Comme annoncé il y a quelques jours par le nouveau ministre des Finances Louis Paul Motaze, l’État camerounais compte lancer dans les prochains jours une opération de comptage physique des agents publics.
L’objectif : repérer et éliminer les fonctionnaires fictifs qui constituent une importante partie des fonctionnaires au Cameroun. Selon une analyse de l’économiste Ariel Ngnitedem publiée dans le quotidien Emergence No 1209, cette méthode du ministre Motaze ne serait pas efficace.
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Le comptage va permettre de dénicher quelques employés fictifs qui émargent au budget de l’Etat. Mais je doute fort qu’il soit à même d’assainir véritablement le fichier solde. Pour assainir le fichier solde, il faut une étude beaucoup plus approfondie qu’un comptage. Aujourd’hui, personne ne peut dire quelle est la masse salariale de chaque mois. On l’actualise chaque mois, personne ne peut dire à l’avance quelle sera la masse salariale d’année en année, personne ne peut dire quel est le nombre de personnels de l’Etat.
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L’Etat ne tient pas encore de comptabilité générale en dépit de ce que cela est prévu par le nouveau régime financier de l’Etat entré en vigueur en 2013. Compter est bien, dénicher quelques emplois fictifs est bien, mais il faut aller au-delà. On connait Motaze comme quelqu’un porté vers les réformes, il a réussi des réformes avant d’arriver dans ce ministère. Je crois que c’est le «monsieur réforme» du président Biya. On peut espérer qu’il va réussir. Pour l’instant, l’opération qu’il a lancée ne suffit pas pour réussir à assainir le fichier solde de l’Etat. Il s’agit d’un enjeu de gouvernance des finances publiques parce qu’il s’agit de maîtriser la solde de l’Etat.
Elle passe par la maîtrise des effectifs de l’Etat. La première impression que j’ai eue de cette opération est qu’elle s’arrête au niveau des ministères. Or, l’Etat ne s’arrête pas au niveau des ministères. Il a des démembrements qui sont constitués de sociétés étatiques. Il faudra aller compter partout, mais il faudra davantage utiliser les standards, s’arrimer aux normes internationales à savoir que le personnel doit être fixé à la base dans le cadre de la loi des finances. Et le personnel se gère par ministère. Il doit donc être géré par ministère. Et c’est la solde qui fixe le plafond que chaque ministère doit utiliser.
A la suite, le ministre des finances et le ministre de la fonction publique font le suivi au bout d’une année dans le cadre d’une opération permanente. L’unité de compte ici ce n’est pas des individus, ce ne sont pas les têtes, c’est l’équivalent temps plein-travail. C’est-à-dire qu’on regarde les emplois publics, on dresse l’équivalent, l’unité de compte arrimée aux normes internationales. Par exemple, quelqu’un qui travaille à mi-temps pendant toute l’année va avoir un temps plein travail de 0,5.
Quelqu’un qui travaille une demi-année, uniquement six mois, en temps plein va avoir 0,5 de temps plein travaillé. S’agissant du Sigipes II, c’est vrai que des choses ont été faites dans ce sens à savoir, comme le sigle l’indique bien, le système de gestion intégrée des personnels et de la solde. En 2012, le Chef de l’Etat a signé un décret portant déconcentration de la gestion du personnel de la solde, aujourd’hui, la gestion du personnel est déconcentrée. Mais elle est au niveau des ministères. Il faut passer à la déconcentration du personnel et de la solde qui reste encore centralisée au niveau de l’Etat. Que le ministre des finances lâche du lest, et déconcentre la gestion de la solde.
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Cela permettra d’assainir plus efficacement le fichier solde du personnel de l’Etat, parce qu’en déconcentrant la gestion du personnel et de la solde, on va davantage responsabiliser les directeurs des affaires générales (Dag) des administrations centrales et des ministères qui pourront à leur niveau maîtriser le personnel qui y émarge dans le budget. Parce que la gestion de la solde est centralisée au niveau de la solde, les malversations sont nombreuses et c’est pour cette raison qu’on n’arrive toujours pas à maîtriser le fichier solde.
Il faut déconcentrer la gestion de la solde afin de permettre non seulement à chaque personnel de gérer le personnel, mais également la solde. Il faut mener cette opération au bout. Il faut responsabiliser les directeurs généraux des administrations générales des ministères, il faut inscrire la gestion du personnel de l’Etat dans le processus PPBS (planifier, programmer, budgétiser et surévaluer). Cela signifie qu’il faut planifier le personnel.
Au moment de budgétiser, il faut programmer le recrutement du personnel sur un seuil de trois ans, comme dans le cadre des CDMT (Cadre dépense à moyen terme) dans le cadre du budget, fixer le nombre maximum de personnels à utiliser par chaque ministère au début de chaque année budgétaire de façon à ce qu’au moment de rendre compte de l’exercice budgétaire, que l’on sache ce qui a exactement été budgétisé, s’arrimer au normes internationales, à savoir avoir des schémas d’emplois et compter sur la base des outils connus temps-plein-travaillé et étendre cette opération autour des démembrements de l’Etat.