L'un des plus grands réservoirs d'Europe est en train de s'assécher après la destruction du barrage de Kakhovka, dans le sud de l'Ukraine.

Des images satellites, analysées par BBC Verify, montrent que quatre réseaux de canaux ont été déconnectés du réservoir.

Selon les Nations unies, l'approvisionnement en eau potable pourrait être affecté pour plus de 700 000 personnes, principalement dans les zones occupées par la Russie.

Les experts affirment que la perte d'eau des canaux serait critique pour la production alimentaire dans la région.

Le barrage de Kakhovka a été détruit à l'aube du 6 juin, provoquant des inondations généralisées qui ont touché des villages et des terres agricoles dans toute la région.

Depuis l'effondrement du barrage, les images satellites montrent que le niveau d'eau du réservoir et des canaux qu'il alimente n'a cessé de baisser.

En plus d'être une source d'eau potable pour une grande partie du sud de l'Ukraine, les canaux permettaient également d'irriguer de vastes étendues de terres agricoles.

Le barrage sert de protection contre les inondations dans les régions situées en aval, principalement au sud et au sud-ouest.

BBC Verify a surveillé les quatre entrées du canal à l'aide d'images satellite et, le 15 juin, elles étaient toutes déconnectées en raison de la baisse constante du niveau d'eau du réservoir.

D'autres images révèlent que le réservoir, qui contenait auparavant 18 kilomètres cubes d'eau, s'est considérablement asséché.

Les parties moins profondes du réservoir ont été exposées en premier, révélant une partie de la forme originale de la rivière Dnipro avant la construction du barrage en 1956.

Les images montrent que les canaux contiennent encore de l'eau plus loin du réservoir. On ne sait pas combien de temps il faudra pour qu'ils s'assèchent.

Avant la guerre, environ 5 840 km2 (584 000 hectares) de terres cultivées de part et d'autre de la rivière Dnipro pouvaient potentiellement être desservis par les canaux, plus de la moitié de la zone dépendant des systèmes d'irrigation.

Selon le gouvernement ukrainien, ces régions ont produit environ deux millions de tonnes de céréales et de graines oléagineuses en 2021.De nombreuses zones situées en aval du réservoir ont été initialement inondées après la destruction du barrage, mais le problème à long terme pour la production alimentaire sera la perte d'approvisionnement en eau due à l'assèchement des vastes systèmes de canaux, selon Inbal Becker-Reshef, Directrice de programme à NASA Harvest, un consortium qui étudie la sécurité alimentaire mondiale.

"[Les canaux] irriguent principalement les cultures d'été, comme le maïs, le soja et certains tournesols. Mais ils irriguent également du blé, qui est une culture d'hiver, ainsi que de nombreux légumes et fruits comme les melons", a-t-elle déclaré.

Alors que certaines cultures peuvent être alimentées uniquement par la pluie, un réseau de canaux à sec peut rendre les terres agricoles vulnérables à la sécheresse. Cela a également des conséquences pour l'eau potable.

Le Dr Becker-Reshef a déclaré que les canaux peuvent commencer à se remplir de limon s'ils sont laissés à sec, ce qui réduit leur efficacité, et que plus longtemps ils resteront dans cet état, plus ils s'aggraveront.

Martin Griffiths, Coordinateur des Secours d'Urgence pour les Nations Unies, a précédemment déclaré à la BBC que la destruction du barrage aurait un "impact énorme sur la sécurité alimentaire mondiale", décrivant la région comme "un grenier à blé non seulement pour l'Ukraine, mais aussi pour le monde entier".

L'Ukraine est un grand exportateur de tournesol, de maïs, de blé et d'orge. La guerre a provoqué des problèmes d'approvisionnement au niveau mondial, particulièrement menacés dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, qui dépendent fortement des céréales ukrainiennes.

Y a-t-il une solution ?

La reconstruction du barrage semble être l'une des seules solutions à long terme pour rétablir la sécurité de l'eau dans la région.

"Maintenant que le niveau de l'eau a baissé, l'eau n'atteint tout simplement pas les systèmes [de canaux]. Pour l'augmenter, nous devons reconstruire le barrage", selon Mykola Solskyi, Ministre ukrainien de la Politique Agraire et de l'Alimentation.

Les experts avertissent que la région est davantage exposée aux risques de sécheresse et d'inondation, car le barrage a contribué à réguler les hauts et les bas extrêmes des niveaux d'eau.

"Il y a maintenant tout un bassin versant en aval de la rivière qui n'est pas contrôlé", a déclaré Jaap Flikweert, conseiller en gestion des inondations et des côtes auprès du bureau d'études Royal HaskoningDHV. "Dans les périodes les plus humides, les vagues d’inondation ne feront que passer".

À moins que le barrage ne soit réparé ou que de vastes défenses contre les inondations ne soient mises en place, M. Flikweert a déclaré que certaines zones pourraient s'avérer inadaptées à la population en raison de leur proximité avec le niveau de la rivière.

"Je pense que les dizaines de milliers de personnes qui ont été évacuées devront rester à l'écart pendant un certain temps tant que ces solutions n'auront pas été mises en place. Il est difficile de voir les gens revenir dans ces communautés dans cette situation".