Actualités of Tuesday, 2 November 2021

Source: Cameroon Tribune 02 Novembre 2021

De l’admiration à la jalousie: voici pourquoi les ‘mbenguistes’ meurent une fois rentrés

Plusieurs Camerounais rentrent au pays pendant les vacances Plusieurs Camerounais rentrent au pays pendant les vacances

Installés à l’étranger, certains de ces frères et sœurs passent pour des vaches à lait que les leurs traient à volonté. Les relations en prennent un coup.

Benjamine d’une famille de huit enfants, Yolande A., 35 ans, est déjà considérée comme « le chef » chez les Essomba depuis qu’elle s’est installée en France. En cas de mariage, deuil, réunion, son agenda est consulté avant toute initiative. Ses aînés ne le sont plus qu’en âge. Dans la réalité, c’est elle qui a le dernier mot. « Nous comptons sur elle. Parfois en cas de problème, elle nous envoie un million de F ou plus. Ce qui nous aide énormément. Lorsqu’on a un cas de maladie, on ne craint plus rien », explique dame Essomba, sa mère.

Pour elle, sa « princesse Yolande » est devenue leur source de revenus. Personne ne sait exactement ce que Yolande fait en France. Mais du moment où l’argent tombe et leur permet de résoudre des problèmes, tout va bien. « A un moment, elle nous disait qu’elle travaillait dans un salon de coiffure. Après elle était nounou. Maintenant, je ne sais vraiment plus ce qu’elle fait pour vivre là-bas», révèle une de ses sœurs. Pour cette famille, l’essentiel c’est que leur «mbenguiste» se porte bien et les aide à joindre les deux bouts. « Nous sommes très pauvres. Son père est décédé depuis des années et ses frères et sœurs n’ont pas d’emploi. Donc c’est très compliqué. Pourquoi allons-nous chercher à savoir ce qu’elle fait du moment où elle nous appelle régulièrement et nous vient en aide à tout moment?», demande la maman.

Si dans cette famille, Yolande A., a tous les honneurs, ailleurs ce n’est pas le cas. « Notre tante Rosalie est allée en Europe depuis plus de dix ans. Quand on l’appelle même pour un problème, elle dit toujours qu’elle rappelle mais ne le fait jamais. Elle n’aide personne. Sa richesse c’est seulement pour elle et son mari, regrette Raoul B. Il explique d’ailleurs que lorsque cette dernière arrive au pays « personne n’a son temps » et beaucoup ne lui adressent même pas la parole. Adrien O., vigile dans plusieurs entreprises en Suisse et sa famille eux, ne vont pas fumer le calumet de la paix de sitôt.

Au cours d’un récent séjour à Yaoundé, ce dernier indiquait qu’il avait préféré couper les ponts avec ses frères et sœurs parce qu’il a été dupé à plusieurs reprises. « Ils ne peuvent pas savoir comment je souffre en Suisse. J’ai deux emplois. J’ai à peine deux heures de sommeil par jour. Je suis toujours en train de courir. Et lorsque j’arrive à leur envoyer un peu d’argent, ils ne font pas ce que je demande. J’ai envoyé de l’argent pour un terrain et pour la construction d’une maison. Près de deux ans après, je n’ai rien », regrette ce dernier. Il ajoute qu’à chaque appel, ses frères le rassuraient, photographies du terrain acquis et même du début des travaux de construction à l’appui. Pourtant il n’en était rien.

Les transferts de fonds ont ainsi été interrompus tout comme les relations entre cet homme et les siens. Au Cameroun en effet, les rapports entre les familles et leurs fils, cousins et neveux installés à l’étranger varient d’un point à un autre. Si dans certains foyers, les «mbenguistes» sont des têtes de file, ailleurs beaucoup ont été rejetées pour non-assistance. Comme si être installé à l’étranger signifiait avoir les poches bourrées d’argent.


DE L’ADMIRATION A LA JALOUSIE


Après son diplôme d’ingénieur en génie civil en 2007, Nestor K. a obtenu une bourse en Norvège. Parti à 24 ans, le jeune homme a rapidement bouclé deux années supplémentaires d’études dans une grande école et a trouvé du travail. A peine 26 ans et déjà salarié en euros. Très vite, il a souhaité investir cet argent dans son pays. « Etant donné que je travaille dans le génie civil, j’ai souhaité acquérir des parcelles de terrain à plusieurs endroits, autant que mes moyens me le permettaient ». C’est alors qu’il met toute sa confiance en son cousin, Dagobert T., chargé du suivi de ses affaires. Le jeune homme apprend la disponibilité de plusieurs lots à bon prix dans la localité de Mfou, non loin de Yaoundé. « J’ai pris quatre parcelles de deux hectares au total à différents endroits. Tout était géré à distance avec mon cousin qui était tombé sur cette bonne affaire », racontait-il.

Les brefs séjours de Nestor au pays vont aboutir à des rendez-vous infructueux chez un notaire souvent indisponible ou ayant du mal à retrouver ses dossiers. Jusqu’à ce que l’ingénieur apprenne que les parcelles acquises ont déjà fait l’objet de plusieurs ventes. Il en était le troisième acheteur. « Je ne sais pas comment mon cousin a pu me rassurer, alors qu’il y avait des soucis à ces endroits », s’étonne-t-il.

Aujourd’hui, Nestor doit gérer à distance trois procédures judiciaires, sans jamais être propriétaire du moindre mètre carré dans son pays. Cette expérience est devenue légion pour nombre de Camerounais installés à l’étranger. Une situation qui survient souvent après une expérience douloureuse. Arnaques, mensonges et autres déceptions sont au rendez-vous pour les uns. Pour d’autres, la mort est souvent promise, en représailles au succès qui choisit ses élus. Des cas d’intoxication alimentaire débouchant sur la mort se multiplient ces derniers temps sur les réseaux sociaux.

Les cas relayés jusqu’ici rendent compte de victimes vivant à l’étranger et venues au Cameroun pour un bref séjour. « J’ai décidé d’enfermer mon fils à la maison chaque fois qu’il vient d’Allemagne pour ses congés. J’ai vu deux de ses amis tomber comme des mouches, alors qu’ils étaient les piliers de leurs familles», confesse Thérèse N. Agrippée aux réseaux sociaux, cette mère de famille prend encore plus pour argent comptant, tous les drames relatés sur les décès de « mbenguistes ». Thérèse N. espère que ce mauvais œil va éviter son fils. Pis, le choix du compagnon ou de la compagne. La désillusion est déjà survenue au moment du mariage traditionnel ou à la soirée de mariage, alors que le partenaire venu de l’étranger découvre la forfaiture. Plusieurs facteurs contribuent à ce passage rapide de l’admiration à la jalousie.

En effet, une bonne partie de ces admirateurs voient en l’étranger une vie de rêve. Les plateformes numériques de messagerie instantanée n’aident pas. La vie y est racontée en direct et non plus par des lettres et photos envoyées via des boîtes postales. Il y a aussi l’argent facilement dépensé une fois arrivé au pays. Les proches ou amis ne le voient pas toujours d’un bon œil. Et montent alors des mécanismes pour jouir, au moins en partie, de cette lumière. Même si rien n’est garanti.