Actualités of Wednesday, 9 August 2023

Source: Signatures N°182

Epervier et TCS : le procès de la Justice

L’oiseau de proie vole, puis fonce subitement sur ses victimes L’oiseau de proie vole, puis fonce subitement sur ses victimes

C’est une personnalité de tout premier plan qui tient le rôle principal, la vedette pour tout dire en ce jour de 1997, dans ce qui ressemble alors étrangement à une production cinématographique. Phares et gyrophares scintillent dans la semi- clarté du petit matin ; les escouades de gendarmes et de policiers en armes ont encerclé la propriété du Pr Titus Edzoa. Chirurgien émérite, ancien Secrétaire général de la présidence de la République et plusieurs fois ministre, Titus est habitué aux ors du pouvoir mais cette fois ce n’est pas pareil.

Son interpellation en ce jour est bien réelle, au moins aussi réelle que sa démission fracassante du poste de ministre de la Santé, et sa déclaration de candidature à la future élection présidentielle quelques jours auparavant. Et puis, l’impressionnante escorte motorisée s’est ébranlée vers une destination inconnue ; et le meuglement des sirènes petit à petit s’est estompé dans la douceur du petit matin ; la chasse au gros gibier dans la lutte à grande échelle contre la corruption avait commencé.

Elle devait s’intensifier au milieu des années 2000 sous l’appellation d’opération Epervier. Elle est enfin consacrée par la création du Tcs, le Tribunal criminel spécial en décembre 2011. Mais à toutes ces différentes étapes, le rituel des arrestations spectaculaires a pris racine. Les Ephraëm Enoni, Premier ministre au lancement d’Epervier en 2005 et lui-même victime en 2012 ; Urbain Olanguena Awono ; Polycarpe Abah Abah ; Alphonse Siyam Siwe ; Jean-MarieAtangana Mebara ;Marafa Hamidou Yaya… et autres Yves Michel Fotso ont ainsi connu leurs moments d’humiliation.

Réveillés au petit matin et embarqués devant femmes, enfants, domestiques et curieux, ils sont conduits sans ménagement dans les geôles en coupables certifiés. Ils auraient pourtant dû bénéficier des dispositions de l’article 8 du Code de procédure pénale qui stipule : «Toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui sont assurées». Ainsi, la présomption d’innocence est-elle incompatible avec le spectacle de ces arrestations.

Cette présomption prescrit d’ailleurs de la discrétion dans l’interpellation, parce que l’on devrait impérativement garder présente à l’esprit la question d’un possible acquittement. Et justement, la récente actualité rappelle la réalité de ces acquittements qui eux, laissent transparaître la possibilité d’existence dans ces multiples procès, de cabales orchestrées contre certains suspects, pour les punir de n’avoir pas su respecter les règles de retour d’ascenseur établies en catimini au nez de la méritocratie et de la…justice.

Plus grave, les arrestations sensationnelles ont la fâcheuse propension à désigner suspects, inculpés et prévenus comme définitivement coupables, les exposant ipso facto à la vengeance du petit peuple qui veut des têtes et du sang. Ce peuple les tient pour responsables de tous leurs malheurs et nonobstant tout jugement, qu’ils méritent d’être pendus haut et court. Ils sont irrémédiablement et pour toujours les fossoyeurs de l’économie, des voleurs à la petite semaine.


Ironie du sort, ils sont même raillés par leurs codétenus pas toujours des modèles de vertu, mais qui les appellent publiquement et bruyamment Ddp, détourneurs de deniers publics. C’est dire l’opprobre dont ils sont revêtus toute la vie durant. Leur descendance en pâtira à coup sûr ; leur entourage aussi !


Criminel

En plus, ils sont interminables, ces procès du Tcs, Tribunal réputé criminel et qui porte si bien le qualificatif. Leur durée est pourtant très encadrée en théorie. Alors que le législateur a pris soin de préciser que « Cette juridiction dispose d'un délai de six (06) mois pour rendre sa décision », rien n’y fait. Sans doute pour mériter et justifier l’épithète « criminel » à lui adjoint, des années et des années de torture et de calvaire des justiciables sont actuellement nécessaires à ce tribunal pour condamner ou relaxer.

Se pose alors en cas d’acquittement, la question des réparations des torts multiformes et parfois indélébiles causés aux citoyens. Il y a aussi la détention provisoire qui tend à se généraliser, alors qu’aux termes de la loi, elle constitue une «mesure exceptionnelle qui ne peut être ordonnée qu’en cas de délit ou de crime».

D’ailleurs en vertu de la présomption d’innocence, aucun crime ne saurait être attesté avant tout jugement. La durée de cette détention provisoire est un autre cas flagrant du peu de cas fait de la règle dans les procédures. La loi portant Code de Procédure Pénale prévoit justement en son article 221 que «La durée de la détention provisoire est fixée par le Juge d'Instruction dans le mandat. Elle ne peut excéder six (6) mois. Toutefois, elle peut être prorogée par ordonnance motivée, au plus pour douze (12) mois en cas de crime et six (6) mois en cas de délit. A l’expiration du délai de validité du mandat de détention provisoire, le Juge d’Instruction doit, sous peine de poursuites disciplinaires, ordonner immédiatement la mise en liberté de l’inculpé, à moins qu’il ne soit détenu pour une autre cause ».

Les « poursuites disciplinaires » dont il est question restant une simple vue de l’esprit qui prête d’ailleurs à sourire dans le contexte camerounais, les magistrats en leur âme et conscience et au nom du respect de la Justice et de la liberté d’autrui, devraient un tant soit peu respecter la loi, question de montrer l’exemple. Par ailleurs, la loi dispense de cette détention provisoire, tout « inculpé justifiant d'un domicile connu », sauf en cas de crime.

Et une fois encore, la présomption d’innocence vient à la rescousse du justiciable qui ne peut être taxé de criminel qu’au terme d’un procès. Qui plus est, plusieurs possibilités pécuniaires sont offertes au suspect, à l'inculpé, au prévenu ou à l'accusé pour se tirer d’affaire. Il y a la liberté sous caution ; et le remboursement du corps du délit dont ont déjà bénéficié certains aujourd’hui en liberté.


Finalement, le législateur a mis à la disposition de la Justice, une panoplie d’instruments pour assurer ou faire assurer efficacement la défense du suspect, de l'inculpé, du prévenu ou de l'accusé. Mais pourquoi magistrats et avocats ne réussissent-ils pas à les sortir du pétrin ? Certes, l’idée d’une justice aux ordres est répandue dans l’opinion, mais cet argument très facile est en partie battu en brèche par des acquittements en cascade. La cause de l’inertie des robes est sans doute à rechercher dans un recrutement et une formation chaotiques.