Actualités of Friday, 3 June 2022

Source: Kalara

Curiosité : le parquet de Yaoundé bloque un détenu en prison pourtant libéré depuis 2 ans

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Etogo Mbassi Etienne Vicky, 34 ans, fonctionnaire en service au ministère des Finances, est au centre d’une histoire assez curieuse. Incarcéré à la prison centrale de Yaoundé – Kondengui depuis le 22 juillet 2019, il fait des mains et des pieds depuis l’année dernière pour être remis en liberté. Le 10 novembre 2020, pourtant, le président du Tribunal de grande instance du Mfoundi, agissant comme juge des libertés au cours d’une procédure judiciaire dite d’Habeas Corpus, avait ordonné justement sa sortie de prison. Mais cette sentence, devenue définitive, n’a jamais été exécutée en dépit des interventions de son avocat, Maître Zacharias Ashu Obi Tambe. Dans une lettre adressée à M. le procureur de la République près le TGI du Mfoundi (en copie), le 24 décembre dernier, la situation lui avait encore été soumise. Rien n’a changé jusqu’ici pour le fonctionnaire du Minfi, créant une situation inédite dans les annales judiciaires du pays.

Guichetier à la perception de Yaoundé III (Ngoa-Ekelle) dans la période de 2013 à 2017, M. Etogo Mbassi s’était retrouvé avec 24 autres fonctionnaires du ministère des Finances au cœur d’une procédure judiciaire devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Il était reproché à tous ces employés de l’Etat d’avoir porté atteinte à la fortune publique «en payant de nouveau à leur profit des bons de caisse qui avaient déjà fait l’objet d’un paiement antérieur pour les agents en service à la Trésorerie générale ainsi que de faux bons pour les agents des perceptions de Yaoundé I et Yaoundé III». Le pot aux roses avait été découvert par le Trésorier payeur général (TPG) de Yaoundé. Et suite à une plainte de ce dernier, un contrôle avait été effectué en novembre 2013, et avait imputé des faits aux mis en cause, lesquels allaient être renvoyés en jugement après enquête devant le TCS.

Il se trouve que tout au long de l’enquête judiciaire, dix accusés sur les 25 renvoyés finalement en jugement, sont déclarés en fuite. Parmi eux, M. Etogo Mbassi. Le 10 juin 2015, lorsque l’affaire est appelée pour la première fois devant la barre, l’ancien guichetier de la perception de Ngoa-Ekelle brille encore par son absence. Il sera jugé par coutumace. Au moment de rendre son verdict, le TCS retient contre lui les faits de «faux en écritures publiques et authentiques ainsi que de détournement de deniers publics de la somme de soixante-dix millions trois cent soixante-six mille neuf cent vingt-trois (70.366.923) francs par le paiement de faux bons de caisse par lui fabriqués». Au début de l’affaire, avant l’enquête, révèlent les juges dans leur décision, il avait été demandé à M. Etogo Mbassi de rembourser la somme de 7,2 millions de francs. Ce dernier avait versé un acompte de 850 mille francs avant de prendre la fuite suite à sa convocation par le juge d’instruction.

701 millions de francs

Comme les neuf autres accusés déclarés en fuite, M. Etogo Mbassi sera reconnu coupable de l’ensemble des faits mis à sa charge. Dans leur décision rendue le 9 septembre 2016, les juges soutiennent que sa fuite «prouve à suffire que non seulement il ne dispose d’aucun argument apte à contester la pertinence des accusations portées contre lui, mais encore qu’il avait conscience du caractère repréhensible de ses actes». Logiquement, en principe, les accusés reconnus coupables de détournement de deniers publics après un procès par coutumace écopent d’une peine d’emprisonnement à vie. Sauf que la version définitive de l’arrêt des juges du TCS omet de préciser la peine privative de liberté prononcée contre l’ancien guichetier de la perception de Ngoa-Ekelle et tous les autres accusés déclarés en fuite. C’est une omission lourde de conséquences.

Au total, le tribunal condamne quand même l’ensemble des accusés déclarés coupables à payer à l’Etat une somme globale de 701 millions de francs, dont un peu plus de 70 millions de francs pour M. Etogo Mbassi seul. Le tribunal fixe à 2 ans et 6 mois la durée de la contrainte par corps afférente aux dommages et intérêts prononcées au profit de l’Etat. Des mandats d’incarcération sont décernés contre chacun des condamnés, notamment pour le paiement des dépens (frais de justice) évalués à un peu plus de 36 millions de francs. Les juges décident une contrainte par corps (emprisonnement) de 5 ans au détriment de chacun des condamnés en cas de non-paiement de ces dépens. La sentence du TCS va devenir définitive.

En juillet 2019, presque trois ans après cette sentence, l’affaire rebondit avec l’interpellation de M. Etogo Mbassi. Ce dernier est appréhendé par les agents du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS, en exécution des mandats décernés contre sa personne. Lorsqu’il est jeté en prison, il prend profondément connaissance de la décision rendue dans son affaire et découvre l’omission de la peine d’emprisonnement qui le concerne dans la formulation définitive de l’arrêt du TCS. C’est une situation qu’il va exploiter. Avec l’appui de son avocat, il va introduire une requête en libération immédiate devant le président du TGI du Mfoundi, juge des libertés. Naturellement, le parquet est son adversaire dans cette procédure.

Lorsque les débats s’ouvrent, l’avocat de l’ancien guichetier de la perception de Ngoa-Ekelle va soutenir que son client n’a jamais été en fuite, expliquant qu’il avait été affecté à un autre poste, à l’Impm, depuis 2017, ignorant tout de la procédure pénale contre lui au TCS. Il met sur le compte d’un «montage orchestré par des individus encore à découvrir», la condamnation prononcée par le TCS. Il souligne de deux traits l’absence de la peine privatise de liberté prononcée par le TCS contre M. Etogo Mbassi dans la sentence des juges. Pour lui, son client fait l’objet d’une «détention illégale» conformément aux dispositions de l’article 584 du Code de procédure pénale. Il demande que ce dernier soit remis en liberté.

Erreur matérielle…

Selon l’Article 584 en question, «le président du tribunal de grande instance du lieu d’arrestation ou de détention d’une personne ou tout autre magistrat du siège dudit tribunal désigné par lui, est compétent pour connaître des requêtes en libération immédiate fondées sur l’illégalité d’une arrestation ou d’une détention ou l’inobservation des formalités prescrites par la loi». Cet argumentaire n’est pas partagé par le procureur de la République, qui met sur le dos de «l’erreur matérielle» l’absence de la peine privative de liberté sur la décision de justice. Il évoque pour cela un extrait du plumitif de l’affaire qui porte la mention de «l’emprisonnement à vie» prononcé contre tous les accusés absents, dont M. Etogo Mbassi. Le procureur de la République annonce d’ailleurs que la Cour suprême ne manquera pas de rattraper l’erreur matérielle décriée lors du réexamen de l’affaire.

Le juge des liberté va prendre le contre-pied du parquet dans sa décision : «Aucune peine concernant Etogo Mbassi Etienne Vicky ne ressort de l’arrêt querellé, ce qui revient à une absence de condamnation, laquelle ne saurait résulter du plumitif plutôt que de l’arrêt», dit-il, avant d’ajouter «(qu’il) n’a par ailleurs pas été décerné de mandat d’arrêt contre lui (Etogo Mbassi), et il y a absence de titre permettant son arrestation, conduisant à l’inexécutabilité de l’arrêt sur lui en l’état». La conclusion de sa démonstration va dans le même sens : «Les formalités légales conduisant à l’existence du titre de détention utilisé n’ayant pas été observées, les conditions de l’article 584 du Code de procédure pénale sont remplies et il échet d’interrompre la privation de liberté de ce détenu, en ordonnant sa libération immédiate s’il n’est détenu pour autre cause».

La décision du juge des libertés ainsi rendue n’a jamais été exécutée, bien qu’elle soit devenue définitive. En mauvais perdant, le parquet refuse de se plier à la loi, se mettant ainsi au-dessus du juge et de la loi.
A propos des notes d’audience et du jugement

L’intégralité de l’article 389 du Code de procédure pénale

(1) Tout jugement comprend trois parties : les qualités, les motifs et le dispositif.

(2) La partie du jugement appelée «qualités» indique :

a) la date de prononcé du jugement ;
b) le nom de la juridiction ;
c) les nom et prénoms des membres de la juridiction ;
d) les nom, prénoms et âge de l’interprète ;
e) la mention de la prestation du serment de l’interprète ;
f) les nom, prénoms et âge du prévenu et, s’il y a lieu, les nom et prénoms de son conseil ;
g) les noms et prénoms des autres parties et, s’il y a lieu, de leurs conseils ;
h) les nom et prénoms des témoins.

(3) La partie du jugement appelée «motifs» énonce les raisons de fait et de droit qui servent de base au jugement. Elle porte sur l’action publique et, le cas échéant, sur l’action civile.

Dans les motifs, le Tribunal doit discuter chaque chef de prévention et répondre aux conclusions dont il est saisi.

(4) La partie du jugement appelée «dispositif» indique la nature du jugement, le degré de la juridiction, la déclaration de culpabilité ou de non-culpabilité.

En cas de culpabilité, le dispositif énonce l’infraction retenue, les dispositions légales appliquées, la peine prononcée et, le cas échéant, les condamnations civiles.

En cas de non-culpabilité, les dispositions des articles 395 et 400 du présent Code sont applicables.

En outre, le dispositif liquide les frais de justice et mentionne l’avertissement prévu à l’article 399.

(5) En cas de collégialité, le juge ayant une opinion dissidente peut la formuler par écrit et la verser au dossier de procédure.

(6) Le Président donne lecture du jugement en audience publique.

(7) Les formalités prévues au présent article sont prescrites à peine de nullité du jugement.