Avant même de fouler le sol de la salle d’audience du TPI pour venir répondre de ces faits, Me Akere Muna avait, lors d’une conférence de presse donnée le 14 juin 2018, pris l’opinion publique à témoin au sujet ce qu’il croit être une cabale destinée à torpiller ses ambitions politiques. Cabale qui serait selon lui l’oeuvre de M. Esso Laurent, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux. La démarche de l’ancien bâtonnier visait à démontrer que les procédures engagée contre sa personne, bien que se déroulant sur le terrain judiciaire, ont pour seule finalité des visées politiques. Toute chose qui, jugeait-il alors, étalent au grand jour «l’instrumentalisation de la justice».
A en croire son exposé devant la presse, voulant s’établir à son propre compte de retour d’études au Canada, sa cadette a mis sur pied une société dénommée Elfrina qui a finalement déposé le bilan pour gestion approximative laissant sa promotrice sur le carreau, «criblée de dettes avec beaucoup de problèmes de chèques sans provision». L'information claire et nette. Certaines des créances seront soldées par ses frères et le père Muna, contraint de laisser filer une parcelle de terrain en règlement d’un différend opposant sa fille à une banque. Pourchassée par d’autres créanciers, dit l’ancien ténor du barreau, Mme Ama Tutu s’est réfugiée à Dakar où vivait un autre de leurs aînés. Là-bas aussi, elle a laissé des dettes avant de rentrer s’installer au Cameroun, nous apprend-t-il.
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Me Akere Muna racontait que sous la pression de ses frères, elle a été nommée «secrétaire particulier» de leur défunt géniteur par le président de l’Assemblée nationale et vivait avec lui à Mbengwi quand son militantisme au sein du Rdpc, parti au pouvoir s’est éveillé. Elle a gagné dans la foulée deux marchés de construction des bâtiments devant abriter la cour d’Appel du Nord-ouest à Bamenda et le TGI de Banso sous le couvert de sa société Femi Construction. «De gré à gré, sous le règne du ministre Esso», commentait-t-il. Les ennuis surviennent quand Mme Ama Tutu Muna, selon son frère, a sollicité des avances financières auprès de la succursale Afriland First Bank de Bamenda qui occupe un immeuble appartenant à leur père. La banque va exiger une caution que l’unique fille Muna n’est pas en mesure de réunir. Elle tente alors de convaincre leur géniteur qui refuse de l’accompagner dans son initiative. Il trépasse en janvier 2002 et tout s’emballe.
«Avant même que nous ayons terminé la période de deuil de six mois, elle a relancé la demande de caution en sa qualité d'héritière de la succession. Elle va contacter le chef de famille de l’époque pour lui poser le problème. Daniel Muna m’a consulté en ma qualité de conseil juridique de la famille et, en examinant le dossier, j’ai découvert qu’elle a transmis au ministère des Finances, une attestation de virement irrévocable en faveur d’Afriland First Bank et j’ai dit à mon frère qu’il n’y avait pas de risque. J’ai cependant suggéré de convoquer un conseil de famille en vue de l’obtention d’un jugement d’hérédité. Pour ça, on s’est réuni à Douala et tout le monde a signé le procès-verbal de conseil de famille qui a désigné Daniel Muna administrateur des biens. Me Ndoumbe Abraham a été constitué par mon frère et moi, j’ai été mandaté pour représenter toute la famille à l’audience.» C’est le jugement rendu le 18 juillet 2002 par M. Elanga Emmanuel qui a été rétracté par le même magistrat le 7 juin 2018, soit 16 ans plus tard.
L’avocat avait aussi fait savoir que ledit jugement qu’accompagnait une procuration donnée à leur cadette a servi pour la signature de la convention d’hypothèque qu’elle souhaitait réaliser. «Je n’ai pas bénéficié de ce jugement. Pourquoi elle s’acharne sur moi? J’ai pourtant versé 60 millions de francs de mon compte vers le trésor public pour la protéger des poursuites au sortir du gouvernement. Sa gestion avait été auditée et il y avait des déficits», s’interroge-t-il. L’homme politique ne décolère plus lorsqu’il se souvient que, fraîchement désigné administrateur des biens de la succession par tous ses frères et sa soeur y compris le 10 août 2009 après le décès de Dr Daniel Muna, l’ancienne ministre en fonction à l’époque des faits lui a transmis des sommations de Afriland First Bank qui menaçait de pratiquer une saisie immobilière pour non-paiement de la dette de la société Femi d’un montant avoisinant les 400 millions de francs.
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«Je lui ai demandé les documents et elle a dit ne pas les détenir et ne se rappeler de rien. J’ai dû dépêcher d’urgence un avocat à Bamenda pour demander à la banque de nous communiquer tous les documents pouvant justifier la créance.» Aux dires de l’ancien bâtonnier, le dossier était accablant. «J’ai découvert qu’elle avait trahi notre confiance en hypothéquant deux immeubles au lieu d'un seul comme prévu. Elle a encaissé trois ans de loyers d’un immeuble de la succession et soutiré l’AVI du ministère des Finances pour se faire payer directement par la trésorerie générale de Bamenda. Finalement, aucun paiement fait par l’Etat n’est passé par le compte ouvert à Afriland pour l’apurement de la créance.» Devant la gravité des faits et face aux menaces de poursuites pour escroquerie et abus de confiance, l’avocat confesse que la succession a décidé de régler l’affaire à l’amiable.
«Une convention en date du 18 février 2011 a été signée entre moi-même ès qualité d’administrateur de la succession, Dame Ama Tutu comme débitrice et Monsieur Alamine Ousmane Mey comme Directeur Général de la Banque. A la date d’aujourd’hui, la succession reste débitrice d’un montant qui est réglé à partir des loyers dus à la succession». Selon Me Akere Muna, sa cadette a pillé la succession grâce aux décisions qu’elle rejette aujourd’hui en prétendant ignorer leur existence. Pour clore le tableau, la benjamine de la famille a obtenu le 14 août 2018 la rétractation d’un autre jugement devant le TPI de Douala- Bonanjo. Elle avait attaqué la décision de justice qui a reconnu Me Akere Muna comme administrateur des biens de la succession le 27 août 2009 après le décès de Daniel Muna, leur frère et précédent gestionnaire. Ledit jugement était le prolongement du jugement-mère rendu le 18 juillet 2002 par la même juridiction. Comme son collègue, M. Souaibou Youssoufa, le juge qui connaissait de l’affaire, a jugé que l’ordonnance querellée était entachée d’irrégularités, de fraude. Le feuilleton se poursuit.