Les communautés africaines d’Europe et d’Amérique organisent régulièrement des évènements festifs au cours desquels leurs valeurs culturelles sont mises en évidence. Musique, chant, danse, cuisine exotique... rehaussent alors l’ambiance tropicale pour le grand bonheur du public. Sauf qu’autour de tels évènements, l’on n’est pas totalement à l’abri d’une mauvaise surprise.
Le décès tragique d’une Camerounaise survenue le 25 novembre dernier lors d’une soirée dansante organisée à Zurich (Suisse) nous interpelle en ce sens. L’on se rend très vite compte que des mesures sanitaires préventives sont nécessaires pour parer à un éventuel drame humain lors desdites réjouissances. La formation aux premiers soins devient ainsi un besoin urgent.
Laure TCHAMKAM est une infirmière en exercice au sein du Service de Soins Intensifs et d’Urgences (SISU) du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Liège. Contactée par la rédaction de Camer.be, cette spécialiste en science de la santé publique dit toute son émotion face au récent drame de Zurich et propose son expérience de terrain. Interview.
Madame Laure TCHAMKAM, vous êtes infirmière en exercice au sein du Service de Soins Intensifs et d’Urgences du CHU de Liège, c’est en Belgique. Pouvez-vous décrire votre travail en quelques mots ?
Bonjour monsieur Hermann, tout d’abord je remercie l’ensemble de l’équipe du journal international Camer.be de m’avoir accordé cette interview.
Effectivement je suis infirmière spécialisée en soins intensifs et aide médical (SIAMU) depuis 2007, sortie de la Haute-Ecole de Mons-Borinage Centre. J’exerce depuis 2012 au sein des services de réanimation et d’urgence au CHU de Liège.
Le métier d’infirmière SIAMU est un métier à la fois passionnant mais nécessitant beaucoup de bons sens de la part de l’infirmière car elle ou il est soumis(e) à plus de responsabilités. Contrairement aux infirmières en salle banalisée (que je respecte beaucoup vu leur charge de travail et leurs organisations), l’infirmière SIAMU est soumise à une liste d’actes un peu plus conséquente, avec des protocoles à l’appui, lui permettant d’utiliser des drogues tels que : l’adrénaline lors d’une réanimation, l’analyse des tracés ECG (électrocardiogramme, ndlr) et administrer des chocs électriques si nécessaire, voir même intuber le patient, effectuer et analyser des prélèvements sanguins artériels.
Par ailleurs, elle doit aussi avoir des mots justes afin de soutenir psychologiquement, conseiller les familles des patients en détresse et voir même gérer des situations de fin de vie et de dons d’organes.
Nous vous contactons en effet à la suite d'un fait de l'actualité récent. Il s'agit en effet, des images tragiques du décès d’une camerounaise survenue le 25 novembre dernier lors d’une soirée dansante à Zurich (Suisse), images qui ont ensuite fait le tour des réseaux sociaux. Comment avez-vous appris cette nouvelle horrible et quelle est votre réaction ?
J’ai appris cette nouvelle par l’intermédiaire des médias sociaux. En tombant au tout hasard sur une vidéo que quelqu’un avait partagé sur Facebook. Au début, je croyais qu’il s’agissait d’un simple concours de danse ! L’une d’elle après avoir esquissée un excellent pas de danse, montrant son derrière sur le clip ELOKO de Fally Ipupa, a fait une chute vers l’arrière. À ma grande surprise, d’aucunes lui ont tenu la main en lui demandant de se lever, tandis que d’autres continuaient à danser et à filmer la scène comme si de rien n’était. J’ai été personnellement choquée et prise même de colère par l’attitude de certaines personnes, face à cette détresse. Avant de me ressaisir et réfléchir plus profondément sur la question.
Sur la vidéo postée par un internaute qui a visiblement vécu la scène en directe, l’on constate et vous le relevez très bien, un certain manque de réaction dans le chef des personnes qui entouraient la victime lors du drame. Près de deux minutes de temps se sont écoulées sans aucune prise en charge alors que la victime agonisait au sol. Cette attitude est encore plus interpellant pour le personnel de santé que vous êtes !
Absolument ! Les gestes de premiers secours (RCP de base ou BLS) sont censés être accessibles à monsieur tout le monde dans un pays occidental ; quel que soit son statut social, économique, culturel… Il faut juste avoir un peu de volonté pour se mettre au point et s’intéresser vraiment à la question.
Pour nous professionnelle de la santé formée à des démarches beaucoup plus avancées, il semble évident et logique que le BLS (basic life support) est connu du grand public dans les pays développés. Voir la chute de cette fille sans aucune réaction « correcte » (ne serait-ce qu’un appel à l’aide) reste choquant pour moi !
Lorsque vous regardez ces images-vidéos, vous-pensez que la chute et puis le décès de cette compatriote peuvent être dus à quoi ?
Ouf ! Je ne peux pas vous donner une cause au volet tant qu’une autopsie réalisée par un médecin légiste ne l’aura pas établie avec exactitude.
En général la théorie classe les causes réversibles d’un arrêt cardiaque par des moyens mnémotechniques qui peuvent se résumer en 4H et 4T à savoir :
4H : Hypovolémie, Hypo/hyperthermie, Hypo/Hyperkaliémie (ioniques et métaboliques), Hypoxie
4T : Tamponade, pneumoThorax sous tension, Toxique, Thrombose.
Ce sont des notions très théoriques qu’un professionnel de la santé pourrait vous en détailler beaucoup plus si vous le souhaitez ; et bien sur les causes irréversibles.
En fond sonore de la vidéo, on entend une dame déclarée qu’il faut conduire la victime à l’extérieur de la salle afin qu’elle prenne une bouffée d’air. Était-ce vraiment une solution dans ce contexte ?
Dans ce contexte, je dirais oui et non ! Car la phase d’agonie est déjà un processus bien engagé ; et le temps de canard que nous traversons en ce moment n’aurait pas non plus vraiment plaidé à son avantage. Il est vrai que chaque seconde compte lors d’un ARCA. Il a été scientifiquement prouvé qu’un cerveau privé d’oxygène pendant plus de 3 min est un cerveau mort. Il faut juste agir en appelant à l’aide autour de soi si on ne maitrise pas la situation, des secours le plus rapidement possible et sans tarder, installer la victime en décubitus dorsale, effectuer un bilan préalable et masser… Je ne vais pas faire un cours ici.
Comment les participants à cette cérémonie de Zurich devaient-ils réagir concrètement face à la chute de cette dame ?
Il n’y a pas de formule magique, ou de recette toute faite ! Loin de se positionner en donneuse de leçon, en sauveur, car je n’y étais pas ! Et pour rester dans la même logique d’idées, les études récentes ont montré que la RCP précoce était fondamentale pour augmenter le taux de survie des victimes d’ARCA.
Est-ce que ce type de tragédie est courant ? Avez-vous connu des cas similaires dans le cadre de votre profession ou ailleurs dans d’autres contextes ?
Chaque jour, on dénombre en moyenne 30 personnes victimes d’un arrêt cardiaque hors d’un hôpital sans compter d’autres cas qui peuvent tourner en ARCA en Belgique. En milieu intra-hospitalier cela fait partie intégrante du métier de l’infirmière SIAMU et des médecins réanimateurs et urgentistes, les hôpitaux disposent en plus de ces services en général des unités de déchocage, ainsi que des services mobiles de réanimation en interne.
En ce qui me concerne, hormis le cadre de mon travail, j’en ai connu environ 4 chutes selon différentes circonstances.
Comment vivent les proches de la victime après un tel drame ?
Comme toute perte de vie humaine, c’est un effondrement total ! Le deuil quoi ! Encore plus compliquée par le fait qu’elle soit subite. Ce qui pourrait allonger le processus d’acceptation.
Certains peuvent même nous en vouloir, de ne pas avoir fait tout notre possible pour sauver la victime.
Face à ce drame, vous n’êtes pas restée les bras croisés. Vous avez immédiatement lancé une démarche baptisée « RCP-AFRIQUE ». De quoi s’agit-il exactement ?
Oh oui ! C’est une association de professionnels de la santé médecins, infirmiers, sages-femmes, secouristes, aides-soignants, ambulanciers,… avec pour but essentiel la sensibilisation, la formation, l’éducation des africains de la diaspora, de l’Afrique ainsi que les Afro-descendants via des séances de formation théorico/pratiques, les campagnes via des médias, voir même via l’usage des technologies actuelles, aux « gestes de premiers secours pour tous ».
A qui s’adresse votre initiative ?
A la population africaine de la diaspora, aux afro descendants, caraïbes… pour la formation de la RCP de base, et aux professionnels de la santé (tous domaines confondus) pour la formation de la RCP avancée en insistant sur des cas particuliers tels que : l’AVC, le polytraumatisé, le noyé, l’enfant, la femme enceinte, … et bien sûr à nos frères et sœurs du continent.
Il est évident que le milieu africain de la diaspora qui est pour l’instant très peu desservi devrait bouger en matière de connaissance et d’attitude à avoir face à la question de réanimation cardiopulmonaire doit. Les organisateurs des soirées de gala en Belgique, les programmateurs des évènements sportifs en Allemagne... peuvent-ils faire appel à votre expertise ?
Bien sûr ! Cette initiative s’adresse aussi aux organisateurs d’évènements, de soirées, des associations, des réunions (formels ou informels), des cafés/bars/restaurants, et bien d’autres. Nous sommes ouverts et à l’écoute de leurs préoccupations et propositions. Et nous espérons une bonne diffusion de nos activités dans le milieu.