La capitale camerounaise croule sous les ordures. Les tas d'immondices qui jonchent ses rues et carrefours ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d'un enchevêtrement de dysfonctionnements administratifs et de contraintes budgétaires qui paralysent la gestion des déchets urbains.
Selon le Code général des collectivités territoriales décentralisées de 2019, la responsabilité de la salubrité urbaine est partagée entre différentes entités. Les communes d'arrondissement sont chargées du "nettoiement des rues, chemins et espaces publics communaux", de "la lutte contre l'insalubrité, les pollutions et les nuisances", ainsi que de "la pré-collecte et la gestion au niveau local des ordures ménagères". La Communauté urbaine de Yaoundé (CUY), quant à elle, détient des compétences exclusives concernant "le nettoyage des routes nationales, régionales et départementales", et surtout "la collecte, l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères".
Face à l'absence de ressources humaines, techniques et logistiques suffisantes, la CUY délègue ce service public à des partenaires privés tout en conservant un droit de regard sur leurs activités. Cependant, cette organisation théoriquement fonctionnelle s'est heurtée à une réalité administrative chaotique au cours de l'année écoulée.
L'expiration des précédents contrats de collecte d'ordures le 31 décembre 2023 a plongé la capitale dans une situation d'incertitude. La procédure de recrutement de nouveaux opérateurs, lancée par la CUY, s'est enlisée dans des lenteurs administratives pour n'aboutir qu'en décembre 2024. Et lorsque le maire de la ville s'apprêtait enfin à signer le contrat avec Hysacam, l'Agence de régulation des marchés publics a demandé de suspendre la procédure suite à la contestation d'un soumissionnaire évincé dénonçant des irrégularités.
Ce n'est qu'au début du mois de mars 2025 que le contrat avec Hysacam a finalement été signé, laissant la ville sans prestataire officiel pendant plus d'un an. Plus préoccupant encore, les communes d'arrondissement de Yaoundé 3 et Yaoundé 6 demeurent à ce jour sans opérateur attitré, le lot les concernant ayant été déclaré infructueux.
Au-delà des blocages administratifs, le problème fondamental réside dans l'insuffisance des ressources allouées à la gestion des déchets. Une étude de la Banque mondiale datant de 2016 évalue à près de 16 milliards de FCFA par an le budget nécessaire pour maintenir Yaoundé dans un état de propreté acceptable. Pourtant, l'enveloppe actuellement disponible – financée à 85% par le ministère des Finances et à 15% par la CUY – n'atteint que la moitié de ce montant.
Cette contrainte budgétaire a des conséquences directes sur le terrain : alors que la capitale produit quotidiennement environ 3000 tonnes d'ordures, les cahiers des charges des opérateurs, établis en fonction des moyens disponibles, ne prévoient la collecte que de 1600 tonnes environ. Ce déficit structurel de 1400 tonnes par jour explique l'accumulation progressive des déchets dans l'espace public.
La situation actuelle de Yaoundé illustre ainsi les limites d'un système de gestion urbaine où les ambitions légales se heurtent à la réalité des contraintes budgétaires et des lourdeurs administratives. Sans une révision profonde du financement de la gestion des déchets et une clarification des responsabilités entre les différentes entités concernées, la capitale camerounaise risque de demeurer cette "poubelle à ciel ouvert" qui affecte aujourd'hui la qualité de vie de ses habitants et ternit l'image de cette métropole d'Afrique centrale.