Twitter, Facebook, Instagram : à l’approche du scrutin du 7 octobre, les candidats déploient leur stratégie pour séduire les jeunes électeurs.
Thierry exhibe fièrement sa carte d’électeur. A 22 ans, cet étudiant en communication d’entreprise à la coupe afro votera pour la première fois lors du scrutin présidentiel camerounais du 7 octobre. « J’ai toujours rêvé d’accomplir mon devoir, sourit-il, les yeux fixés sur la carte qu’il retourne entre ses doigts. Maurice Kamto gagnera une voix de plus grâce à moi ! ».
Pour appuyer ses dires, le jeune homme sort son téléphone du sac noir qu’il porte en bandoulière et fait défiler sur l’écran les images du candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) lors de ses différents meetings à travers le pays. « Ici, il est à Yokadouma, là, à Garoua-Boulaï », énumère-t-il. Thierry, habitant de Douala, la capitale économique, n’a pourtant jamais rencontré l’ancien ministre délégué qui a claqué la porte du gouvernement en 2011.
Tout ce qu’il sait de lui, il l’a appris lors de ses passages dans les médias et « lu surtout sur les réseaux sociaux ». « Je le suis sur Twitter, Facebook, Instagram et dans divers groupes WhatsApp qui lui sont consacrés. A chaque nouvelle publication, je reçois une alerte. S’il est élu, il créera des emplois et peu de diplômés seront au chômage. Il l’a dit et je le crois vraiment », assure Thierry avec candeur.
LIRE AUSSI: Lancement de la campagne de Biya: 11 milliards pour réhabiliter Maroua
S’en passer serait « suicidaire »
La campagne électorale officielle ne s’ouvrira que le 22 septembre mais, à moins de trois semaines de ce scrutin à un tour pour lequel neuf candidats sont en course, une autre campagne se joue, loin des villes et villages. Sur les réseaux sociaux, des candidats multiplient les publications pour vanterleur programme et séduire les électeurs potentiels comme Thierry.
D’après la liste provisoire d’Elections Cameroon (Elecam), organe chargé des élections, quelque 6,6 millions de Camerounais sont attendus aux urnes. Parmi eux, beaucoup ont moins de 35 ans. Une cible très présente en ligne.
« En janvier 2018, il y avait environ 3,7 millions de Camerounais sur les réseaux sociaux, dont 65 % sont des jeunes en âge de voter. C’est énorme, quand on sait que pour le dernier scrutin présidentiel, en 2011, le nombre de votants n’a pas dépassé 4,9 millions. Pour tous les candidats, c’est un autre champ où il faut chercher des voix », analyse le docteur Baba Wamé.
Enseignant en cyberjournalisme et en gestion des réseaux sociaux à l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic), il estime qu’en 2018 se passer de Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, etc., est « suicidaire ».
C’est d’ailleurs sur Twitter que Paul Biya, président de la République depuis trente-cinq ans et en lice pour un septième mandat, a annoncé sa candidature, le 13 juillet, à ses 349 000 abonnés. Un signe de « modernité »que ne cessent de vanter les partisans du dirigeant âgé de 85 ans.
Grégoire Owona, ministre du travail et de la sécurité sociale, par ailleurs secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), qui s’est inscrit en août sur le réseau social à l’oiseau bleu, est devenu l’un des principaux communicants 2.0 du parti. Comme dans toute campagne, il n’hésite pas à retweeter les informations défavorables aux opposants du chef de l’Etat sortant, comme cette vidéo où l’on voit l’ancien ministre Maurice Kamto encenser Paul Biya.
Comme lui, plusieurs candidats et membres de leurs partis mènent une véritable bataille de communication sur les réseaux sociaux. Tous les sujets sont abordés et des promesses lancées : éducation gratuite, lutte contre la corruption, instauration du fédéralisme pour mettre fin à la profonde crise sociopolitique qui secoue la partie anglophone du pays depuis 2016, gratuité de certains soins de santé, arrêt de l’endettement, développement du secteur numérique… Chacun vante son programme qui « améliorerait la vie des Camerounais ».
Partis aux moyens limités
« Aujourd’hui, tout le monde est attaché à son téléphone ou à son ordinateur. Il faut aller chercher les gens où ils sont, avec les armes qui sont à notre disposition », explique Serge Espoir Matomba, 39 ans, l’un des jeunes candidats. Suivi par 124 000 personnes sur Facebook, plus de 2 900 sur Twitter et 1 672 sur Instagram, il précise que la « sensibilisation se poursuit à la fois sur Internet et sur le terrain ». C’est aussi, pour des petits partis aux moyens limités, une manière abordable de faire campagne.
LIRE AUSSI: Présidentielle 2018: les cinq grands chantiers de Maurice Kamto
Dans les QG des formations, les équipes de community managers ont justement pour objectif de mobiliser et de fidéliser ces électeurs potentiels « d’Internet ». Pour éviter toute polémique, les publications sont étudiées avec les candidats.
« C’est une révolution dans la façon de communiquer sur la politique, mais c’est une révolution que nous nous devions d’amorcer pour le bien des citoyens », souligne Anne Kedi, responsable réseaux sociaux de Joshua Osih (15 000 abonnés sur Twitter, 81 000 sur Facebook et plus de 1 400 sur Instagram). Le candidat du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition, n’hésite d’ailleurs pas à interagir avec les internautes.
Une attitude que partage Akere Muna avec ses plus de 8 000 followers sur Twitter, 36 000 sur Facebook et environ 500 sur Instagram. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun, engagé dans la compétition présidentielle, mise aussi sur les photos et vidéos pour faire passer son message.
« L’objectif premier est de diffuser et de faire découvrir au plus grand nombre la vision et l’offre du candidat Akere Muna, […] de faire connaître sa vision de la vie, sa philosophie et l’idéal qu’il chérit pour son pays », confie Françoise Essangui, chargée de la communication numérique du fils de l’ancien premier ministre du Cameroun anglophone.
Cette mobilisation 2.0 sera-t-elle suffisante pour battre celui qui dirige sans partage le pays depuis plus de trois décennies ? « Au Cameroun, les élections sont jouées d’avance. Tant que Paul Biya sera candidat, il sera élu. Il n’y a rien à dire là dessus, conclut le docteur Baba Wamé. Il a tous les médias, tous les fonctionnaires, toute la machine et tous les moyens financiers avec lui. » Un avis que partagent peut-être les candidats Garga Haman Adji, 74 ans, et Adamou Ndam Njoya, 76 ans ? Ils ne sont en tout cas pas actifs sur les réseaux sociaux.