La double défaite des équipes nationales du football du Cameroun mardi dernier (A et moins de 23 ans), a mis en lumière les réactions symptomatiques de la schizophrénie qui gagne une frange importante de l’opinion publique. Des pistes de relèvement.
La schizophrénie est un trouble psychotique chronique qui peut affecter la compréhension du monde de la personne atteinte et sa façon d'interagir avec les autres. Ainsi dit, en ce moment, les Camerounais n’ont pas encore fini de s’offrir en spectacle surtout suite à la défaite des Lions indomptables à Soweto face à la modeste équipe de Namibie, classée 113ème de la planète foot. L’opinion ne décolère pas de cette défaite et c’est compréhensible avec l’espoir né de la victoire face au Brésil au mondial qatari en fin d’année dernière. Mais, là où le bât blesse, là où les symptômes de la schizophrénie se manifestent dans toute leur vigueur, est la formulation des solutions pour remédier à cette dérive de l’équipe fanion qui fait tant la fierté des Camerounais. Au cœur du dilemme, Rigobert Song, le patron du banc de touche, le gestionnaire technique de l’équipe est de ce fait le responsable numéro un de cette débâcle. S’il y a des voix nombreuses qui se lèvent pour exiger son départ à l’immédiat, échaudées par les bourdes avant et au cours du mondial (la non sélection de Michaël Ngadeu, le départ de la tanière d’André Onana qui contestait ses choix tactiques), d’autres encore peut-être plus nombreuses, clament l’innocence du sélectionneur et prescrivent son maintien en poste ! Sont-ce les mêmes citoyens qui sont montés au créneau pour réclamer le départ sans délai du Portugais Antonio Conceiçao à la fin de Coupe d’Afrique des Nations (Can Total Energies 2021, jouée en janvier et février 2022 au Cameroun ? Le coach portugais et ses poulains avaient hissé le pays organisateur au 3ème rang et étaient encore en lice pour la coupe du monde, ayant pris le dessus sur la Côte d’Ivoire, son concurrent immédiat en poule. C’est ce Conceiçao là qui fut limogé pour insuffisance de résultats sous les acclamations nourries de l’opinion. Il y eut très de désapprobations, l’effet Samuel Eto’o engourdissant toute lucidité ou plutôt le fantasme collectif pour les lendemains enchanteurs du football au Cameroun ayant pris le dessus sur toute possibilité de questionnements logiques. Depuis lors, Rigobert Song qui a pris la relève, est à tout point de vue moins efficace que le Portugais. En 24 matchs joués, ce dernier totalise 14 victoires, 8 matchs nuls et 2 défaites. Quant à l’actuel coach, en 12 matchs, il n’engrange que 3 victoires, 4 matchs nuls et jusqu’à 5 défaites. Dans cette dynamique, on peut supposer qu’en 24 matchs comme le Portugais, il aurait plus ou moins 6 victoires, 8 matchs nuls et 10 défaites. Cette comparaison des statistiques indique clairement que le Portugais est plus efficace, compétent. Si donc ce dernier a été chassé sans préavis avec un tel résultat, comment comprendre qu’il y ait des Camerounais qui mettent en garde contre un licenciement de l’ancien capitaine des Lions indomptables ?
Ces réactions schizophrènes
Pourquoi Rigobert Song peut-il être maintenu à son poste en dépit de ces piètres résultats ? C’est ici que l’opinion publique sombre dans l’irrationnelle comme si elle était déconnectée de la compréhension des prérequis qui fondent les victoires sportives. On reconnaît les bons coaches à travers le monde du football par les résultats. De ce point de vue, le Camerounais devrait abandonner la partie comme il en fut de Conceiçao mais que disent certains citoyens ? Ils s’opposent à coup sûr parce que premièrement, Rigo est Camerounais et bien plus encore, le capitaine emblématique de l’équipe fanion pendant plus d’une dizaine d’années. De ce fait, il est une icône dont certains s’interdisent d’oser critiquer en dépit de ses résultats plus que médiocres. Cette attitude qui s’apparente à un chauvinisme primaire n’est en réalité qu’un apparentement à un trouble psychique, dirait-on, qui frappe nombre des Camerounais et les inhibent à saisir le bon bout pour sortir des situations difficiles. Dans cette disposition d’esprit, il faut constater que ceux des compatriotes qui se comportent de la sorte sont enfermés dans leur logique et s’interdisent à tout débat, confortés définitivement qu’il s’agit d’un complot ourdi contre Rigo, par « une bande de haineux jaloux ». A ceux-là, il convient de demander comment fait-on pour sortir de cette impasse ? Les arguments foisonnent et choquent. Ecoutez ! « Le Cameroun c’est le Cameroun, nous irons à Abidjan ! », « ça va s’arranger », « Rigo a besoin du temps comme l’a eu Aliou Cissé au Sénégal ! », « même le Brésil a perdu face au Maroc ». Cette amnésie qui atteint pleinement les masses, tend à devenir le mal le plus partagé dans les débats au Cameroun, où les échecs d’hier n’éclairent pas la réflexion d’aujourd’hui ; où les enseignements d’hier n’influencent en rien notre posture d’aujourd’hui. Le Cameroun se souvient-il de la raison du départ du coach portugais ? A défaut de ce retour sur les agissements d’hier, on entend et voit des vertes et des pas mûres. D’aucuns estiment même, toute honte bue, qu’il s’agit d’une chasse aux Bassas, précisément contre Song et Eto’o. Peut-on y desceller quelque logique pour avancer l’équipe nationale ? Qu’est-ce qui trouble l’opinion sur le chemin de la lucidité à ce point ? Même en face, dans le camp de ceux qui souhaitent le départ à l’immédiat du coach, il ne manque pas de voix acerbes qui lancent « mieux on ne joue plus au foot » ! Comme on le constate, les arguments sont déconnectés du chemin logique d’améliorer les résultats de l’équipe nationale. Personne ne l’oublie, les Camerounais dans une grande majorité ont décidé de confier la gestion de leur football aux nationaux. C’est dans cette volonté qu’est intervenue la nomination de Rigo au banc de touche des Lions. L’espoir suscité par sa nomination est en train de s’évanouir au fil des matchs.
Rigo, deviens le coach !
On voit bien que Rigobert Song peine à entrer dans les vêtements du coach du Cameroun. Quand bien même il faudrait le maintenir à son poste, il y a lieu d’indiquer qu’il urge pour lui de changer sa mise en public, son habilement parfois iconoclaste qui peut froisser ses collaborateurs ou ses joueurs. Un coach doit bien sûr être complice avec ses joueurs mais de plus en plus dans le football moderne, il a de l’ascendant sur ces derniers. C’est de ce fait une question de personnalité à bâtir pour que le respect soit intact dans la tanière et sur le terrain. Il y a deux faits qui montrent que de ce point de vue, Song affiche des insuffisances. Ses démêlés avec André Onana étaient déjà en soi une alerte forte qu’il y avait le feu dans la maison. En ce temps-là, on avait vite fait de crucifier le gardien, le jetant à la vindicte populaire comme un jouer orgueilleux et irrévérencieux. Dans toutes les équipes, il y a des grosses têtes, qui l’affirment et l’affichent parce qu’elles savent et montrent ce qu’elles valent ! Devrait-on pour autant toutes les couper ? C’est ce que Rigo nous a montré en chassant Onana. L’entraîneur n’est pas un réactionnaire, ce n’est pas une star en herbe qui dispute la grandeur avec ses joueurs ! Il sait pertinemment ce qu’il tire de chaque joueur indépendamment de son caractère pour construire la victoire. Ici, l’entraîneur a le doigt sur la gâchette, prêt à flinguer à la moindre incartade. Bien sûr que le coach doit raboter les égos, mais il doit aussi le faire gentiment, avec méthode ! Rigo à l’évidence vit encore en star, avec tous les caprices qui vont avec. Ce n’est pas devant ses joueurs qu’il devrait faire valoir cet état de chose ! Cela doit se faire valoir devant ceux qui l’on nommés, à son envie. Il devrait donc enterrer à jamais son passé de capitaine, ses exploits pour mieux rentrer dans ses habits neufs d’entraîneur qu’il peine à enfiler. La deuxième chose qui fragilise Rigobert Song est la posture du président de la Fecafoot qui prend trop de place, laissant comprendre par-là, surtout aux joueurs, que Rigo est placé directement sous sa botte. On le sait mais faut-il en rajouter en venant exprimer son mécontentement dans les vestiaires comme Eto’o l’a fait en Tanzanie ? Il n’en a pas besoin, car il est Eto’o Fils, et un moindre geste suffit à saper toute l’autorité de son coach et de le présenter désormais comme un pantin à sa solde. Or l’équipe du Cameroun n’a nullement besoin d’un pantin au banc de touche, elle a besoin d’un monsieur au caractère affirmé prêt à mourir pour ses choix. Si Rigo l’intègre, probablement qu’il prendrait plus conscience de la tâche qui est réellement la sienne. Samuel Eto’o a été élu, pas avec Song, mais lui seul. Il défend seul son mandat et peut à tout moment sacrifier le coach en cas de résultats insuffisants. De ce fait, en principe, le banc de touche aurait déjà donné sa démission pour couper court à la polémique. Cette dimension-là, fort malheureusement, est encore à venir. Au Cameroun, on ne sait pas jeter l’éponge, on ne sait pas tirer les conséquences d’un échec patent, en quittant les choses.
Les états généraux du football camerounais
Le président de la Fecafoot devrait tirer des enseignements froids de la direction que prend le football camerounais. La double défaite de mardi dernier n’est pas anodine. Elle doit être perçue et interpréter à Tsinga comme un violent coup d’arrêt au vent d’espoir suscité par l’arrivée du Pichichi au perchoir. Les équipes nationales de football sont en peine. Mardi dernier, les Camerounais ont constaté avec ahurissement l’élimination des moins de 23 ans de la Can de leur catégorie. De ce fait, il y a lieu de faire un examen réel de ce qui se passe exactement dans ces équipes. Au niveau des clubs, la situation n’est guère reluisante en dépit des bonnes initiatives prises par Samuel Eto’o à son arrivée. Ainsi, la débâcle humiliante de Coton Sport de Garoua en campagne africaine en dit long. C’est de toute évidence la vitrine de la nouvelle politique du président de l’instance faîtière du football qui se manifeste dans les clubs. A côté des clubs, il y a l’épineuse question des agents des joueurs. Il se susurre que les rapports entre lui et ces derniers sont des plus désastreux. C’est un point à voir. Par ailleurs, il y a l’entretien des stades du championnat, en attendant que l’équipe de Joseph Antoine Bell se mette résolument au travail. On a vu que le stade Ahmadou Ahidjo avait perdu de toute sa superbe un an à peine après la Can. Les stades annexes, à l’exemple de celui d’Olembé tombent chaque jour un peu plus en ruine. Que dire de l’arbitrage ? Ces derniers temps, on a vu un regain de violence sur les arbitres comme à Bafang et ailleurs. Bien plus, on assiste à une inflation de plus en plus croissante de la contestation des décisions des arbitres. Ces signaux devraient suffire à éclairer la nouvelle équipe exécutive de la Fécafoot de la nécessité de battre le rappel des troupes de tous les acteurs du football. A un tel sommet, le grand gagnant serait le football camerounais et la légitimité de Samuel Eto’o renforcée. Il convient de fumer le chalumet de la paix. Il est réel, les contre-performances peuvent être entretenues par les adversaires du patron de la Fecafoot, ce qui signifie en clair, à tout au moins, que l’exécutif actuel a besoin d’un compromis pour maintenir la dragée haute.