Victime d’un accident de la circulation le 02 novembre 2023, le célèbre penseur camerounais est mort à 77 ans au petit matin du 16 novembre. Il laisse une œuvre littéraire immense, jalonnée de quelques concepts devenues populaires mais aussi d’une vive polémique sur d’un positionnement politique et intellectuel.
Qui était donc Hubert Mono Ndjana, ce bouillant intellectuel qui a vaillamment occupé la scène politique et médiatique camerounaise pendant une trentaine d’années ? La question des origines du philosophe n’a pas échappé à Jean Philippe Nguemeta, journaliste et philosophe, auteur en 2015 d’un ouvrage entretien avec l’universitaire de renom. « Je suis né le 3 novembre 1946 à Ekabita, un petit village… situé quelque part du côté ouest d’Obala. Je suis de la tribu Essele… Mes parents étaient tous chrétiens, d’obédience catholique, et m’ont naturellement fait suivre leur chemin, en m’inscrivant à l’Ecole Saint Charles d’Efok, près d’Obala », déclarait Mono Ndjana dès les premières lignes de ce « dialogue » entre philosophes. On apprend ensuite que l’homme a baigné dans la chrétienté dès sa prime enfance et que son infirmier de père s’est décarcassé comme il a pu pour l’inscrire dans le prestigieux collège Vogt. Mais comment donc Mono devient-il philosophe ? « Par pur hasard », répond l’intéressé.
COSTUME, CRAVATE, ET CHAUSSURES BIEN CIREES
Le jeune étudiant qui voulait faire du droit pour devenir « un grand type » tombe en tâtonnant sur les cours de philosophie du redoutable Laburthe-Tolra . S’il reconnait la place centrale qu’occupe le philosophe français dans sa formation initiale, Mono rend aussi un hommage appuyé à Njoh Mouelle, Martien Towa, Guillaume Bwele et Juléat Fouda qui furent ses premiers maitres en Fac. Mais c’est en France, à Tours que l’interviewé avoue avoir donné de l’épaisseur à sa formation. Offensif et audacieux, Mono Ndjana le sera tout au long de son riche parcours. Affecté au Lycée de Bafoussam après sa Maitrise alors qu’il n’a que 26 ans, le jeune enseignant met un point d’honneur à préparer minutieusement ses cours et à soigner sa mise : « Costume, cravate, et chaussures bien cirées … beaucoup d’anciens du « Lyclabaf » m’avouent avoir pris chez moi leur style d’habillement, jusqu’à la couleur marron du costume que je mettais souvent », se réjouissait-il.
Muté par la suite au Lycée d’Ebolowa, l’enseignant en herbe qui a plus de temps libre profite pour boucler sa thèse de 3e cycle. Il fait des vacations dans des collèges de Bafoussam et Nkongsamba et lance L’Interdisciplinaire, une revue à l’intention de tous les enseignants du Cameroun. Selon lui, c’est pour briser l’élan de son journal que la haute administration créa, elle aussi une revue appelée Lueurs pédagogiques de l’Ouest. La suite du parcours philosophique de l’interviewé force le respect. en 1990, Il passe à l’Académie des sciences du Djoutché à Pyongyang une thèse d’Etat (critiquée mais dont il parait bien fier) intitulée « Révolution et création- Essai sur la philosophie du Djoutché ». Le politologue Ntuda Ebodé qui préface l’ouvrage salue « l’un des tout premiers intellectuels africains à avoir perçu l’importance de l’Asie dans la renaissance africaine ».
PREMIER PROFESSEUR DES UNIVERSITES DE PHILOSOPHIE AU CAMEROUN
Mono atteint les cimes académiques de sa discipline quand il devient Professeur des universités, le 5 février 2003. Le tout premier au Cameroun et dans la sous-région dans le domaine de la philosophie. Avec ce record, il s’attend à une récompense au plus haut niveau de l’administration. Mais le philosophe va brutalement dégringoler de son nuage pour faire face à la dure réalité : « Mon record a été superbement ignoré, banalisé, s’enrage-t-il.
Ceux qui ont accédé au même grade cinq ans après moi ont été promus à de prestigieux postes de responsabilité. De plus jeunes et moins gradés sont même devenus mes patrons dans l’institution de sorte que, sans avoir fini leur parcours académique, c’est-à-dire leurs recherches, ils sont institutionnellement amenés à décider, oui ou non, sur mes projets de recherche, sur mon destin académique !... Comment ne pas parler de sadisme, de cynisme et d’arbitraire comme principes de gestion ? Il s’agit plutôt d’anti principes, puisqu’ils inspirent la peur ».
FRUSTRE…TROP FRUSTRE
La frustration et la déprime transpirent des propos de ce penseur du Renouveau qui a longtemps mouillé le maillot sans être récompensé. Un homme qui avait pourtant senti le bon coup en publiant en 1985 « L’Idée sociale chez Paul Biya » qui lui ouvre les portes du Comité Central du RDPC où il est appelé en 1990 comme secrétaire à la communication. Le penseur a beau chassé l’aigreur on le sent toujours inhibé de cette ingratitude qui l’a précipitamment mis hors-jeu. Il accuse les réseaux et les sectes et critique de ce fait la dérive irrationaliste qui s’empare de la société Camerounaise. Constamment aux aguets et oscillant allègrement entre critiques acerbes des dérives du régime du Renouveau et propos plus conciliants sur le bilan de Paul Biya, Mono n’a jamais pu rebondir au sein d’un landerneau politique qui a su le tenir à distance respectable.
ETHNOFASCIME
Passablement frustré il s’est attelé à sa chère philosophie, produisant ouvrages et concepts de références. Toujours immergé dans la cité, on lui doit la fameuse formule « le Cameroun a normalisé l’écart et écarté la norme » énoncé pour fustiger un pays en plein naufrage éthique. Ou encore le très rafraichissant concept de « mapartisme » où chacun réclame sa part dans le grand banquet Cameroun. L’éthique, ce pain quotidien qu’il partage aussi dans son fameux ouvrage « les chansons de Sodome et Gommose », qui s’insurge contre cette mode musicale très en dessous de la ceinture.
On en était venus à oublier que cet ouvrier de la morale est aussi le père de l’ethnofascime qui est une critique lapidaire des ressortissants de l’Ouest accusés de vouloir écraser les autres par leur puissance économique. On en avait oublié ces passes d’armes légendaires avec le Professeur Maurice Kamto sur la posture de l’intellectuel dans la cité qui avaient même viré à une confrontation personnelle. On ne se souvenait même plus de ce passage mouvementé du Professeur à la tête de Société civile des Droits de la Littérature et des Arts dramatiques (Sociladra).
Mono avait su réconcilier les cœurs et s’était progressivement incrusté dans la conscience collective comme un philosophe engagé aux côtés d’un peuple meurtri par férocité d’un régime auquel il a tant cru. Au final, le passage de Mono en politique n’aura été qu’un court (et triste ?) intermède d’une sublime partition inspirée par la passion de l’humain. Et c’est bien que le Prof ait choisi ce 16 novembre, journée internationale de la philosophie, pour nous faire ses adieux.