Le regard de la société porté sur celles qui ont choisi d’exercer le métier est interrogateur, et pourtant, elles veulent juste pratiquer leur métier tout en ayant une vie de famille normale.
Les fins de semaine d’Odette Baleng, thanatopractrice, à l’Hôpital Jamot de Yaoundé, sont bien chargées. Entre jeudi et vendredi, elle est sur tous les fronts pour apporter aux familles endeuillées le plus de réconfort possible.
Thanatopracteur, c’est le nom scientifique des professionnels appelés communément « morguiers » au Cameroun. Le mystère qui entoure la mort s’est imprégné de ce métier, transposant sur lui et les personnels de santé qui le pratiquent tous les préjugés imaginables. Ce qui fait des thanatopracteurs, en quelque sorte, des marginaux.
« Les gens pensent que les morts se réveillent et se mettent à jouer aux cartes avec nous par exemple. J’ai entendu des choses incroyables. Certains disent même que nous dansons avec les défunts », déclare Odette. Ces idées erronées ont un impact négatif sur sa vie sociale. « Beaucoup de gens ont peur de nous. Je prends l’exemple de ma mère qui ignorait quelle option j’ai choisie dans la santé. Les gens du village qui venaient aux levées de corps sont allés lui dire ce que je faisais à Yaoundé, et elle a tout de suite été contre mon métier. Aujourd’hui, elle l’accepte mieux », se souvient la thanatopractrice. Et la vie de couple ? « C’est une autre paire de manches », dit-elle, fendue d’un sourire.
« Certains se mettent en couple avec nous par curiosité, d’autres par matérialisme ou pour nous exploiter, car il est répandu que les personnes travaillant à la morgue ont de l’argent, alors ils viennent pour le vérifier. Ils font semblant de donner de l’amour au début, mais en fait c’est une relation qui ne mènera nulle part », regrette-t-elle. D’après son constat, peu d’hommes acceptent de s’engager avec les femmes « morguières ».
Si de son côté Odette n’a pas encore trouvé quelqu’un qui l’aime et l’accepte avec sa profession, elle reconnaît que certaines consœurs sont mariées. C’est le cas de Sandrine Elame, thanatopractrice en service à l’Hôpital central de Yaoundé. « Dans ma relation de couple, je n'ai pas de problème, car mon homme me soutient et m’encourage dans ce métier, car pour une femme ce n’est pas du tout évident », avoue Sandrine.
Son entourage et ses proches l’encouragent dans l’exercice de ses fonctions, conscients des défis qu’en tant que femme, elle rencontre au quotidien. A travers des regards interrogateurs, les thanatopractrices perçoivent des interrogations comme : « Pourquoi une femme pourrait vouloir faire ce métier ? » La réponse d’Odette : « J’ai choisi la thanatopraxie par manque d’emploi, par curiosité et puis j’ai vraiment voulu expérimenter la chose, et aller découvrir si les préjugés étaient fondés ou pas. »
Ses premiers contacts avec le métier n’ont pas été faciles. Il lui a fallu beaucoup de courage. « Pendant deux semaines, j’ai été traumatisée par le premier corps sur lequel j’ai travaillé. Le courage est venu au fur et à mesure. » Formée en 2014, puis envoyée à l’Hôpital central de Yaoundé en 2015 comme appui au personnel, elle sera finalement recrutée comme vacataire en 2016 dans cet hôpital.
Sandrine Elame quant à elle se souvient qu’elle est devenue thanatopractrice car : « Il faut oser. Et prendre soin de ceux qui nous ont quittés est un privilège. » Pour Odette et Sandrine, la femme a sa place à la morgue. « Elle est maternelle et exprime plus d’empathie pour les autres », assurent-elles. Toutes les deux sont tristes que le métier ait été mystifié par leurs prédécesseurs qui ont été formés sur le tas.
« Ils ont toujours du mal à accepter que nous faisons un métier noble. C’est ce métier qui m’a donné un matricule, je suis intégrée à la Fonction publique grâce à cela », se réjouit Odette Baleng. Positives, elles encouragent les jeunes Camerounaises œuvrant dans le domaine de la santé à ne pas avoir de réticence à s’intéresser à cette profession d’une utilité capitale, au-delà des préjugés.
« Ma famille a accepté mon travail »
Salomé Onguéné, quant à elle, est major de la Morgue de l’Hôpital général de Yaoundé, responsable administrative et financière.
Comment abordez-vous au quotidien votre rôle de Major de la morgue de l’Hôpital général de Yaoundé ?
Je suis fière d’être la Major dans ce service de la Morgue de l’Hôpital Général de Yaoundé. Au départ, les choses n’ont pas été faciles, mais j’ai su m’adapter petit à petit. Le travail de responsable à la morgue n’est pas simple, mais je reçois beaucoup de félicitations de la part des familles qui nécessitent nos services.
Je suis d’ailleurs la seule femme de cette équipe dans notre hôpital. Beaucoup posent également des questions pour savoir comment je fais pour évoluer professionnellement dans cet environnement, et je leur réponds qu’il s’agit d’un environnement comme les autres. Je suis chrétienne et je n’ai pas peur des morts. J’ai pris mon courage à deux mains, et travailler auprès des défunts est devenu une véritable habitude.
Quels défis rencontrez-vous en tant que femme dans ce service particulier ?
Mes journées ne sont pas pénibles, car je les programme bien. Il est vrai, je ne travaille pas dans l’administration, mais il y a des jours comme mardi, mercredi et jeudi, je dois affronter les familles qui viennent pour leurs factures, et qui sont programmées pour le week-end. Tout se passe bien. Je suis encouragée par ces familles de par mon comportement. Elles apprécient l’accueil et la sollicitude face à ces moments pénibles qu’on traverse quand on perd un être cher. J’ai été formée comme technicienne de laboratoire, donc j’utilise cette technique dans la pratique de ce métier que je n’avais jamais imaginé faire au départ. Je ne peux que remercier le Seigneur et la hiérarchie de l’Hôpital pour cette responsabilité.
Comment vos proches, et votre entourage de manière générale perçoivent-ils votre travail ?
A un moment donné, certains de mes proches m’ont demandé s’il s’agissait d’une affectation disciplinaire. Or, pour moi c’est une promotion, car je n’ai jamais été major dans un service. Beaucoup avaient pitié, se demandant si je vais m’en sortir. Au final, ce sont ces mêmes personnes qui sont contentes de moi. Ma famille, mes enfants, tous ont accepté que mon travail est un travail comme le reste. Tout ce que je peux dire, c’est que le métier de thanatopracteur est un métier très important, et les conjoints doivent accepter leurs partenaires ainsi que leur choix de carrière. Si nous ne faisons pas ce métier, comment feront les familles? La mort nous frappe tous, et nous avons tous besoin à un moment ou à un autre de ces professionnels.