Réagissant à nos observations publiées dans le journal La Nouvelle N°677 du 22 novembre 2022, un « homme en robe noire » a répliqué sous anonymat par des arguments dont voici l’essentiel : « Il faut le répéter, quand tu restitues (le corps du délit) ça voudrait dire que tu reconnais avoir causé un tort, on te demande donc de restituer les sommes pour lesquelles tu es poursuivi et quand tu restitues, ça induit que tu as reconnu ce tort-là. A partir de ce moment, l’action civile continue. C’est une position scientifique qui s’appuie sur les dispositions de l’article 18 de la loi organisant le Tcs et l’article 64 du Code de procédure pénale, particulièrement les alinéas 2 et 3 du Code de procédure pénale au Cameroun. Si on peut même se le permettre, l’alinéa 4 de l’article 64 stipule (sic) que l’arrêt des poursuites n’empêche pas leur reprise lorsque celle-ci se relève nécessaire. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ceux qui ont décidé d’arrêter les procédures peuvent à tout moment déclencher lesdites procédures. La nécessité se trouve de leur côté. Ce sont eux qui détiennent l’unité de mesure de la nécessité. Ils peuvent dont à tout moment tout reprendre ».
Cette doctrine est fausse en ce qu’elle interprète une règle pénale, notamment l’article 18 de la loi du 14 décembre 2011 portant création du Tribunal criminel spécial (Tcs) modifiée et complétée par la loi du 16 juillet 2012, de manière systémique, comme s’il s’agissait d’une interprétation d’une loi civile. En effet, l’interprétation d’une règle non répressive se caractérise par son imprécision. On y trouve entre autres, l’interprétation exégétique, l’interprétation sociologique, l’interprétation constructive, l’interprétation systémique, l’interprétation téléologique etc…. Celui qui adopte l’interprétation exégétique essaye, soit de respecter le texte sans s’en éloigner, soit de rechercher l’intention du législateur. Pour celui qui opte pour cette interprétation, s’attacher au texte est susceptible de figer le
droit.
DOCTRINE
Pour les adeptes de l’interprétation sociologique, l’interprétation par les textes n’est plus possible à partir d’un certain point et il appartient au juriste d’élaborer une solution en cherchant dans l’intention du législateur. Raymond Saleilles, rompant avec l’école exégétique, a préconisé la méthode constructive selon laquelle, lorsqu’un texte a des difficultés de compréhension, il faut éviter tout raisonnement abstrait et regarder ce qui est prévu dans un cas similaire. La méthode systémique est fondée sur l’analyse de l’ordre juridique comme un système cohérent des règles et que le texte ne peut s’interpréter qu’à l’intérieur d’un système, c’est-à-dire, en rapprochant l’ensemble de la législation. C’est cette méthode d’interprétation que prône la doctrine de « l’homme en robe noire » lorsqu’il évoque les dispositions du Code de procédure pénale, notamment l’article 64 alinéa 3, pour dire que ce sont les dispositions de cet article qui empêchent que les biens de Monsieur Basile Atangana Kouna lui soient pas restitués.
Il faut déjà noter, dans cette disposition de l’article 64 du Code de procédure pénale, l’intervention du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement puisque cet article dispose : « lorsque l’action publique a été arrêtée
en application de l’alinéa 1er, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement poursuit l’instruction ou l’examen de l’affaire sur le plan civil ». Dans cette disposition, les poursuites continuent donc sur le plan civil. Or, d’une part, l’action pénale, dans le cas Basile Atangana Kouna, n’a pas été arrêtée en application de l’article 1er du Code de procédure pénale, mais plutôt en application de l’article 18 de la loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel spécial. Les arrêts des poursuites dans les deux cas n’ont pas les mêmes motifs de fait. Ils ne peuvent donc pas être appréciés suivant la même « unité de mesure ». En droit on dira que les deux situations n’obéissent pas au même régime juridique. Dans le cadre de l’article 64 du Code de procédure pénale, l’arrêt des poursuites est motivé par l’éventualité de la compromission de l’intérêt social ou la paix publique.
REGIME JURIDIQUE
Dans le cadre de l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial, l’arrêt des poursuites est motivé par la restitution du corps du délit. Dans les dispositions du Code de procédure pénale, le prévenu (ou l’accusé) n’a pas restitué le corps du délit. Dans l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial, l’accusé a restitué le corps du délit. En droit le même régime juridique ne saurait donc être appliqué à celui qui a restitué le corps du délit qu’à celui qui ne l’a pas fait. Si les procédures civiles restent donc ouvertes à la victime dans le cadre de l’application de l’article 64, alinéa 3 du Code de procédure pénale, c’est tout simplement parce que le corps du délit n’a pas été restitué. Dire donc que les biens de Monsieur Basile Atangana Kouna restent sous-main de justice en application de l’article 64 alinéa 1er est une fausse interprétation de l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial. L’article 64 du Code de procédure pénale et l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial ne suivant pas le même régime juridique.
La doctrine qui justifie le maintien des biens de Monsieur Basile Atangana Kouna sous main de justice est encore fausse parce que l’interprétation de la règle pénale, contrairement à la règle civile, est stricte. Elle est le corollaire du principe de la légalité. La légalité n’admet pas d’aller au-delà de ce qui est prévu par la loi. Vous noterez que l’article 64, alinéa 3 du Code de procédure pénale précise : « lorsque l’action publique a été arrêtée en application de l’alinéa 1er …. ». C’est donc dans le cadre de cet alinéa 1er que le régime du maintien des biens sous main de justice se justifie dans le cadre de cet alinéa premier. Or les faits pour lesquels Basile Atangana Kouna était poursuivi sont étrangers à cet alinéa 1er. Dire donc que cet article étend son application sur les faits que la loi ne prévoit pas, est une fausse interprétation. Le principe de la légalité prohibe l’extension du sens du texte et son domaine. C’est le ratio legis, c’est-à-dire la raison d’être de la loi qui prime. On parle alors de l’interprétation téléologique. L’idée étant de lutter contre l’arbitraire, comme celui que vit Basile Atangana Kouna aujourd’hui. Quel est donc l’esprit de l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial sinon d’arrêter les poursuites parce que le suspect a remboursé le corps du délit ?
FAUSSE INTERPRÉTATION
Il est simpliste de dire que la restitution du corps du délit est un aveu. L’aveu obéit à des règles bien précises : l’aveu peut être motivé, l’aveu peut être suggéré etc.., motif pour lequel il est rétractable. Faut-il rappeler, le principe constitutionnel fondé sur la présomption d’innocence tel qu’il figure dans la Constitution du Cameroun en ces termes : « Tout prévenu est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie au cours d'un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense ». En application de ce principe, Basile Atangana Kouna est présumé innocent parce qu’il n’a pas été condamné par une juridiction et il doit être perçu comme tel. Une faute qui entrainerait le remboursement n’est pas nécessairement une infraction pénale. Elle peut être délictuelle, quasi-délictuelle. Elle peut être une imprudence ou une négligence. Elle peut avoir été commise par des personnes ou des choses dont on a la garde. Il n’appartient qu’à la juridiction de jugement de qualifier le fait en détournement par exemple. Tant que la juridiction de jugement ne l’a pas fait, Basile Atangana Kouna est présumé innocent et la restitution qu’il a effectuée peut bien trouver son fondement ailleurs que dans le détournement de deniers publics.
Dans tous les cas, l’interprétation analogique, qui étend le domaine de l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial, qui encadre le régime de la restitution des biens, à l’article 64 du Code de procédure pénale, qui encadre le régime de l’ordre public, tend à faire excéder les dispositions de l’article 18 de la loi sur le Tribunal criminel spécial. La doctrine de « l’homme en robe noire » suggère donc la violation des dispositions de ce texte par fausse interprétation.
Sur un autre plan, il n’est pas justifié par l’acte juridique qui fonderait le maintien sous main de justice les biens de Monsieur Basile Atangana Kouna.
Dans l’article 64 du Code de procédure pénale qu’il vise - et qui n’est pas applicable au cas d’espèce -, le juge d’instruction, ou la juridiction de jugement n’est pas dessaisie de l’action civile, ce qui est normal puisque le corps du délit n’est pas restitué. Il reste donc l’action en dommages-intérêts. Dans le cas de Basile Atangana Kouna, puisque le dommage a été réparé par la restitution du corps du délit, il n’y a plus de dommage à réparer et par conséquent rien ne peut plus justifier une action en dommages-intérêts contre lui pour les faits se rapportant à la saisie de ses biens.
Faut-il rappeler qu’il est de jurisprudence, que la Cour de cassation censure les décisions des juges du fond dont les motifs révèlent une indemnisation excédant le montant du préjudice subi (Civ 1ère 9 novembre 2004 B I N°264) ou « ne permettent pas à la Cour de cassation de vérifier si les sommes allouées n’excèdent pas le préjudice » (Civ. 2ème 21 juin 1989 B n° 134). Dans le cas d’espèce, le préjudice subi par l’Etat était chiffré à un montant de trois milliards cent quarante-cinq millions (3 145 000 000) Fcfa. Basile Atangana Kouna a restitué le montant de trois milliards cent quarante cinq millions (3 145 000 000) Fcfa. Cette restitution a effacé l’intégralité du préjudice subi par l’Etat. Ce dernier ne dispose donc plus d’une action civile sur lui, sauf abus de droit d’agir en justice, puisqu’il n’y a plus de droit litigieux entre Basile Atangana Kouna et l’Etat du Cameroun, le corps du délit (ou du crime) ayant été restitué.
Si la doctrine est dans la fausse interprétation de l’article 18 de la loi organisant le Tribunal criminel spécial, les fonctionnaires sont dans le refus de son application. Il s’agit ici du refus d’appliquer la règle à une situation qu’elle devrait régir. L’article 18 de la loi organisant le Tribunal criminel spécial régit les restitutions du corps du délit qui ouvre la possibilité de l’arrêt des poursuites. Or, dès lors que cette option est levée suite à la transaction pénale, les saisies conservatoires qui affectaient les biens meubles et immeubles de ce citoyen sont désormais caduques, de cadere en latin, qui veut dire tomber. Restituez-lui ses biens.