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Actualités of Monday, 7 August 2023

Source: www.bbc.com

Guerre en Ukraine : La bataille invisible de l'Ukraine pour brouiller les armes russes

La bataille invisible de l'Ukraine pour brouiller les armes russes La bataille invisible de l'Ukraine pour brouiller les armes russes

Au début de l'invasion de l'Ukraine, les experts ont été surpris par la piètre performance des unités de guerre électronique de l'armée russe. Mais près de dix-huit mois plus tard, elles posent de sérieux problèmes à la contre-offensive ukrainienne.

"Utilisez des balles uniques", murmure un soldat ukrainien caché derrière un mur situé près de la ligne de front orientale. "De cette façon, nous pourrons tenir jusqu'au matin [s'ils se rapprochent]."

L'indicatif du soldat est Alain Delon, comme la célèbre star du cinéma français des années 1970. Comme dans un film d'espionnage, il fait partie d'une équipe légèrement armée d'officiers de renseignement électronique, une cible prioritaire pour l'armée russe.

Alain craint que les troupes russes n'aient repéré leur antenne et ne se dirigent vers leur base. Il décide de changer de position. La clé de la guerre électronique est d'être invisible pour l'ennemi.

Leur travail consiste à détecter les signaux électroniques émis par toutes sortes d'armes russes, notamment les drones, les systèmes de défense aérienne, les brouilleurs, l'artillerie et les lance-roquettes multiples. Ils déterminent l'origine des signaux et le type d'arme, puis transmettent les coordonnées à d'autres unités chargées de détruire la cible.

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Ces informations aident également les commandants à se faire une idée du champ de bataille.

"Il s'agit d'une guerre de technologies", explique à la BBC le colonel Ivan Pavlenko, chef du département de guerre électronique et cybernétique de l'état-major ukrainien.

"Si je vois plusieurs stations de radio au même endroit, je comprends qu'il s'agit d'un poste de commandement. Si je vois que certaines stations radio commencent à avancer, je comprends qu'il peut s'agir d'une contre-offensive ou d'une offensive."

Il s'agit d'un conflit invisible qui se déroule parallèlement aux explosions, aux frappes de missiles et à la guerre de tranchées qui dominent l'actualité.

Presque toutes les armes modernes - des installations d'artillerie aux missiles de haute précision - utilisent des ondes radio, des micro-ondes, des infrarouges ou d'autres fréquences pour recevoir des données. Cela les rend vulnérables à la guerre électronique, qui vise à intercepter et à supprimer ces signaux.

"Si vous perdez en guerre électronique, vos forces se transformeront en une armée du XIXe siècle", explique Yaroslav Kalinin, directeur général d'Infozahyst, une société qui produit des systèmes de guerre électronique pour l'armée ukrainienne. "Vous aurez dix pas de retard sur votre ennemi."

Durant ces dernières années, la Russie a développé une série de technologies de brouillage. Ces technologies sont les suivantes :

  • Krasukha-4, qui cible les radars aéroportés et de défense aérienne ;
  • Zhitel, qui supprime les signaux des satellites ;
  • Leyer-3, un brouilleur de communications cellulaires et radio.
Au moment de l'invasion à grande échelle, en février 2022, la Russie disposait de 18 000 soldats spécialisés dans la guerre électronique, selon le colonel Pavlenko.

Mais l'effet a été moins impressionnant que ce à quoi beaucoup s'attendaient.

"Ils essayaient de briser nos radars, de pénétrer nos systèmes de défense aérienne, explique Yaroslav Kalinin. Ils y sont parvenus en partie, mais pas complètement."

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Les systèmes de défense aérienne ukrainiens sont toujours en mesure d'abattre les jets russes. L'absence de suprématie aérienne de la Russie a contribué à son incapacité à s'emparer rapidement de Kiev.

Les forces russes n'ont pas non plus réussi à couper les communications, ce qui a permis aux militaires ukrainiens d'organiser leurs défenses. Bien que certains réseaux satellitaires militaires aient été brouillés, les communications cellulaires et Internet n'ont pratiquement pas été affectées.

Lorsque les troupes russes avançaient vers Mykolaiv en février 2022, les villageois ont utilisé des téléphones portables pour avertir les militaires ukrainiens du mouvement des colonnes russes.

S'attendant à une victoire sans appel, Moscou a pu penser qu'il ne serait pas nécessaire de déployer pleinement les systèmes de guerre électronique. Mais Bryan Clark, membre du Hudson Institute, un groupe de réflexion américain, estime que les unités de guerre électronique n'ont pas pu suivre le rythme du reste des troupes.

"Les systèmes russes sont de grands systèmes lourds, embarqués sur des véhicules et conçus pour être sur la défensive, explique-t-il. Par conséquent, leurs systèmes de guerre électronique n'étaient ni très agiles, ni très rapides, ni très nombreux."

La Russie a toutefois appris de ses erreurs. Au lieu d'utiliser de gros équipements qui peuvent être facilement repérés et détruits, elle s'appuie désormais de plus en plus sur des dispositifs plus petits et plus mobiles.

Bryan Clark explique que la Russie a réussi à déployer des centaines d'unités mobiles de guerre électronique le long de la ligne de front pour tenter de ralentir la contre-offensive de l'Ukraine. Ces unités vont des brouilleurs GPS aux systèmes qui suppriment les radars et empêchent les avions américains d'identifier les cibles à attaquer par l'Ukraine.

Les systèmes russes tels que Zhitel et Pole-21 s'avèrent particulièrement efficaces pour brouiller le GPS et d'autres liaisons par satellite. Ils peuvent désactiver les drones qui dirigent les tirs d'artillerie et effectuent des attaques kamikazes sur les troupes russes.

De nombreuses armes sophistiquées fournies à l'Ukraine par les pays de l'OTAN sont également vulnérables à ce type de brouillage, car elles utilisent un signal GPS pour la navigation.

"Zhitel peut brouiller un signal GPS dans un rayon de 30 km autour du brouilleur, explique M. Clark. Pour des armes comme les bombes JDAM (fabriquées aux États-Unis), qui utilisent uniquement un récepteur GPS pour les guider vers la cible, c'est suffisant pour qu'elles perdent leur géolocalisation et qu'elles s'éloignent de leur cible."

Il en va de même pour les roquettes guidées tirées par le système de roquettes multiples Himars, qui a largement contribué aux offensives réussies de l'Ukraine à l'automne dernier.

Les deux parties ont tenté de mettre au point des contre-mesures pour lutter contre le brouillage de l'autre, notamment en reprogrammant les armes.

Bryan Clarke décrit cette situation comme une compétition intense de "mouvement et contre-mouvement".

Le colonel Pavlenko ne nie pas que les systèmes russes peuvent réduire l'efficacité et la précision des armes que l'Ukraine a reçues de ses partenaires occidentaux. Selon lui, il est d'autant plus important de cibler les systèmes de guerre électronique russes.

"Avant de frapper avec une munition guidée de précision, nous devons fournir des renseignements. Y a-t-il une suppression dans cette zone ? Si cette zone est affectée par un signal de brouillage, nous devons trouver le brouilleur et le détruire, et ensuite seulement utiliser cette arme."

Depuis février 2022, l'Ukraine a détruit plus de 100 grands systèmes de guerre électronique russes. La BBC ne peut pas vérifier ces chiffres de manière indépendante.

Les unités de renseignement comme celle d'Alain travaillent sans relâche pour augmenter ce nombre, en les localisant.

Sur un nouveau site, son équipe a intercepté des communications radio entre soldats russes et les écoute. Il s'agit d'une conversation entre artilleurs russes. L'équipe d'Alain s'efforce maintenant d'obtenir leurs coordonnées. Dans une guerre, dit-il, chaque information peut être importante.