Politique of Wednesday, 22 November 2017

Source: cameroon-info.net

Démission de Mugabé: Edmond Kamguia interpelle Paul Biya

Paul Biya ne peut pas être indifférent à ce qui se passe au Zimbabwe - Edmond Kamguia Paul Biya ne peut pas être indifférent à ce qui se passe au Zimbabwe - Edmond Kamguia

Chef des services politique et politique internationale au quotidien camerounais La Nouvelle Expression, écrivain, diplomate et enseignant chercheur, il décrypte les conséquences de la démission du président zimbabwéens Robert Mugabe survenue le mardi 21 novembre 2017 après plusieurs jours à subir d’énormes pressions. Selon le consultant de l’émission dominicale « Droit de réponse » sur Equinoxe Télévision, il n’est pas impossible que ce qui est arrivé au Zimbabwe arrive au Cameroun.

Après plusieurs jours à subir des pressions venant de son entourage et des populations zimbabwéennes, Robert Mugabé a finalement jeté l’éponge hier mardi. Est-ce que son départ ne parle pas à Paul Biya, le président de la République du Cameroun, qui compte pas moins de 35 années à la tête du pouvoir ?

Il est clair que la démission de Robert Mugabe ne laisse pas indifférent un ensemble de chefs d’Etats africains qui s’accrochent au pouvoir. Notamment, les chefs d’Etats qui forcent et obtiennent pour certains un troisième mandat comme ce qu’on a vu pour le président burundais, comme on le voit aujourd’hui pour le président congolais (Congo Kinshasa) avec Kabila qui cherche à passer en force avec beaucoup de difficultés mais également, pour répondre à votre question, effectivement, ça parle au Chef de l’Etat camerounais parce qu’il ne faut pas l’oublier, il vient de célébrer ses 35 ans au pouvoir. Ce n’est pas si éloigné que celui de Robert Mugabe qui est de 37 ans. Mais on oublie aussi un voisin à côté, Obiang Nguema qui est l’ainé de Mugabe en termes de longévité au pouvoir, il a 38 ans au pouvoir et il est toujours là. C’est vrai que Mugabe, il n’est ainé qu’en âge parce qu’il a 93 ans et les autres sont plus jeunes. Mais pour certains, ils ont passé beaucoup plus de temps au pouvoir que lui.

En ce qui concerne le Cameroun notamment, je pense que l’ensemble de la presse camerounaise, la classe politique observe avec intérêt ce qui est en train de se passer. Des analyses sont faites sur la question mais il me semble que nous sommes à la veille de l’élection présidentielle qui va se tenir en 2018, effectivement comme au Zimbabwe parce qu’il y a élection présidentielle également au Zimbabwe dont Robert Mugabe était le candidat du parti avant d’être destitué il y a quelques jours. Donc, nous savons aussi qu’au Cameroun, Paul Biya est le candidat naturel de son parti, le RDPC pour les élections de 2018. A moins qu’il ne nous surprenne parce que lorsque son homologue ou son ancien homologue, je veux parler du président français François Hollande, est arrivé au Cameroun en juillet 2015, il y a eu une conférence (Je faisais partie des journalistes invités au palais de l’Unité ce jour-là), il y a un confrère français qui lui a posé la question de savoir si, en tant que dinosaure , en tant q’un des anciens qui ont duré au pouvoir, il n’entend pas passer la main. Voici ce que le Chef de l’Etat a dit : « Ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut ». Il a ensuite ajouté que les élections présidentielles sont lointaines mais certaines. Il a terminé en disant ceci qui a beaucoup attiré mon attention. Il a dit : « le moment venu, les camerounais et les français sauront si je suis candidat ou si je vais prendre ma retraite». Je préfère attendre par exemple, si Paul Biya peut nous surprendre en prenant sa retraite pour passer la main, en écoutant pas certaines ponte de son régime qui l’incitent à être candidat à sa perte, je dis bien à sa perte parce qu’avec tout ce qui est en train de se passer en Afrique ces derniers temps, notamment avec la démission forcée, contrainte de Robert Mugabe, il me semble que si Paul Biya a le sens de l’histoire, il va en tirer des leçons, et faire ce qu’une bonne partie du peuple camerounais attend de lui, c'est-à-dire, passer la main.

Paul Biya a souvent hérité de plusieurs qualificatifs. On le qualifie parfois de sphinx, d’homme insaisissable. Avant le Zimbabwe, il y a eu plein d’autres événements à l’échelle internationale qui n’ont jamais donné l’impression d’avoir ébranlé le Chef de l’Etat et son entourage. Est-ce que cette autre actualité ne peut pas être un nouveau coup d’épée dans l’eau ?

Non ! Paul Biya ne peut pas rester indifférent à ce qui se passe avec ses homologues qui hier, étaient avec lui à des rencontres internationales, notamment à l’ONU récemment. Robert Mugabe était à l’ONU avec Paul Biya en septembre dernier. Du jour au lendemain, Robert Mugabe a remis sa démission et lui, ne peut pas rester indifférent à ce qui se passe pour au moins deux raisons : parce qu’il a passé presque autant de temps au pouvoir que Robert Mugabe et ensuite, parce qu’il est aussi âgé que Robert Mugabe parce que l’écart d’âge n’est pas si grand. Entre 84 ans et 93 ans, on fait partie de ce que la bible appelle des veinards, les plus vigoureux parce que dans les saintes écritures, quand vous avez 70 ans, c’est suffisant pour avoir vécu. Mais quand vous atteignez 80 ans, vous faites partie des plus vigoureux, des chanceux. C’est le bonus que Dieu donne. C’est pour cela que tantôt, je disais que c’est le bon moment pour passer la main et entrer dans l’histoire. Et Paul Biya a été décrypté, analysé par différents journalistes, au Cameroun, en Afrique et dans le monde, il a même fait l’objet d’un ouvrage qu’on appelle « Le Code Biya », j’ai lu cet ouvrage, j’estime que Paul Biya n’a pas encore été décodé. Ce n’est pas pour l’entourer d’un mythe, ce n’est pas pour justifier son silence qui a fait l’objet d’une thèse d’un confrère de la CRTV (télévision nationale, NDLR) – je pense que cette thèse sera à refaire parce que si je m’en tiens à ce que j’ai entendu dire les membres du jury, il y a beaucoup de limites à ce travail, beaucoup d’insuffisances parce que Paul Biya, on ne peut pas le sanctifier. Aujourd’hui, au Cameroun, on n’est pas en paix, on est en guerre, il a trouvé un pays en paix. Nous ne sommes pas dans un pays prospère, il a trouvé un pays prospère. On est passé d’un pays à revenu intermédiaire à un pays pauvre très endetté. Donc, je pense pour ma part que le Chef de l’Etat n’est pas du tout indifférent à ce qui se passe et je suis persuadé qu’il est en train de réfléchir sans doute, d’écouter des conseils s’il veut bien écouter des conseils sur ce qu’il voudra bien faire pour développer son pays et l’Afrique. Parce que ce qui est important aujourd’hui pour lui, ce n’est pas tant de durer au pouvoir ou de mourir au pouvoir comme le scénario d’Houphouët-Boigny qui est parti en laissant son pays dans une situation complexe et on a vu ce que la Côte d’Ivoire est devenue. Il ne faudrait pas qu’il laisse le pays dans de telles circonstances. Une des choses qu’il pourrait faire par exemple pour que le Cameroun ne se retrouve pas dans une situation très complexe, c’est de mettre sur pied le Conseil constitutionnel. C’est le minimum qu’il puisse faire parce que c’est la seule structure, la seule institution qui peut constater la vacance au pouvoir en cas de décès, en cas d’empêchement ou de démission. Aujourd’hui, la Cour Suprême ne peut pas jouer ce rôle. Donc, si le Chef de l’Etat venait à disparaitre aujourd’hui ou à être empêché, je vous assure qu’il n’y a aucune structure pour constater la vacance. Et nous serons vraiment dans le chaos et dans un tel scénario, un coup d’Etat peut survenir…

Est-ce que ce scénario zimbabwéen ne peut pas donner également des idées à l’entourage du Chef de l’Etat camerounais où les gens peuvent se dire : c’en est trop, il est temps qu’il laisse la place aux autres aussi ?

Je n’irais pas jusqu’à dire que le Cameroun c’est le Cameroun comme Paul Biya l’a dit. Mais je dirais que le Zimbabwe c’est le Zimbabwe. Ce qui est arrivé au Zimbabwe peut être, n’arrivera pas de la même façon dans un autre pays. Mais je pense pour ma part, que non seulement Paul Biya ne peut pas être indifférent à ce qui se passe, mais notre armée qui est républicaine comme celle du Zimbabwe ne peut pas rester indifférente à ce qui se passe. Parce que, fondamentalement, il s’agit d’une révolution de palais. C’est dans le même système. C’est le même système qui va continuer au Zimbabwe. Il y a juste eu un changement d’homme. A un moment donné, le peuple s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus continuer avec ce président et l’armée a compris, s’est interposée et a amené le Chef de l’Etat à comprendre qu’on ne peut pas continuer ainsi. Il n’est pas impossible que ce qui est arrivé au Zimbabwe arrive au Cameroun. On ne peut rien exclure dans l’analyse politique mais il faut tenir toujours compte du contexte, des lieux, de la conjoncture et d’un certain nombre de paramètres, des paramètres multiples. Vous savez, ce qui est prévisible ailleurs ne peut pas être prévisible partout. Souhaitons simplement qu’au Cameroun, au moment où Paul Biya, puisqu’il n’est pas éternel, partira, que cela se passe en douceur, que ce soit une transition pacifique et non pas une transition violente.

Quel Zimbabwe après le départ de Mugabe. On voit bien que c’est le même système qui reste en place, peut-on s’attendre à ce que le pays se transforme avec le nouveau dirigeants ?

Je vais être clair et très précis en répondant à cette question. C’est le même système qui va continuer, c’est juste un changement d’homme. Puisqu’Emerson Mnangagwa a été au front depuis la lutte d’indépendance avec Robert Mugabé. Cest vrai qu’il y a un écart d’âge entre les deux. C’est vrai qu’Emerson Mnangagwa va tenir compte du contexte dans lequel il prend le pouvoir et qu’il ne voudra pas répéter les mêmes erreurs de son prédécesseur, qu’il va peut-être ouvrir le pays, qu’il va tenir compte de tout ce qui rentre en ligne de compte en Europe en Afrique et à travers le monde en matière de démocratisation. Je suis persuadé que l’avenir du Zimbabwe ne sera pas forcément rose ni morose. Mais ce sera un avenir que j’estime plein d’espoir. Quand je vois la liesse populaire après la démission de Robert Mugabe, je me dis que c’est une lourde responsabilité qui va peser sur les épaules de celui qui va lui succéder. Et il a intérêt à travailler avec l’ensemble des couches de la société parce qu’il a pratiquement 75 ans. Il ne faudrait pas qu’il se ferme aux jeunes parce que le principal reproche que l’on a fait à Mugabe à travers son épouse Grace, c’est parce qu’elle était à la tête d’un mouvement qu’on a appelé le G40 qui rassemble l’essentiel des jeunes qui se préparaient à remplacer Mugabe. Le seul problème c’est que Grace Mugabe a voulu prendre les devants, éventuellement pour remplacer son époux. Ce qui était de mauvais augure parce que dans ce système là, elle se débarrassait petit à petit des collaborateurs de son époux, y compris en particulier, le vice-président Emerson Nnangagwa qui va prendre les choses en main dès aujourd’hui. Donc, je pense pour ma part qu’on ne doit pas très vite chanter les louanges de celui qui va lui succéder ni croire que les choses seront faciles parce que le pays vit dans une situation de marasme économique.

La situation sociale est pratiquement explosive. N’oublions pas qu’il y a plus de trois millions de zimbabwéens en Afrique du Sud et dans d’autres pays voisins qui sont allés chercher le bien être. Qui sont allés se chercher parce que ça ne va pas dans leur pays depuis que Mugabe a procédé à sa réforme agraire et a entretenu des relations très tendues avec les pays occidentaux notamment avec le Royaume Uni. Et ça me rappelle justement la sortie de Theresa May, la premier Ministre de la Grande Bretagne qui dit qu’aujourd’hui, le Royaume Uni peut apporter tout ce qu’il peut pour aider le Zimbabwe et que c’est une opportunité pour ceux qui vont prendre le pouvoir de sortir de l’oppression, vraisemblablement pour s’ouvrir sur le plan démocratique. En réalité, quand le Royaume uni fait de telles déclarations, c’est par rapport à ses propres intérêts. Mugabe était, il faut le reconnaitre, anti-impérialiste jusqu’au bout. C’est un grand panafricaniste. Il n’a pas que des défauts, on devrait lui reconnaitre les qualités de quelqu’un qui a lutté pour la libération de son pays, de quelqu’un qui s’est battu, amener son peuple à prendre conscience qu’on peut travailler par soi même pour devenir un pays libre et indépendant. C’est vrai qu’il a essayé mais il a échoué dans bien de domaines. Sur le plan économique, il a échoué, sur le plan de la démocratie… On espère que celui qui va lui succéder va tirer des leçons des échecs de son prédécesseur pour avoir une feuille de route qui lui permettra de travailler avec l’ensemble des zimbabwéennes et des zimbabwéens compétents qui se trouvent au pays et à l’extérieur du pays, notamment ceux de la diaspora qui pourront aider à sortir son pays du marasme économique.