Actualités of Saturday, 19 March 2022

Source: www.camerounweb.com

Crises sociales : Paul Biya invité à changer son logiciel

Il s'agit d'une interpellation Il s'agit d'une interpellation

Malgré les solutions proposées par Paul Biya à travers ses hautes instructions, le secteur social est toujours en ébullition avec la grève des enseignants qui perdure. Plusieurs autres couches sociales menacent d’ores et déjà d’emboîter les pays aux enseignants qui ont totalement paralysé le sceteur éducatif. Pour Léopold Dassi Ndjidjou, Paul Biya devrait obligatoirement changer de logiciel. C’est dans un texte très riche qu’il a fait cette proposition.



A l’observation de la démarche du pouvoir dans le règlement de la grève en milieu scolaire, il est évident que ce dernier est tenu par ses gènes d’autoritarisme. Face à un mouvement fuyant et insaisissable « On a trop supporté (Ots)», acéphale mais omniprésent, le pouvoir a toutes les peines de s’accommoder à la gestion de la grève d’une autre génération.

Le pouvoir camerounais broie du noir avec la grève des enseignants. Le dire ainsi, est assurément un euphémisme. Avec le mouvement Ots, sur la sellette depuis plus de trois semaines, mouvement gréviste dans le secondaire, la société camerounaise dans son ensemble semble emportée vers une autre dynamique. C’est un mouvement acéphale, qui n’a pas de leader incarnant ses idéaux. Contrairement aux grèves antérieures où il fallait une à deux rencontres entre un ministre et les leaders des syndicats pour mettre un terme au débrayage, sans toujours satisfaire aux revendications, en retournant au besoin ces leaders, le pouvoir est là en train de réviser péniblement sa stratégie, subitement désorienté par les manœuvres de Ots. Ce mouvement évite l’affrontement, furtive par excellence, docile en apparence mais déterminé à atteindre ses objectifs. Tous les enseignants sont au même pied d’égalité, sans considération aucune d’ethnie ou de sexe, de religion ou d’âge. Se projetant comme une meute de lycaons frêles, sans force ni moyens connus, ces enseignants essaiment le territoire national, mettant dans tous ses états le pouvoir central de Yaoundé qui a vainement tout tenté. On a commencé par les négociations à la Primature, en présence des cadors du gouvernement, déterminés comme d’habitude, non pas d’apporter une solution définitive à leurs exigences, mais de mettre un terme par tous les moyens à la grève, de la casser. C’est connu, le pouvoir camerounais ne supporte pas le bras de fer. Dans ce sens, est considéré comme un rapport de force tout refus de se soumettre à ses injonctions.
Bientôt un mois que ça dure ! Ots ne tient pas seulement dans ce rapport. Il est en train de menacer de le faire basculer en sa faveur surtout au moment où les enseignants de l’éducation de base sont montés en force pour dire qu’ils étaient en débrayage bien avant Ots. On observera que ce mouvement a réussi le tour de passe-passe d’inviter le président de la République dans le règlement de leurs revendications, pour au finish par deux fois lui rétorquer dans deux lettres ouvertes que les solutions qu’il préconise avec son gouvernement sont insuffisantes ! Un crime de lèse-majesté, en quelque sorte. En agissant sous ce prisme, Ots est en train d’engranger une masse de sympathie au sein de la population alors qu’on se serait attendu au contraire. Ces grévistes ont le vent en poupe et inspirent déjà d’autres corps de métier dans la stratégie de revendications sociales face au pouvoir.

Risques de conflit ouvert

A travers le pays, et répondant à une prescription du patron de l’Administration, les 10 gouverneurs des régions sont à pied d’œuvre avec leurs collaborateurs pour mettre en musique les mesures présidentielles. Comme on le constate, la sensibilisation ne marche pas. Les grévistes sont hermétiques aux sollicitations des autorités administratives leur intimant de reprendre la craie. Entre menaces, manœuvres pour briser cette grève, les autorités ne savent plus à quelle décision se vouer. Tout le monde, entre les acteurs de Ots et les autorités administratives, ont les nerfs à fleur de peau et les mises en garde de recourir à la violence fusent de part et d’autre. Plus la pression est mise sur les enseignants, on a l’impression que mieux ils se soudent. On ne sait plus combien de fois la reprise des cours a été annoncée par les gouvernants. Par ailleurs, le pouvoir en décentralisant la lutte contre cette grève semble malgré lui avoir donné plus de consistance aux revendications des uns et des autres. L’opinion est aujourd’hui ahurie de constater qu’on annonce les reprises de cours çà et là, pour que le lendemain, les démentis formels viennent mettre à nu les contre-vérités accablantes du terrain.

L’unique chose en réalité qui attend le gouvernement est de changer son ancien logiciel de règlement de crise sociale pour se mettre effectivement dans un discours franc empreint de vérité et de réalisme. Ce qui se vit aujourd’hui n’est que la résultante des années de rebuffades, de saupoudrage, de rafistolage, des mesures à la petite semaine pour résoudre les crises antérieures. Or là, il n’y a plus une seule once d’espace pour manœuvrer et endormir les enseignants. Le pouvoir est désormais confronté à lui-même. De ce fait, ni les prisons, ni les licenciements abusifs et massifs des enseignants, qui ne sont rien d’autre que des facettes pâles d’autoritarisme, ne sauraient pousser par la peur les enseignants dans les salles de classe. Et quand bien même ils seraient forcés de reprendre la craie, quel rendement attendrait-on d’eux ? L’éducation de base, a-t-on appris du syndicat national des instituteurs contractuels et maîtres de parents (Snicomp) cette semaine, dispense par exemple depuis près d’un mois les cours les jeudis et les vendredis alors que de lundi à mercredi, il n’y a pas d’enseignements. Les mesures à la sauvette et éparses des différents ministres ne peuvent rien produire si ce n’est qu’ils reviennent à un langage de vérité et de sincérité. C’est connu, la parole de l’homme politique au Cameroun c’est de la chimamelure. Il est temps que nos hommes politiques deviennent intègres dans la parole et les actions, des hommes et des femmes dont seule la parole donnée est déjà un gage. Pour en arriver là, il y a un chemin de croix de repentance à faire. La question n’est plus savoir s’ils le veulent mais bien plus de se demander s’ils peuvent tenir face à une telle obligation. En cette saison, la roublardise ne produit que des « Ots » en puissance. Face à Ots, il faut des hommes et des femmes de qualité, des hommes intègres, qui ont un sens moral élevé de chose publique. C’est dire que le pouvoir doit changer son logiciel de règlement de crise sociale en s’ouvrant au souffle de probité tous azimuts qui seul peut influencer Ots. Le temps urge et à force des initiatives individuelles pour fragiliser les enseignants, les membres du gouvernement s’embourbent dans la farine de toutes parts. A bien observer, tout ce regain d’activités pour résoudre les revendications des enseignants est perçu au sein de l’opinion comme une campagne d’enfumage pour mieux faire passer la procrastination, la remise à demain de ce qui peut être fait aujourd’hui, une volonté affirmée de mâter toute tentative de s’opposer aux entreprises de la classe gouvernante. Qu’on se souvienne ! Depuis les années de braise, au début des années nonante, on n’avait plus vu le pouvoir se mêler les pédales comme il le fait aujourd’hui, dans la recherche d’une solution à quelconque grogne sociale. La thérapie avait été toute trouvée, gardée au frais pour ceux ou celles qui oseraient lever la tête : le monopole de la violence légitime de l’Etat. Avec Ots, tout a changé car il faut un supplément d’homme, un cœur empreint d’humanisme.

Par Léopold DASSI NDJIDJOU