Actualités of Monday, 25 April 2022

Source: www.bbc.com

Génocide au Rwanda : "j'ai pardonné à l'assassin de mon mari - nos enfants se sont mariés"

Génocide au Rwanda : Génocide au Rwanda :

Pour guérir, il faut aimer - c'est ce que croit une femme qui a non seulement pardonné à l'homme qui a tué son mari il y a 28 ans, pendant le génocide rwandais, mais qui a permis à sa fille d'épouser son fils.

Bernadette Mukakabera raconte son histoire dans le cadre des efforts continus de l'Église catholique pour apporter la réconciliation à une société déchirée en 1994, lorsque quelque 800 000 personnes ont été massacrées en 100 jours.

"Nos enfants n'ont rien à voir avec ce qui s'est passé. Ils sont simplement tombés amoureux et rien ne devrait empêcher les gens de s'aimer", confie Bernadette Mukakabera à la BBC.

Elle et son mari Kabera Vedaste appartenaient à la communauté tutsie, qui a été prise pour cible après qu'un avion transportant le président rwandais d'ethnie hutue a été abattu le 6 avril 1994.

Dans les heures qui ont suivi, des milliers de Hutus, endoctrinés par des décennies de propagande haineuse, ont commencé à commettre des meurtres bien organisés, en s'en prenant à leurs voisins Tutsis dans tout le pays.

Parmi eux, Gratien Nyaminani, dont la famille vivait à côté de celle de Bernadette Mukakabera à Mushaka, dans l'ouest du Rwanda. Ils étaient tous deux agriculteurs.

Après la fin des massacres et la prise du pouvoir par un groupe rebelle tutsi, des centaines de milliers de personnes accusées d'avoir participé aux meurtres ont été arrêtées.Gratien Nyaminani a été placé en détention et finalement jugé par l'un des tribunaux communautaires, appelés gacaca, mis en place pour traiter les suspects de génocide.

Lors de ces audiences hebdomadaires, les communautés ont eu la possibilité de faire face à l'accusé et d'entendre et de témoigner sur ce qui s'est réellement passé - et comment cela s'est passé.

En 2004, M. Gratien a raconté à Mme Bernadette comment il avait tué son mari et s'est excusé - et lors de la même audience, elle a choisi de lui pardonner.

Il n'a donc pas eu à purger une peine de 19 ans de prison, mais une peine de deux ans de travaux d'intérêt général.

"Je voulais aider"

Pendant les dix années de détention qui ont précédé ses excuses publiques, sa famille a cherché à se racheter auprès de Bernadette et de son fils Alfred, qui avait environ 14 ans lorsque son père a été tué.

La fille de Gratien, Yankurije Donata, qui avait environ neuf ans au moment du génocide, a commencé à aller chez Bernadette et à aider à la maison.

"J'ai décidé d'aller aider la mère d'Alfred à faire le ménage et même la ferme parce qu'elle n'avait personne d'autre pour l'aider étant donné que mon père était responsable du meurtre de son mari", raconte-t-elle à la BBC.

"Je pense qu'Alfred est tombé amoureux de moi quand j'aidais sa mère", poursuit-elle.


Bernadette Mukakabera a été touchée par sa considération : "elle m'a aidée en sachant bien que son père avait tué mon mari, elle savait que je n'avais pas d'aide car mon fils était en pension".

"J'ai aimé son cœur et son comportement - c'est pourquoi je n'ai pas résisté à ce qu'elle devienne la femme de mon fils."

Mais pour Gratien, ce n'était pas si simple - il était d'abord sceptique lorsqu'on lui a parlé de la demande en mariage.

"Il n'arrêtait pas de demander comment et pourquoi une famille qu'il a tant offensée voudrait avoir quelque chose à faire avec sa fille", explique Yankurije.

Finalement, il s'est laissé convaincre et a donné sa bénédiction, Bernadette étant catégorique sur le fait qu'elle n'avait aucune rancune envers Yankurije.

"Je n'avais aucun ressentiment envers ma belle-fille pour les actions de son père", dit Bernadette.

"Je sentais qu'elle pouvait faire la meilleure belle-fille parce qu'elle me comprenait mieux que quiconque. J'ai persuadé mon fils de l'épouser", dit-elle.

Le couple s'est marié à l'église catholique locale en 2008.

C'est là que Gratien s'était confessé devant la congrégation après avoir accompli son travail d'intérêt général deux ans plus tôt - demandant le pardon.

"Sans réconciliation, pas de sainte communion"

L'église a été au centre des efforts de réunification des communautés dans la région.

Le père Ngoboka Theogene, du diocèse de Cyangugu, affirme que les gens ont adhéré à son programme de réconciliation. Plusieurs autres confessions ont facilité des initiatives similaires.

Les églises se rendent compte que les gens n'ont pas d'autre choix que de vivre ensemble, alors autant le faire dans la paix et la compréhension.

"Les personnes accusées de crimes de génocide ne sont pas autorisées à recevoir le sacrement avant de s'être réconciliées avec la famille de leurs victimes", explique le père Ngoboka.

La réconciliation finale a lieu en public, lorsque l'accusé et la victime se tiennent ensemble.

"La victime tend les mains vers l'accusé en signe de pardon", explique-t-il.

Peu de temps après la mort de Gratien, des personnes ont assisté à un événement organisé récemment à Mushaka pour marquer les 28 ans du génocide, afin d'apprendre les moyens de coexister.

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"Lorsque nous parlons de changement, il ne s'agit pas de changer la couleur de la peau mais de changer son mauvais caractère", souligne l'animateur de l'événement, Apiane Nangwahabo, de la paroisse de Mushaka.

"Un changement de cœur est important avant de décider de vivre une vie sainte".

C'est ici que Bernadette a parlé du mariage de son fils avec la fille de l'assassin de son mari.

"J'aime tellement ma belle-fille et je ne sais pas comment j'aurais survécu si elle n'était pas là pour m'aider après la mort de mon mari".

Elle se dit réconfortée de voir que l'histoire d'amour d'Alfred et de Yankurije a encouragé beaucoup d'autres personnes à rechercher et à offrir le pardon.

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