Actualités of Monday, 11 October 2021

Source: www.bbc.com

Crise du Tigré en Éthiopie : une guerre qui déchire la nation et l'Église chrétienne orthodoxe

Un prêtre devenu combattant Un prêtre devenu combattant

Un moine éthiopien, qui ne portait autrefois que la croix et la Bible dans un pays célèbre pour ses églises taillées dans le roc, prend désormais un fusil pour partir au combat contre les rebelles tigréens dans une guerre qui déchire la nation - et l'Église chrétienne orthodoxe.

"Je me bats avec les deux, la prière et la balle", dit le père Gebremariam Aderaw.

Le moine, dont le nom signifie "serviteur de Marie", s'est engagé dans l'armée éthiopienne, quelques semaines après que le Premier ministre Abiy Ahmed a appelé tous les hommes valides à rejoindre la lutte contre le Front populaire de libération du Tigré (TPLF).

Ce dernier a lancé une rébellion en novembre dans son centre, le Tigré, après s'être brouillé avec M. Abiy au sujet de ses réformes politiques.

"Quand j'ai vu le pays s'effondrer… et les prêtres se faire tuer, j'ai rejoint les forces de défense, croyant qu'il était important de se battre", explique le père Gebremariam à la BBC Amharic.

Il a dit qu'il avait déjà reçu une formation d'une milice dans la région voisine d'Amhara, où il vit.

"Je n'ai pas peur des blessures ou des morts pendant la guerre. Je suis prêt à les accepter tous. Je ne crains que Dieu", ajoute-t-il.

Dans ce qui a été considéré comme une réponse aux forces amhara qui ont capturé des territoires dans le Tigré au début de la guerre, le TPLF a pris le contrôle de plusieurs villes clés dans la région Amhara en août.

Parmi elles, Lalibela, site inscrit au patrimoine mondial de l'humanité et célèbre pour ses églises du XIIe et du XIIIe siècle taillées dans la roche.

"Il y a plus de 700 prêtres à Lalibela, mais ils sont maintenant en difficulté car aucun service n'a lieu en raison du contrôle de la région par le TPLF et ils ne reçoivent pas non plus de salaire", dit Menychle Meseret, universitaire à l'université de Gondar, dans la région d'Amhara.

Des douilles de balles trouvées dans une église

Bien qu'aucune destruction n'ait été signalée à Lalibela, M. Menychle rapporte qu'un certain nombre d'autres églises de la région avaient été pillées de leur argent, de leur nourriture et de leurs manuscrits anciens, signe que le TPLF mène une "guerre totale sans accorder la protection nécessaire aux sites religieux et aux biens culturels".

Les médias d'État ont également rapporté que l'église du Ve siècle de Checheho Medhanialem avait été endommagée par les tirs d'artillerie lourde du TPLF.

L'agence de presse Associated Press indique que son correspondant a vu des douilles de balles gisant sur le sol d'une église endommagée dans le village de Chenna Teklehaymanot, tandis que les habitants ont déclaré que six prêtres figuraient parmi les dizaines de personnes tuées lors d'une attaque du groupe fin août.

Toutes les parties au conflit ont nié à plusieurs reprises avoir commis des atrocités.

Les chrétiens orthodoxes représentent 43 % de la population éthiopienne, ce qui en fait le groupe religieux le plus important et le plus influent du pays. Et le conflit a divisé nombre d'entre eux.

Les religieux du Tigré ont déclaré que l'opération militaire du gouvernement dans le Tigré, qui a été renforcée par des troupes de l'Érythrée voisine, a conduit à l'assassinat d'environ 325 chefs religieux, dont certains de la communauté musulmane minoritaire, et à des attaques contre 12 églises et mosquées au cours des six premiers mois de la guerre.

Abiy a "abandonné la laïcité"

Getachew Assefa, un universitaire basé au Canada qui est un membre éminent de l'église en Amérique du Nord, dit à la BBC qu'il voyait dans ces attaques une tentative de "briser" les Tigréens et de les amener à "s'agenouiller" devant M. Abiy et son allié érythréen, le président Isaias Afwerki.

Le monastère Debre Damo, qui date du VIe siècle et qui est construit sur une falaise abrupte de 24 mètres dans les montagnes du Tigré, fait partie des sites dont les troupes érythréennes auraient pillé les anciens manuscrits et autres trésors culturels.

Le professeur Getachew a déclaré que la guerre avait provoqué une profonde rupture au sein de l'église, la branche du Tigré ayant "officieusement suivi sa propre voie".

"Même dans la diaspora, vous constaterez que les gens ne veulent plus prier ensemble. En Ontario [au Canada], une église a été rebaptisée "Église orthodoxe du Tigré". C'est également arrivé à Philadelphie, aux États-Unis, et en Australie", indique-t-il.

Le professeur Getachew a déclaré que M. Abiy - un chrétien pentecôtiste - s'était écarté du sécularisme qui sous-tendait l'État éthiopien.

"Il présente la guerre qu'il mène comme un combat spirituel. $ Lorsqu'il a parlé de la pression internationale pour mettre fin à la guerre, il a déclaré que le pays était prêt à boire le breuvage amer que Jésus a été forcé de prendre sur la Croix, et qu'à la fin, "nous gagnerons".

"Il tient de tels propos même lors de fêtes religieuses, alors que les gens devraient prier pour la paix", ajoute le professeur Getachew.

L'un des conseillers de M. Abiy, Daniel Kibret, un diacre très apprécié des chrétiens orthodoxes, en particulier des jeunes, a qualifié le TPLF de "satan" qui devrait être "effacé".

"Il ne devrait y avoir aucune terre dans ce pays qui puisse supporter ce genre de mauvaises herbes", dit-il, cité par l'AFP.

Le professeur Getachew explique que le diacre était son ami, mais qu'ils a cessé de communiquer peu après le début de la guerre.

"Je me suis rendu compte de son rôle dans ce qui se passait. Sa rhétorique est génocidaire", ajoute-t-il.

Après que le Département d'État américain a condamné les commentaires du prédicateur comme étant "dangereux" et "haineux", M. Daniel affirme qu'il fait référence à une "organisation terroriste" et non à la population du Tigré.

Le porte-parole de M. Abiy abonde dans ce sens, déclarant à l'AFP qu'il s'agit d'une erreur de traduction de la part de sympathisants du Tigré.

M. Menychle impute le conflit au TPLF, qui a toujours encouragé la "haine" et les politiques de division ethnique.

"On les entend même accuser le Premier ministre d'avoir une vision impérialiste semblable à celle des empereurs Amhara du passé, et de vouloir détruire. C'est de la pure propagande ethnique que le TPLF a utilisée pour inciter les Tigréens à se battre", explique M. Menychle.

Pour le professeur Getachew, seul le dialogue entre le gouvernement et le TPLF peut mettre fin à la guerre.

"Après les massacres et la famine, ils devront négocier", déclare-t-il, ajoutant qu'il espérait que la communauté internationale continuerait à faire pression sur le gouvernement pour qu'il accepte de négocier.

Le patriarche de l'Église, un Tigréen de souche qui a déjà déclaré qu'un génocide était en cours au Tigré, a également appelé à la paix.

"La croix que nous imprimons sur nos vêtements et que nous tatouons sur nos corps n'est pas destinée à la beauté. Tant que le sens de la croix est la paix et la réconciliation, nous devons maintenir la paix et la réconciliation entre nous et avec Dieu", indique Abune Matthias lors d'un grand événement religieux fin septembre.

Mais le père Gebremariam reste sur le pied de guerre, voulant vaincre le TPLF.

"Jusqu'à présent, nous avons essayé dans la prière, et maintenant nous [allons] gagner par les balles. Nous allons enterrer les ennemis de l'Éthiopie et unir l'Éthiopie", ajoute-t-il.