusés et des avocats ne sont pas respectés. Comment pensez-vous que l’accusé sera à l’aise, quand son avocat même est menacé de prison. La vie est une succession de complémentarités. Les gendarmes, les policiers, les magistrats, ainsi que les autres corps de métier, doivent chacun, jouer .son rôle.
Mais quand vous vous retrouvez dans une situation où, les gendarmes et les policiers veulent prendre la robe de l’avocat, c’est inadmissible. Savez-vous que les gendarmes et policiers détournent certains justiciables, en leur disant que l’affaire passe devant eux ? Vous allez dans un commissariat, vous trouvez que les policiers sont entrain de négocier les créances. Tout est fait pour dénigrer l’avocat. On veut Montrer au justiciable que l’avocat ne vaut rien. Rappelez-vous, un ministre avait dit que les avocats doivent rester à la maison, et quand ils auront faim, ils iront dans les tribunaux. Si la situation est insurmontable, c’est parce que les droits de la défense sont constamment bafoués.
A partir de quel moment de l’affaire commencent réellement ces problèmes ?
Les difficultés ont commencé dès le début des procès des « ambazoniens ». Nous avons eu tellement des difficultés. Ayuk Tabe a été condamné sans avocat. C’est grave ! C’est une violation grave de la loi. Les gens sont accusés pour des faits de terrorisme, sécession, hostilité contre la partie etc… Visiblement le jugement a été écrit.
On est venu juste délivrer cela au tribunal. La même chose s’est passée à la cours d’appel. Nous sommes en train de vivre une parodie de la justice au Cameroun, depuis 2017. Puisque, ce qui amène les « ambazoniens » est une affaire politique. Donc, on est en train d’utiliser les tribunaux à Yaoundé comme une arme de vengeance. Les difficultés ne commencent pas aujourd’hui, c’est juste qu’une certaine presse oublie vite. Elle ne nous accompagne pas régulièrement
Votre décision arrive un mois environ après une mesure similaire prise par les avocats des prévenus du parti politique Mrc. Est-ce qu’il y a un durcissement des conditions de travail des avocats au Cameroun ?
Nous avons déposé les robes avant les avocats du Mrc. Cette politique ne vient pas du Mouvement de la renaissance du Cameroun(Mrc). Nous sommes des avocats de la Common law. On sait ce qu’on fait. C’est une stratégie pour exposer le fait que le tribunal militaire est incapable de donner justice à nos clients. Nous ne copions pas le Mrc. C’est deux choses différentes. Il s’agit pour nous d’une affaire entre deux identités : le Southern Cameroon et la république du Cameroun. Nous ne sommes pas un cadre d’un parti politique.
On ne peut pas entendre quelqu’un dans un tribunal sans son avocat. C’est une violation de la loi. Même les conventions internationales n’admettent pas cela. Ça ne se fait-pas. Le droit à l’assistance.est consacré par notre Code de procédure pénale et même par la convention que notre pays a ratifié. Nous ne déposons pas la robe parce que les avocats du Mrc ont déposé la robe. Je vous le rappelle qu’on est en train d’utiliser le tribunal militaire comme une arme de vengeance.
Si la situation c’est de quitter les prétoires, vous donnez la possibilité à la justice que beaucoup disent inféodée au pouvoir de bâcler les procès avec le système des commis d’État à la défense des justiciables incapables de s’offrir les services d’un avocat. Est-ce que votre décision n’est pas excessive au point que vous pourriez regretter de les avoir exposés à des procès uniques ?
Dans chaque métier où on prête serment, on devrait tenir compte de nos engagements. J’ai prêté serment dans mon métier. Et quand nous prêtons serment, il faut comprendre que nous avons la vie des gens entre nos mains. Il faut que la conscience prime au-dessus de l’argent. Ça ne nous dérange pas de jeter l’éponge pour une bonne cause. Nous commençons à déposer nos robes depuis le procès, de Ayuk Tabe dans la salle d’audience. Nous ne regrettons pas cette décision. Elle est de droit. Notre décision n’est pas excessive parce que nous pensons que nous sommes dans notre droit.
Quelles sont les conditions que vous posez pour revenir dans les prétoires?
Nous avons posé un certains nombre de conditions. S’ils peuvent remplir cela tant mieux, dans le cas contraire on ne rentre plus au tribunal. Nous voulons simplement que nos trois clients enlevés le 13 octobre à la prison centrale de Kondengui regagnent la prison et on va reprendre nos robes.
Qu’on cesse de stocker nos clients. Que les enquêteurs qui ont pris de l’argent à nos clients en 2017 ramènent cela au tribunal. Que les officiers de la police judiciaire arrêtent d’intimider les gens qui apportent à manger aux détenus. Il faut respecter les droits des avocats. Qu’on laisse le client accusé causer avec son avocat à l’absence du gendarme. La relation entre le client et son avocat est confidentielle.