Depuis quelques années, des voix s'élèvent, couplés à des débrayages de jeunes enseignants pour réclamer entre autres leur prise en charge et des avancements. Cette année, le ton s'est une nouvelle fois durci face aux atermoiements du gouvernement qui tarde à concrétiser ses promesses.
Il n'y aura pas eu de période d'observation cette année, comme ce fut le cas les années précédentes. Les enseignants des établissements primaires secondaires publics du Cameroun ont abordé la rentrée scolaire 2023-2024 en mode grève.
Entre absences d'enseigants dans les salles de classes, regroupements sur les campus ou encore une présence dans les salles sans dispenser les cours, l'on est entré dans la phase 2 des mouvements OTS (On a trop supporté) et OTA (On a trop attendu).
Deux regroupements nés de la frustration combinée à la misère des enseignants dans ce pays d’Afrique centrale.
Ce qui fait couver la colère depuis quelques années, c'est qu"'envrion 40 mille parmi ces eseignants du secondaire" -selon les propres estimations des leaders du mouvement OTS- sortis des écoles de formation ces dix dernière année ne perçoivent pas encore de salaire, ou n'en perçoivent qu'une partie.
Ce qui constituait l'année dernière, une dette d'environ 180 milliards de Francs CFA, selon toujours les estimations des responsables du mouvement OTS.
Ils sont donc dans un bras de fer avec les autorités depuis le 21 février 2022, et réclament notamment le paiement de leur dette, l'adoption d'un statut particulier pour les enseignants, ou encore la tenue d’un forum national de l’Éducation.
Entre retards d’avancements de carrière, non paiement des rappels de salaire et non intégration à la fonction publique, le cocktail menace chaque année d'exploser. Et des histoires tristes se multiplient au quotidien, chez ces enseignants souvent affectés dans des zones reculées du pays.
"23 ans de travail sans salaire"
"Je suis à 23 ans de carrière sans salaire ni intégration". Olivia Manekeng, âgée de 44 ans est l’une des figures qui broient du noir dans l’enseignement au Cameroun. "J’ai débuté l’enseignement en 2001.A l’époque, j’étais simple maitre de parents sans CAPIEM (certificat aptitude pédagogique des instituteurs des écoles maternelles et primaires).
En 2007, je décide d’aller d’entrer à l’ENIEG, où je fais trois ans de formation. Je finis en 2010. De cette année jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais été intégrée, malgré mes sacrifices et mon expérience" s’alarme-t-elle.
Femme célibataire, mère de 4 enfants et grand-mère d’un petit fils issu d’un viol de sa fille en 2019 dans la région anglophone du sud-ouest, Olivia peine aujourd’hui à joindre les deux bouts.
"Avec cette charge et sans salaire ni intégration, j’ai finalement décidé il y a quelques semaines de jeter l’éponge. Il faut chercher autre chose, pour nourrir mes enfants et petit enfant.
La vie, c’est n’est pas seulement, la fonction publique" raisonne la dame avant de conclure "il faut revoir la situation de l’enseignants camerounais en général et des instituteurs en particulier".
L'année dernière, l'histoire de Haminou a choqué le pays. Enseignant du Lycée de Beka dans l'extrême nord du pays, il est décédé moins d'un mois après son intégration à la fonction publique, alors qu'il venait de passer 10 ans sans prise en solde.
Efforts du gouvernement
Fin septembre face à la presse, le ministre de l’éducation de base Laurent Serge Etoundi, ses collègues de l’enseignement sécondaire, de la fonction publique, du travail et des finances se sont réjoui des multiples recrutements lancés par le le gouvernement depuis plus de dix ans, pour intégrer chaque année, des milliers de jeunes sortis des écoles normales pour la fonction publique."A date, en dehors des dossiers qui ont été jugés inappropriés, parce que n’étant pas complets, ou encore, des dossiers où on a vu certains papiers qui ne sont pas authentiques, tous ceux qui ont été considérés comme dossiers normaux ont été traités et pris en solde. Aujourd’hui, en dehors de ces cas relevés, ou encore ces enseignants qui viennent d’être recrutés il y a à peine trois semaines, nous n’avons pas de dossiers qui trainent au ministère de l’éducation de base", défend le chef de ce département. Pour ce membre du gouvernement, entre 2020 et septembre 2023, plus de 81 mille 300 dossiers relevant de son ministère ont été traités.
Au Cameroun, la procédure d’intégration des enseignants relevant du primaire est indirecte. Ce qui la rend encore plus complexe que celle des lycées et collèges. Au primaire, au terme des années de formation, les instituteurs doivent encore braver épreuves de recrutement d’intégration lancé par le gouvernement pour espérer signer un contrat à la fonction publique.
Des recrutements rendus possible grâce aux financements de la Banque mondiale. En 2022, l’institution de Bretton Woods a déboursé 54 milliards de FCFA pour l’intégration de 3000 instituteurs.
Au ministère des enseignements secondaires en charge des collèges publics et lycées, la contractualisation est direct. Un élève lauréat d’une école normale supérieur n’a plus besoin d’un concours d’intégration pour entrer à la fonction publique. Juste un acte d’intégration, qui pouvait parfois prendre des années avant d’être signé.
Accélération des procédures
Selon le ministre de la fonction publique, Joseph Le et de la réforme administrative, « il est désormais possible d’intégrer un lauréat à moins de deux mois, au lieu de 30 comme par le passé ».En 2022 explique-t-il, pour ce qui est des Ecoles Normales Supérieures et des Ecoles Normales Supérieures d'Enseignement Technique, ce sont « 3812 dossier avec 3177 décrets d’intégration qui ont été signés. 3702 matricules ont été générés pour l’occasion. Pour ce qui est des instituteurs, 11 515 arrêtés d’intégration ont été signé l’année dernière, sans préciser le nombre de demandeurs.
Mais pas suffisant pour convaincre les syndicats qui parlent de « la poudre aux yeux » et restent déterminés à paralyser le secteur.
Les syndicats de l’éducation réclament désormais près de 200 milliards de FCFA de dette à l’Etat, et non plus 180 comme l'année dernière. Les autorités contestent ce chiffre, mais avouent avoir déjà payé plus d’une cinquantaine de milliards de fcfa, et qu’il ne reste qu’une dizaine à payer aujourd’hui.
« Il y a une incertitude qui hante les enseignant. L’Etat nous doit encore 200 milliards. Est-ce que si nous y allons avec la pédale douce, il pourra payer cette argent ? C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes radicalisés pour lui faire pression » confesse Chamberlain Owona Amougou, le secrétaire général du syndicat national autonome de l’éducation et de la formation.
Les raisons de l’enlisement
Nonobstant les premières réponses apportées par le gouvernement aux revendications des enseignants, la grève perdure.Pour le chercheur en sciences politiques, Aristide Mono, "cette grève persiste parce que jusque-là l'État ne fait pas preuve de bonne foi dans la résolution du problème".
Selon lui, dans le contentement des différentes revendications posées par les enseignants en lieu et place d'une réponse idéale, l'État se lance plutôt dans une "certaine arrogance qui se manifeste par des intimidations et des menaces".
En effet, dès le début de la crise, le ministre de l’Administration territoriale a instruit aux gouverneurs de région "l’identification systématique et l’interpellation des signataires des communiqués portant la marque du mouvement OTS « On a trop supporté".
Paul Atanga Nji avait même assimilé les leaders syndicalistes à des "esprits malveillants dénués de toute légitimité" qui cherchent à "déstabiliser" le pays.
Les instructions du ministre ont été respectées dans certaines régions du pays où les enseignants grévistes ont été interpellés et/ou mutés loin des métropoles régionales pour affaiblir la grève.
Dans la région de l’Adamaoua en occurrence, le délégué départemental des enseignements secondaires pour la Vina, Mohaman Bello, a adressé le 13 septembre dernier, des demandes d’explication à 45 enseignants de 22 établissements de son unité de compétence.
Ces menaces des autorités ont contribué à durcir la posture des enseignants qui ont adopté une nouvelle stratégie de revendication qui semble échapper à l'encadrement conventionnel des autorités, à savoir le mouvement "craie morte".
Désormais, les enseignants se rendent dans les salles de classe mais ne dispensent pas de cours, en lieu et place, ils expliquent aux apprenants les raisons de leur mouvements d’humeur.
Le Forum national de l’Education en gestation
Au regard de ce bras de fer entre enseignants et gouvernement, l'analyste Politique Aristide Mono estime que seule une réelle volonté politique du président de la République pourrait contribuer à résoudre la crise. Elle passe selon lui par l’organisation d'un Forum national de l’Education et l’adoption du statut particulier de l'enseignant.C’est en effet l’une des principales revendications formulées par les syndicats des enseignants. Le Forum national de l’Education au Cameroun annoncé depuis 6 ans, selon les prévisions du gouvernement, il aurait dû se tenir en 2017.
Le 11 octobre 2023, le Comité interministériel présidé par le ministre de l’Enseignement supérieur Jacques Fame Ndongo a invité 11 leaders syndicaux à une rencontre avec pour objectif la finalisation du dossier relatif à l’organisation du Forum national de l’Education.
S’il est organisé, ce forum devrait être une réponse concrète aux revendications des enseignants qui attendent aussi l’apurement de leur dette.
Tension de trésorerie
De l’avis des économistes, l'État du Cameroun fait face actuellement à une tension de trésorerie qui tient de l'accroissement régulière des dépenses et avec une progression moins importante en termes de mobilisation des recettes.Le pays est confronté à des crises sécuritaires dans les régions du Nord et du Sud Ouest, dans l'extrême nord, sans oublier l'appui aux réfugiés dans la région de l'Est.
En plus, le fonctionnement ordinaire de l’Etat et les chantiers chantiers infrastructurels nécessitent également des fonds.
Par contre, la mobilisation des recettes se trouve contrainte précisément parce que les régions en crise ne produisent plus autant que par le passé, avec en plus le coût de l'inflation donc l'augmentation des subventions que l'État doit consentir pour maintenir à peu près à un niveau acceptable le pouvoir d'achat des ménages en produits alimentaires.
Philippe Nsoa, journaliste spécialisée dans l'analyse des questions économiques estime que tous ces facteurs expliquent le retard dans la gestion de la dette des enseignants.
Selon lui, cette dette devient intenable parce que la "gestion des carrières n'est pas extrêmement efficiente". Ce qui engendre une accumulation de dossiers.
Le corps enseignant constitue en effet l'effectif le plus important de la fonction publique camerounaise ; les "seigneurs de la craie" représentent 46% de l'effectif global et représentent 51% de la masse salariale.
Après les actions menées depuis mars
En 2022, le Comité interministériel mis en place sur instructions du président de la République pour apurer la dette des enseignants, avait reconnu une dette d'environ 140,5 milliards de francs CFA. A cela, il faut désormais ajouter les nouveaux recrutements qui sont faits et des avancements qui ont pu se produire entre temps.
Le pays compte une demi-douzaine d'Ecoles normales d'enseignement supérieur qui forment des enseignants des lycées et collèges et une quarantaine d'écoles normales d'instituteurs.
C’est donc des milliers d’enseignants qui frappent aux portes de la fonction publique chaque année, malheureusement la prise en compte de leur salaire n’est pas automatisée.
Pour Philippe Nsoa, le paiement de la dette salariale n'est pas pour l'heure une priorité pour l'Etat".