Depuis quelques heures, Emmanuel Macron a entamé son séjour au Cameroun. Cette visite est diversement appréciée. Une coalition internationale de Camerounais et de Français démonte la face cachée de cette visite.
Ce 26 juillet 2022, Emmanuel Macron se rend au Cameroun, pays dirigé par le bientôt nonagénaire Paul Biya. Ce dernier, formé en France dans les années 1950, a fait toute sa carrière dans les plus hautes sphères de l’État camerounais : d’abord comme conseiller à la présidence, puis comme Premier ministre (1975-1982), et enfin comme chef de l’État. Alors qu’Emmanuel Macron avait jusqu'ici évité de rendre visite à son homologue camerounais, encombrant symbole de la Françafrique, la retenue n’est plus de mise : le président français se rend donc à Yaoundé au moment même où le régime autocratique de Paul Biya s’apprête à célébrer le quarantième anniversaire de son accession à la tête du pays (le 6 novembre prochain).
Rendre fréquentable l’infréquentable
Pour faire bonne figure, l’Élysée habille ce premier déplacement d’Emmanuel Macron au Cameroun, centré sur les aspects sécuritaires et économiques, d’une initiative de « dialogue » entre sociétés civiles camerounaise et française : une poignée de jeunes acteurs associatifs et intellectuels français doivent embarquer à bord de l’avion présidentiel pour rencontrer leurs alter ego camerounais. Ils et elles sont appelés à discuter de « participation citoyenne » et de « démocratie », d’« innovation » et de « devéloppement durable », d’« histoire » et de « culture ». Dans les jours précédant le voyage, l’Élysée et l’ambassade de France à Yaoundé ont redoublé d’efforts pour convaincre des voix critiques de participer à cette nouvelle opération de communication élyséenne. Alors même que Paul Biya embastille les voix dissidentes, le président français compte mettre en scène sa propre « ouverture au dialogue » pour permettre à quelques jeunes Camerounais d’émettre des recommandations. Le principe de non-ingérence brandi pour ne jamais critiquer les alliés encombrants afin de ne « ne pas donner de leçons », vole ici en éclat. Les sociétés civiles française et camerounaise n’ont pas besoin d’Emmanuel Macron pour dialoguer : elles l’ont toujours fait, avant même l’indépendance du Cameroun en 1960 ! Ce qu’elles attendent plutôt de lui, c’est la condamnation sans équivoque des crimes du régime. En vain jusqu’ici. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron et sa diplomatie n’ont envoyé aucun signal officiel de condamnation des violations patentes des droits humains au Cameroun. Interrogé début juillet 2018 par un journaliste camerounais lors de son voyage au Nigeria, le président français s’est contenté de marteler que le Cameroun a besoin de « stabilité » 1 . Un mot qui ne peut que rassurer Paul Biya qui s’apprête alors à se présenter une nouvelle fois à sa propre succession, en octobre. La contestation des résultats de cette énième mascarade électorale par l’opposant Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), est l’occasion début 2019 d’une nouvelle vague de répression, contre les responsables de l’opposition et contre leurs partisans anonymes. La diplomatie française se mobilise alors pour la libération de Maurice Kamto, ancien ministre bénéficiant de solides appuis à Paris et défendu entre autres par le médiatique Me Éric Dupond-Moretti. Pour les dissidents moins médiatiques, ceux qui au quotidien font vivre l’espoir d’une transition démocratique, le soutien attendra…
Immédiatement après la libération de M. Kamto accordée en septembre 2019, Paul Biya obtient ce que nombre de dictateurs mal élus convoitent : une entrevue avec le chef de l’État français, garant historique de la sacro-sainte « stabilité » dans le pré carré francophone. La poignée de mains entre les deux hommes à Lyon, en octobre 2019, passe inaperçue en France mais pas en Afrique. Médiatisée par le régime camerounais, avide de soutiens internationaux, elle scandalise une partie de l’opinion publique africaine qui y voit une preuve de la duplicité macronienne.
La guerre, fausse oubliée de la diplomatie française
La société camerounaise souffre au quotidien de la violence d’État, qui s’est déchaînée depuis que l’Extrême-Nord du pays est aux prises avec le groupe Boko Haram et depuis que les régions anglophones du Cameroun, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest (NOSO), sont le théâtre d’une guerre aussi discrète que meurtrière. Le chaos qui règne depuis cinq ans au NOSO est le résultat de décennies de discriminations contre les minorités anglophones. La répression d'un vaste mouvement pacifique en 2017 a provoqué le basculement de ces régions dans une spirale sans fin de violence armée. Depuis que des sécessionnistes ont déclaré l’indépendance du NOSO en octobre 2017, on dénombre environ 6 000 morts, plus d’un demi-million de déplacés internes et près de 80 000 réfugiés qui ont fui vers le Nigeria. La réponse strictement militaire et incroyablement brutale du régime Biya a provoqué l’enlisement dramatique d’une crise qui aurait pu se résoudre par un processus politique. Les groupes armés sécessionnistes y vont également de leur lot de crimes et d’exactions contre la population. Espérant vainement mater les rebelles, le régime n’hésite pas à recourir à la torture et impose une chape de plomb sur le conflit, en empêchant notamment les journalistes et les organisations humanitaires de faire leur travail 2 . Alors que la guerre fait rage, la diplomatie française préfère parler pudiquement de « crise ». Rien d’étonnant dès lors à ce que la coopération militaire, qui consiste notamment à placer au sein même de l’appareil sécuritaire camerounais des « conseillers » militaires français, ait été maintenue, sous le double prétexte de mener à bien la « guerre contre le terrorisme » et d’atténuer les violences commises par les forces armées contre les civils.
Une diplomatie sans actes Alors que la jeunesse, la culture, le numérique et l’entrepreneuriat sont mis en avant par la France pour « refonder » ses relations avec le continent africain, les acteurs concernés au Cameroun n’ont jamais bénéficié du soutien de Paris. Quand le blogueur Paul Chouta est passé à tabac à plusieurs reprises pour avoir dénoncé les turpitudes du pouvoir, la France se tait. Quand le rappeur Valsero, figure de la scène culturelle camerounaise, est incarcéré pour avoir soutenu Maurice Kamto à l’élection présidentielle, la France se tait. Quand les entrepreneurs de la « Silicon Mountain » sont frappés par les coupures internet ordonnées par le pouvoir et par la guerre civile qui ravage les régions du NOSO, la France se tait. Et, bien sûr, quand les militants du MRC subissent une nouvelle vague d’arrestation, comme ce fut le cas en septembre 2020, et sont condamnés par un tribunal militaire à des peines de plusieurs années dans des prisons sordides, la France se tait 3 . Mais qu’importent les intimidations régulières contre les journalistes, les artistes, les défenseurs des droits humains, le « débat » organisé à Yaoundé – par l’Élysée – à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron suffira officiellement à défendre la démocratie et les droits humains ! Loin des apparats des grands déplacements et des rencontres internationales, les actes concrets manquent cruellement. La défense des « intérêts français » le justifie-t-elle ? L’Élysée en est persuadée mais au Cameroun, l’hégémonie de grandes entreprises tricolores exaspère chaque jour un peu plus une population qui a conscience que la richesse de son pays ne lui a jamais profité et que le soutien français se monnaye par le maintien de certaines situations de rente. Au nom de la « stabilité » et alors que les appétits s’aiguisent pour succéder au plus vieux dirigeant d’Afrique, la France maintient donc ses liens étroits avec le régime de Paul Biya. Ce dernier joue certes de la concurrence impérialiste de la Chine au niveau économique et de la Russie au plan militaire pour diversifier ses appuis. Mais en renouvelant son soutien, l’Élysée se condamne à la vindicte de la jeunesse africaine et alimente de lui-même le « sentiment anti-français » qu’il redoute. En octobre 2021 lors du sommet Afrique-France, Emmanuel Macron a affirmé que « l’avenir de l’Afrique et de la France appartient aux jeunes générations » dont « les voix portent un souffle d’espoir ». Encore faut-il qu’elles ne soient pas étouffées par le poids d’un régime gérontocratique ou sacrifiées sur l’autel de la realpolitik au profit de l’influence économique et militaire de la France en Afrique.
Signataires :
1. Jean Marc BIKOKO, Coordonnateur TLP Cameroun et Président de la CSP (Centrale Syndicale du Secteur Public), Cameroun :
2. Antoinette EKOAN, Présidente de la CCT (Confédération Camerounaise du Travail), Cameroun ;
3. Benoît ESSIGA ANANGA, Président de ENTENTE (Entente Nationale des Travailleurs), Cameroun ;
4. Catherine GAUDARD, Coordinatrice Exécutive du CRID, France ;
5. Tim HUGUES, Président d’Agir ensemble pour les droits humains, France ;
6. Philippe NANGA, Coordinateur d’Un Monde Avenir, Cameroun ;
7. Félix Marcel OBAM, Président du Directoire de DC (Dynamique Citoyenne) et Secrétaire Exécutif de la JEURAC (Jeunesse Rurale Active), Cameroun ;
8. Marc ONA ESSANGUI, Président du mouvement international Tournons La Page ;
9. Pauline TÉTILLON, Co-Présidente de Survie, France.