Le quotidien des blessés, des proches des décédés ou des disparus est encore hanté par le sinistre d’Eséka.
Lorsqu’il rentre chez lui après une dure journée de travail, Me Thomas Dissake espère être accueilli par Dorette, son épouse qu’il n’a pas vue depuis près de deux ans. Mais quand il ouvre la porte de son domicile au quartier Kondengui à Yaoundé, c’est un air froid saturé de particule de solitude qui frappe tout son être.
Le vendredi 12 octobre dernier, son domicile est vide. L’époux de la notaire disparue dans la catastrophe ferroviaire d’Eséka survenue le 21 octobre 2016 n’aura donc pas la chance de revoir son épouse franchir le seuil de la porte. Malgré cette énième déception, il espère que Dorette, sa bien-aimée, son amour va un jour regagner leur foyer.
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Dans cette maison, rien n’est plus comme avant. Les habitudes ont changé, les repas en famille et les petites attentions, dont sa bien-aimée, avait le secret ont disparu avec elle. Cependant, il n’est pas question pour lui de laisser entrer dans sa vie une autre femme. « Je sais que mon épouse est en vie. Elle est quelque part », confie-t-il avec foi et espoir. Il croit fortement au retour de celle avec qui, il a partagé sa vie pendant 26 ans. Par conséquent, il ne parle pas d’elle au passé, car il refuse de croire qu’elle est décédée.
Thomas Dissake s’est forgé un caractère du Thomas biblique ; il ne croira pas tant qu’il n’aura pas de preuves. Pas de corps, pas de mort. Et pour revoir son âme soeur, il a créé une page Facebook. Sur cette plateforme, il espère qu’il y aura un témoin qui va lui dire ce qu’est devenue sa moitié car, pour lui, disparue ne veut pas dire morte. Il est conforté dans son idée par la communication du gouvernement qui parle de quatre disparus (trois hommes et une femme), 80 morts et plus de 551 blessés.
Reconstruction
Parmi les décédés, on retrouve les proches de Ibrahim Issa. Ce dernier a perdu, dans cet accident, son frère Alim Issa, son épouse et une de ses soeurs. Si le décès brutal de ses proches l’a moralement affecté, le fait de prendre soin des sept enfants de ces derniers a fortement modifié le mode de vie de Ibrahim Issa. « Ce n’était pas facile de prendre en charge une si grande famille. Je me suis retrouvé avec une quinzaine de personnes chez moi. De plus, avec ces orphelins, il fallait être prudent et très aimable pour qu’ils ne se sentent pas lésés», rapporte le chef de famille. A quelques jours de l’anniversaire douloureux (dimanche prochain) du décès de leurs parents, il faut redoubler de vigilance et de tendresse.
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Dans cette maison située au quartier Etoug-Ebe, des enfants vont et viennent, ils veulent savoir qui est l’invitée qui discute dans un coin du salon avec leur parents. Il faut s’armer de courage pour les aborder. On cherche la méthode adéquate en vain. De peur de heurter les sensibilités et de remuer le couteau dans une plaie qui peine à cicatriser dans leur coeur fragile, les questions seront plutôt posées au tuteur. «Rien ne peut remplacer un parent mais nous faisons de notre mieux. Avec les 7 millions Fcfa de dotation spéciale, nous comptons encore donner la meilleure éducation en attendant les indemnisations qui tardent », poursuit monsieur Issa. « Ici, nous les impliquons dans toutes les activités de la maison. Le rythme de vie a changé mais je n’y peux rien. C’est la volonté de Dieu », conclut-il.
Dans la famille Ngah aussi, l’on pense que toute chose découle de la volonté de Dieu. Pour M. Ngah, c’est Dieu qui a voulu que son fils Christian Ngah qui préparait un master en communication des entreprises, dans un institut supérieur privé de la place, décède dans ce sinistre. Même comme son épouse, en apprenant le décès de son fils, a été victime d’une arthrose qui l’empêche toujours de se mouvoir normalement. « A l’hôpital, le médecin nous dit que son arthrose a été provoquée par le stress suite au décès de notre fils. Depuis ce jour, nous avons perdu le sommeil », explique le sexagénaire.
Flash-back
Malheureusement pour cette famille qui fait encore son deuil, leur fils n’a pas eu autant de chance que la rescapée Joyce Awono. Cette dame est loin de vivre et de respirer le bonheur. C’est avec des larmes aux yeux qu’elle parle de l’accident du train 152 et de son nouveau mode de vie. Difficile d’ôter de son esprit toutes les séquences de l’accident qui a fait d’elle une handicapée moteur. Le regard perdu dans le vide, Joyce A. essaye se confier. « Il faut parler. Il faut te libérer », insiste son époux avec une voix ferme mais encourageante. Motivée par ce dernier, elle commence à se détendre. Après un grand soupir question de se donner des forces, elle se lâche timidement. « J’étais en train de discuter avec ma collègue lorsque soudain je me suis retrouvée avec les membres inférieurs embourbés. Je ne me souviens de rien. On parlait de tout et de rien», bredouille-t-elle.
Visiblement, les souvenirs liés à ce drame se sont profondément enfouis dans son subconscient. Sur son visage, l’on peut voir une grande tristesse, mais pour elle, il n’est pas envisageable de verser une larme de plus pour ce drame. « Je veux oublier. Je n’aime pas en parler », finit-elle par lâcher en refoulant ses larmes. Mais une larme rebelle va s’échapper et rapidement, elle va l’écraser en poursuivant son récit. Un récit dans lequel elle ne cesse de rendre grâce à Dieu. Sa gratitude va également à l’endroit de sa famille, sa belle-famille et à la société Cameroon Railways (Camrail).
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Après quelques minutes de silence, elle nous ramène en 2018 où elle tente de se trouver une place dans une société qui lui semble si différente. A cause de son handicap et des souvenirs douloureux, elle n’a pas encore repris le poste de secrétaire qu’elle occupait dans un ministère. Les multiples thérapies qu’elle suit à l’étranger et qui sont financées en partie par Camrail démontrent à suffissance que la page n’est pas complètement tourner. Elle essaye néanmoins tant bien que mal de reprendre sa place au sein de son foyer. Ce n’est pas facile, mais elle s’y attèle. Joyce Awono croit comme plusieurs autres victimes que le meilleur est à venir.