Connue comme l’un des cercles d’influence les plus puissants du Cameroun, l’association Cercle des amis du Cameroun (CERAC), n’a pas toujours été une organisation de la bourgeoisie camerounaise. A ses débuts, l'association rassemblait les femmes diplomates accréditées au Cameroun. Très vite Chantal Biya s’est séparée de ces diplomates venues de l’Ouest. L'écrivain Fred Eboko raconte cette mutation dans l'oeuvre Chantal Biya: ''fille du peuple'' et érégie internationale dont nous vous proposons quelques extraits.
Au départ, le Cercle des amis du Cameroun était essentiellement constitué des femmes de diplomates installés au Cameroun et placé sous l’égide de la Première dame. Ces femmes étrangères, notamment occidentales, œuvraient dans le domaine de la santé et de l’éducation. Créée dans un but caritatif et dans une logique « Nord-Sud », cette association, elle aussi « apolitique, non confessionnelle et à but non lucratif », Chantal Biya se l’est appropriée. Cette mainmise a d’abord entraîné une « nationalisation » de l’ONG. En effet, le « Cercle » s’est élargi à l’ensemble des femmes de la bourgeoisie et des « élites » camerounaises : femmes appartenant au gouvernement, épouses de personnalités politiques de Yaoundé. Leurs actions portent sur des dons et surtout sur la « livraison » d’écoles clés en main suivant un projet pilote baptisé « Écoles des champions » où il s’agit de sélectionner les meilleurs élèves dans une localité et de mettre à leur disposition des enseignants triés sur le volet.
Les fournitures scolaires sont octroyées avec l’aide d’une entreprise française du monde de l’édition, qui détiendrait 80 % du marché du livre au Cameroun et qui travaille en partenariat avec le Cerac. Les cérémonies d’inauguration donnent lieu à des rassemblements des élites politiques et de leurs épouses dans chacun des départements où elles se déroulaient. L’opposition, de son côté, dénonce ces pratiques, autant du point de vue économique (le contrôle du marché du livre scolaire au Cameroun) que politique (la récupération de l’action de la Première dame par le parti de son époux). La période électorale accentue la controverse quant aux actions du Cerac dans le domaine de l’éducation. Pour autant, l’action éducative de ce cercle et des « Écoles des champions » a débuté à l’aune des années 2000 et s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui dans différentes provinces du Cameroun, notamment à l’est et à l’ouest du pays.
L’ampleur prise par cette association féminine ne manque pas de faire penser, par métaphore, à une société secrète de femmes. Parmi les rites traditionnels beti (centre et sud du Cameroun), le Cerac, en effet, aurait tendance à symboliser celui du mevungu puisque les femmes de ce microcosme semblent exposer ladite ONG à un risque de marginalisation – réel ou imaginaire ? – si elles venaient à ne plus s’y investir. Le Cerac semble ainsi constituer un itinéraire d’accumulation d’un capital symbolique féminin à proximité des sphères du pouvoir politique.
Les réunions ritualisées se passent donc sous l’égide, si ce n’est la présence formelle, de la présidente Chantal Biya qui est parmi les plus jeunes et sans doute parmi les moins diplômées des femmes rassemblées : une situation qui porte son lot d’inversions symboliques. L’affectation maternelle des unes, la circonspection prudente des autres ou l’adhésion stratégique de la plupart s’explique par le parcours politique, professionnel et matrimonial de chacune d’entre elles. Au-delà de ces contingences relationnelles, le Cerac et Mme Biya occupent ainsi un secteur ancien qui était plutôt l’apanage d’organisations caritatives internationales (Rotary Club, Lion’s Club, etc.) dont les membres s’illustraient autant par leur pouvoir économique que par leur position sociale. À la différence notable que le Cerac regroupe aujourd’hui exclusivement des femmes (toutes nationalités confondues, comme on l’a vu) placées sous l’autorité de la Première dame, ce qui introduit ainsi ces réseaux d’interconnaissance dans un cercle proche de la vie politique locale.