Actualités of Friday, 11 August 2023

Source: Signatures N°182

Epervier : les intouchables du régime se sont retrouvés dans les griffes du rapace oiseau ; Amougou doit craindre le pire

Ephraïm Inoni était PM au lancement de l’opération, 6 ans plus tard il se retrouve dans ses griffes Ephraïm Inoni était PM au lancement de l’opération, 6 ans plus tard il se retrouve dans ses griffes

En ce vendredi matin du 26 juillet 2006, lors de l’ouverture du congrès national du Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (Rdpc) au Palais des Congrès de Yaoundé, le président national dudit parti, ci-devant chef de l’Etat, pince sans rire déclare dans son discours.

« Malgré nos efforts pour combattre la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. J’ai eu à m’exprimer souvent sur le sujet et à dire ma détermination à éradiquer ces comportements asociaux. Des sanctions sévères ont été prises au cours des derniers mois. Nous n’allons pas nous arrêter en chemin. Ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge. »

Hilarité générale dans la salle puis applaudissements nourris de l’assistance, au premier rang de laquelle, les puissants barons du régime. Certains pensent encore, -sans en accorder grande importance-, entendre l’une de ces boutades passagères dont leur président national est familier dans ses discours. Mais toujours sérieux et plus grave, ce dernier continue.

« Nous disposons maintenant d’un appareil institutionnel apte à traquer la corruption sous toutes ses formes. La Chambre des Comptes déjà citée est opérationnelle. La Commission nationale Anti-corruption, l’Agence nationale d’Investigation financière, les multiples commissions de passation de marchés ont toutes une mission essentielle au service de cette cause nationale. Les délinquants à col blanc n’ont qu’à bien se tenir ! ».

Applaudissements mitigés dans la salle, les visages deviennent graves et beaucoup comprennent enfin la profondeur de la mise en garde. Le président national a décidé de sévir désormais et de la manière la plus forte. Tout ceci relève d’un contexte dans lequel le Cameroun est numéro un mondial depuis plusieurs années, sans dauphin, du pays le plus corrompu au Monde.

Le chef de l’Etat, par ailleurs président national du Rdpc, le parti au pouvoir a enfin décidé de prendre le taureau par les cornes. Les premières victimes sont déjà sous les cachots en l’occurrence les directeurs généraux du Feicom, de la Sic, du Crédit foncier et leurs principaux collaborateurs.

Dans un contexte d’imposition, au plus fort de la crise économique qui a consacré la toute-puissance du Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les autres partenaires internationaux du Cameroun, l’opération d’assainissement de la gouvernance publique et de traque des criminels à col blanc suscite une vive adhésion chez la plupart des Camerounais.

Inoni Ephraïm est alors Premier ministre et Edgard Mebe Ngo’o, Délégué général à la Sureté nationale. Ironie du sort, ils font aujourd’hui partie des centaines victimes de cette opération Epervier qu’ils ont pilotée à ses débuts. Le premier est inculpé en 2012, mais a réussi à se faire évacuer pour des raisons médicales, le second croupit à Kondengui avec son épouse depuis 2019.

On évalue à plus de 2000 milliards, le total des fonds détournés par les inculpés dans cette opération Epervier. Des chiffres effrayants. Un total qui devrait connaitre un bond considérable si des procès étaient ouverts pour d’autre cas pendants comme l’autoroute Douala-Yaoundé, les fonds du Covid et même la construction du stade omnisports d’Olembé, Cotco et Savannah ou encore la désormais affaire Glencore, entre autres.

Tout un budget de l’Etat a ainsi été consommé par quelques personnes seulement. Quoi de plus normal dans un pays où un kilomètre de bitume coute 100 fois son prix normal, un stade construit ici vaut autant que cinq stades ailleurs, un avion acquis ici vaut le prix de quatre achetés par le Congo, un camion de sable à 700 000 francs CFA, un sac de ciment à 16.000, et j’en passe. Tout est surfacturé, la corruption a ainsi fait son lit.

Sans pitié

Depuis 2006 donc, date de sa vitesse de croisière effective, l’Epervier a frappé sans états d’âme. Plusieurs jusque-là prétendus intouchables du régime en place, amis ou proches parents du chef de l’Etat se sont retrouvés dans les griffes du rapace oiseau. Tout un gouvernement s’est ainsi retrouvé derrière les barreaux.

Ils sont ainsi des centaines, voire plus, de victimes : anciens Premiers ministres et ministres, anciens secrétaires généraux de la Présidence de la République, directeurs généraux et assimilés, diplomates, officiers supérieurs des Forces de Défense, hommes de droit, fonctionnaires, hommes d’affaires, etc…

Aucun corps n’est épargné dans cette action de salubrité publique. Les sentences sont généralement très lourdes, allant de 20 ans au moins à la perpétuité. Parmi les plus célèbres victimes de l’opération, on peut citer pêle-mêle les anciens secrétaires généraux de la Présidence de la République Titus Edzoa, Jean-Marie Atangana Mebara et Marafat Hamidou Yaya, Ephraïm Inoni, ancien Premier ministre, Polycarpe Abah Abah, ancien ministre de l’Economie et des Finances, Urbain Olanguena de la Santé, Edgard Alain Mebe Ngo’o de la Défense, Haman Adama et louis Bapes Bapes des Enseignements secondaires, Basile Atangana Kouna de l’Eau et de l’Energie, les anciens directeurs généraux Gervais Mendo Ze et Amadou Vamoulke de la Crtv, Alphonse Siyam Siewe du Port autonome de Douala, Yves Michel Fotso de la Camair, Zacchaeus Mungwe Forjindam des Chantiers navals et industriels du Cameroun, Roger Ntongo Onguene des Aéroports du Cameroun, Gilles Roger Belinga de la Sic, Emmanuel Gerard Ondo Ndong du Feicom, Iya Mohammed de la Sodecoton, JeanBaptiste Nguini Effa de la Scdp, Edou Joseph du Crédit Foncier, Jean William Sollo de Camwater, l’ancien délégué du Gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala, Colonel Etonde Ekotto, l’ancien administrateur du Fonds routier Atangana Bikoé Jean-Claude, l’avocate Lydienne Eyoum, l’homme d’affaires Michel Thierry Atangana pour ne citer que ceux-là, car ils sont nombreux, trop nombreux même !

Des fortunes diverses

Beaucoup sont morts en prison, comme l’ancien ambassadeur du Cameroun aux Etat-Unis Jérôme Mendouga en 2014, ou encore l’ancien directeur des Télécommunications au Minpostel Dieudonné Angoula et l’ex-secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires Cathérine Abena, Henri Engoulou, ancien ministre délégué en charge du budget au ministère de l’Economie et des Finances et plus récemment encore le Pr Gervais Mendo Ze.

Certains ont réussi à s’évader et se retrouvent en exil hors du pays, à l’instar de Dayas Mounoume, ancien Dg du Port de Douala, Ambassa Zang, ancien ministre des Travaux publics, Jean-Marie Assene Nkou dans l’affaire de l’avion présidentiel, Njiemoun Isaac, ex-dg de la Caisse autonome d’Amortissement. D’autres ont bénéficié finalement de non-lieux et ont été acquittés ou encore ont été remis liberté après avoir remboursé le corps du délit.

Des chanceux ont pu être évacués pour des raisons sanitaires mais la grande majorité des prévenus croupit toujours en prison. Actuellement, l’opinion publique suppute sur la reprise de cette opération avec de nouvelles pendantes qui continuent de défrayer la chronique. Mais nul ne maitrise le timing du principal ordonnateur.

Entre-temps, les lourdes sanctions infligées aux uns et aux autres dans le cadre de cette opération ne semblent pas faire peur à certains encore en activité. Ils continuent à piller allègrement la fortune publique au vu et au su de tous. On attend tout simplement les prochaines proies !