Après avoir essayé de contourner la législation fiscale pour ne pas payer les impôts, l’homme d’affaires a finalement adressé un recours gracieux au ministre des Finances en contestation de sa dette arrêtée à 10,88 milliards de francs. Mais la réclamation du patron de Vision 4, jugée irrégulière, a été rejetée pour cause de violation de la loi. L’heure des passe-droits semble révolue.
Jean-Pierre Amougou Belinga est sommé de payer une partie de l’argent que lui réclame l’Administration fiscale s’il veut éviter d’être broyé par le rouleau compresseur de l’Etat. Sur-jouant depuis quelques mois avec ses relations hauts-placées dans l’appareil de l’Etat pour manquer à ses obligations fiscales, l’homme d’affaires a reçu au milieu de la semaine dernière le signal que la récréation est terminée. Dans une correspondance du ministre des Finances (Minfi) signée le 7 juin 2022, l’homme d’affaires est invité à se conformer aux prescriptions légales s’il souhaite bénéficier de l’examen de la réclamation contentieuse adressée quatre jours plus tôt à l’autorité gouvernementale au sujet du redressement fiscal de ses entreprises par le Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1). C’est environ 1,632 milliard de francs qu’il doit avancer au Trésor public avant toute chose.
Jusque-là apparu comme l’un de ses plus solides soutiens dans la bataille curieuse que le patron de Vision 4 mène contre l’Administration fiscale, M. Louis-Paul Motaze rappelle par sa correspondance évoquée que le contribuable doit (désormais) se conformer à la loi. «Conformément aux dispositions de l’article L119 du Livre des procédures fiscales du code général des impôts, est-il rappelé dans la correspondance du Minfi, « la réclamation présentée au ministre, qui tient lieu de recours gracieux préalable, doit à peine d’irrecevabilité (…) être appuyée de justificatifs de paiement de la partie non-contestée de l’impôt du droit, et 15% supplémentaires de la partie contestée ». En l’espèce, il ressort de l’examen des pièces de procédure que votre entreprise n’a pas satisfait à cette exigence légale. Par conséquent, votre requête est irrecevable pour défaut de paiement de la consignation légale visée».
Recours mal orienté
Le redressement fiscal dont il est question ici avait été notifié au PDG du Groupe l’Anecdote le 21 mars 2022 à travers un Avis de mise en recouvrement (AMR) d’une valeur de 11,12 milliards de francs. Après une réclamation en contestation totale desdites impositions adressée le 14 avril 2022 au Directeur général des impôts, cette somme était ramenée à 10,88 milliards de francs le 13 mai 2022. Plutôt que de saisir directement le ministre des Finances dans la poursuite de sa contestation des impôts mis à sa charge comme en dispose la loi fiscale (lire : Félix Ateck A Djam : «On ne doit pas parler d’acharnement de la DGI sur le Groupe l’Anecdote»), M. Amougou Belinga adressait un recours gracieux préalable au même DGI le 16 mai et se précipitait aussitôt avec la décharge de son document devant le président du Tribunal administratif de Yaoundé dans le but de solliciter un sursis à payer. Cette démarche a dû connaître un échec, le recours gracieux adressé au DGI ayant été déclaré mal orienté par ce dernier.
En fait, la manœuvre du patron de Vision 4 et de ses conseils visait à contourner le paiement de la consignation légale (1,6 milliards de francs) prévue par la loi. En revenant enfin avec sa contestation devant le Minfi, le 3 juin 2022 (une date significative), l’homme d’affaires n’a toujours pas respecté les exigences de la loi. C’est ce que M. Motaze lui rappelle dans la correspondance dont copie est parvenue à la DGI vendredi dernier, 10 juin 2022, 48 heures après sa signature. Le rejet de la réclamation contentieuse des 10,88 milliards de francs ouvre dès lors la porte à la relance du recouvrement forcé par l’administration fiscale, si le contribuable ne se rattrape pas. En principe, si la donne ne change pas, le receveur du Centre spécialisé des impôts des professions libérales et de l’immatriculation (Csipli) de Yaoundé pourrait bientôt entrer en action pour bloquer et récupérer les avoirs et paiements des entreprises de l’homme d’affaires dans les banques et au Trésor public à concurrence de sa dette fiscale.
Ce développement survient au moment où le PDG du Groupe l’Anecdote perd sa «toute puissance» auprès des juridictions de Yaoundé. La pression judiciaire extraordinaire qu’il exerçait sur les responsables de l’Administration fiscale avec l’aide de ses soutiens plus ou moins actifs, s’estompe progressivement. Le chef du Cric 1, qui avait coordonné l’opération de vérification générale de la comptabilité des entreprises de l’homme d’affaires ayant abouti au redressement fiscal de 10,88 milliards de francs et qui avait été incarcérée à la prison centrale de Yaoundé Kondengui le 19 mai à la suite d’une plainte de M. Amougou Belinga, a été remise en liberté sous garants vendredi dernier. Les effets des «hautes instructions» de la présidence de la République sur certains membres du gouvernement (lire ci-contre) produisent graduellement leurs effets.
Transactions douteuses
Rappelons que M. Amougou Belinga a déjà sur le dos un premier redressement fiscal de 18,3 milliards de francs constaté par le Centre régional des impôts du Centre 2 (Cric 2) pour lequel il avait déjà procédé à un paiement de 500 millions de francs. La procédure de recouvrement forcé de cette créance fiscale avait été stoppée par une correspondance du ministre des Finances accordant d’autorité un sursis de paiement à l’homme d’affaires. En réponse à une requête du patron de Vision 4 sollicitant directement l’intervention du Minfi, ce dernier avait prescrit à la DGI d’engager une transaction avec le contribuable. L’arbitrage du Minfi n’a jamais abouti, l’Administration fiscale estimant que les voies de recours étaient épuisées à son niveau, le contribuable ne respectant pas les conditions définies dans la loi pour bénéficier d’un quelconque rabattement fiscal. Le receveur du Trésor du Centre des impôts des moyennes entreprises de Yaoundé (Ouest) reste suspendu à la levée du blocage pour relancer le recouvrement des sommes réclamées à ce contribuable.
Pour mémoire, l’offensive fiscale subie par M. Amougou Belinga fait suite à une dénonciation faite l’année dernière par l’Agence nationale d’investigations financières (Anif) en direction de la Direction générale des impôts à l’égard de 67 entreprises suspectées de manœuvres d’évasion fiscale. Dans ce groupe d’entreprise, toutes ainsi exposées aux contrôles de la DGI, figurent 12 entités apparentées au PDG du Groupe l’Anecdote pur des flux financiers présumés illicites de plus de 90 milliards de francs. L’homme d’affaires s’est jusqu’ici réfugié derrière ses soutiens pour refuser de régler sa dette fiscale, qui cumule à plus de 27 milliards de francs alors que plusieurs de ses entreprises n’ont pas encore été contrôlées. Mais, depuis le 3 juin dernier, la donne a manifestement changé.