Durant deux jours à Yaoundé, les participants au Forum de la diaspora (Fodias) 2017 ont dû faire face au bouclier anti-questions qui fâchent.
«Je souhaite que cette crise, qui symbolise aussi le malaise de la diaspora anglophone, confrontée aux nombreuses incivilités, soit débattue sur la place publique». Une phrase, rageusement répétée par Justus Agbor, la presse accoure. Ce 28 juin, jour d’ouverture des travaux du Fodias 2017, l’homme, en compagnie de son épouse et ses trois enfants, a pris ses quartiers dans l’un des jardins ouest du palais des Congrès de Yaoundé. Il dit n’avoir «pas eu meilleure chance de se faire entendre que cette occasion qui réunit la diaspora camerounaise».
Sur les traverses d’un petit lit en bambous, le chef de la petite famille se montre rétif à tout dialogue avant de se faire expulser par les forces de sécurité.
La scène se déroule après le départ de Philemon Yang, le Premier ministre, venu ouvrir les travaux au nom du chef de l’Etat.
Murmures
Peu avant cette séquence protocolaire, on a entendu deux hommes murmurer des phrases incandescentes autour de la crise anglophone au Cameroun. Venus des États-Unis, tous les deux tiennent des propos échevelés qui ne s’arrêtent que le temps du passage d’un policier.
Dans un verbiage polyglotte, ils promettent de «dire à toute la diaspora d’imposer au gouvernement un ordre du jour axé sur la résolution du problème anglophone». Mal leur en a pris puisqu’ils sont finalement expulsés de l’enceinte du palais des Congrès.
Bouclier
Mis au parfum, le comité d’organisation tient à une séparation bien tranchée de la crise anglophone d’avec les autres thèmes inscrits à l’ordre du jour des travaux. L’un des personnels souffle même que les services spéciaux de la capitale ont envisagé un éventuel dérapage d’une «certaine diaspora».
«Là, confie un huissier de protocole, on voit la véracité des informations reçues et selon lesquelles, quelques propagandistes, travestis en participants, sont dans les parages». Enrobées dans un discours plus musclé, les directives d’un officier de gendarmerie insinuent la dénonciation de toute velléité allant dans un sens contraire aux objectifs du Fodias 2017.
En clair, «ne pas permettre aux polémiques de fuser... Elles permettraient à un mauvais coup médiatique de partir!», instruit le haut-gradé à ses subalternes. Ces derniers ont les visages fermés, prêts à toute éventualité. A cet égard, force est de constater que la grand-messe de la diaspora camerounaise est devenue un événement d’autant plus «guetté» que les pouvoirs publics ont mis des moyens conséquents, contribuant de fait à forger le succès des travaux et des discussions. Diverses équipes ont tenu leur rôle : contenir le choc probable d’une thématique sociopolitique, susceptible de compromettre la structure évolutive de l’agenda. En l’état, le dispositif d’alerte s’est alors décliné en une succession de tableaux décryptant les comportements et les mots sous le vernis de la sécurité.
L’ambiance, bien cadrée, a permis à de nombreux participants de se confondre pour accoucher d’un propos lénifiant à l’endroit des organisateurs. «Ici, dès les premiers instants, on a compris que la charge réactionnaire des uns et des autres contre le pouvoir a été abolie au profit de ce dernier», souffle un «diasporien» venu de France.
Basé en Allemagne, un autre est plus prudent. «Dans l’avion, on se disait que c’est le bon moment. Nous avons des idées à proposer au gouvernement par rapport à la crise anglophone ; ils nous ont tendu la main. Mais une fois ici, on s’est rendu compte qu’on a fait un mauvais pronostic et qu’on rester tranquille. Même si on a une boule dans la gorge, on sait qu’on n’a pas le droit de craquer jusqu’à la fin des travaux. Il faut trouver la bonne posture, un juste milieu. Par exemple, ne rien dire sur le sujet, mais on doit tout de même leur montrer qu’on n’est pas content que ce sujet soit écarté des débats», avoue-t-il.