L’une des révélations qui a le plus fait du bruit dans l’affaire Martinez Zogo est l’implication du Ministre de la justice Laurent Esso.
Dans le cadre de l’enquête visant à mettre la main sur les assassins de Martinez Zogo, le nom de Laurent Esso a été cité comme complice par le lieutenant-colonel Justin Danwe, directeur des opérations de la DGRE. Dans une des versions des faits, Laurent Esso serait même celui qui a donné l’ordre final pour qu’on abatte le journaliste.
Interviewé par Jeune Afrique, l’avocate Alice Nkom estime qu’à l’état actuel des choses, Paul Biya ne fait plus confiance à Laurent Esso.
« Le ministre Esso va souffrir d’une présomption de culpabilité étant donné que le président a montré qu’il préférait faire passer ses instructions par le ministre secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, déclare Alice Nkom. Si les informations selon lesquelles le président a tous les éléments du dossier sont exactes, chacun peut en tirer ses conclusions. La situation montre en tout cas que dans cette affaire, même le président ne fait pas confiance au ministre de la justice puisqu’il l’a ‘’by-passé’’.»
Même si Paul Biya ne fait pas confiance à son fidèle ami dans l’affaire Martinez Zogo, il est difficile pour lui de le laisser à la merci des enquêteurs dans le cadre de cadre de l’enquête en cours. Il y a tout juste 1 mois, le 16 février 2023, le journaliste Xavier Messe a donné les raisons qui motivent ce choix du Chef d’Etat dans un article.
Les enquêtes grippées
Mardi 14 février 2023 en début d’après-midi, les principaux suspects dans l’assassinat de Martinez Zogo, à savoir Eko Eko Maxime, Justin Danwe, Jean-Pierre Amougou Belinga, Bruno Bidjang, ont été présentés au Commissaire du gouvernement du Tribunal militaire. Nous avons appris ensuite que toutes ces personnes sont retournées au Sed « pour des compléments d’informations », où leur garde à vue a été prolongée.
ASSASSINAT DE MARTINEZ ZOGO
Toute la semaine passée, les médias traditionnels et les réseaux sociaux ont abondamment relayé un communiqué de presse de l’Ong « Reporters sans frontières ». Dans ce communiqué dense et finement rédigé, l’organe de défense des intérêts des hommes des médias, à travers ses envoyés spéciaux et ses correspondants locaux, affirme avoir eu accès aux informations contenues dans la déposition du lieutenant-colonel Justin Danwe de la Dgre. Ce dernier est jusque-là considéré comme le chef du commando qui a torturé et assassiné Martinez Zogo. Cette sortie de Rsf a été reprise par de très nombreux médias occidentaux. Rsf cite nommément Laurent Esso comme ayant partagé une communication téléphonique avec Amougou Belinga, pendant que le commando exécutait sa basse besogne sur le corps de Martinez Zogo.
Pour qu’une enquête de cette nature soit bouclée, les enquêteurs ont l’obligation d’auditionner toute personne dont le nom est cité par un témoin ou par un suspect. C’est le cas de Laurent Esso, ministre de la Justice. Selon des informations non confirmées à ce jour, le chef de l’État aurait marqué son accord pour que le garde des Sceaux soit entendu par les enquêteurs. Ce qui n’a pas été fait au moment où nous terminions d’écrire ces lignes. Dans ces conditions, il faudrait comprendre que le Commissaire du gouvernement ne disposerait pas de tous les éléments pour commencer son travail ; d’où le retour des suspects au Sed.
Dans les pratiques en démocratie, lorsqu’une personnalité publique est citée pour une affaire en justice, elle se propose spontanément de se débarrasser d’abord de ses attributs officiels afin de défendre son honneur. Dans notre république des tropiques, on ne démissionne pas. Seuls le déshonneur et l’humiliation arrachent les personnes indexées de leur fauteuil.
Paul Biya pourrait-il laisser Laurent Esso à la merci des enquêteurs ? C’est un dilemme pour lui. Les deux hommes ont confectionné ensemble les institutions du Cameroun depuis 1982. Ils se connaissent un peu trop. Ils ont quelques caractéristiques en commun : la froideur, l’insensibilité, l’indifférence vis-à-vis de leurs semblables. Dans leur parcours administratif et politique, chacun sait où il tient l’autre. Laurent Esso est le seul membre du gouvernement qui parle à Paul Biya en le regardant droit dans les yeux. Le magazine Jeune Afrique, il y a quelque temps, avait fait sa manchette avec le titre et une photographie d’apparat : « Et si c’était lui ? » Avait-il posé cette question-programme. Connaissant les habitudes de ce journal, une pareille sortie n’était pas fortuite : ce fut une commande ou un ballon d’essai.
Paul Biya va-t-il courir le risque de bloquer l’action de la justice dans cette affaire de crime en protégeant un compagnon de route ? Répondre à une convocation en justice n’est pas synonyme d’une culpabilité. Laurent Esso le sait mieux que tout le monde.
Les Camerounais attendent que Paul Biya gère ce dossier de Martinez Zogo avec équité et impartialité. La communauté internationale le regarde. De sa façon de répondre à ces attentes, il sortirait de son long règne par la grande ou par la petite porte.