Ni John Fru Ndi était bien plus qu'une figure politique de premier plan. Il était un homme paternel pour son entourage et j'ai eu l'honneur de le connaître au-delà de la politique. Angie Forbin lui rend hommage.
Ni John Fru Ndi était une figure politique colossale. La lumière sur la colline de la politique multipartite d'après l'indépendance. Il était bien plus qu'une simple opposition, en réalité, la renaissance de la politique multipartite porte son empreinte et son sceau. Les centaines de partis politiques que nous voyons aujourd'hui sont le résultat des risques qu'il a pris dans les années 90.
Ce qu'il a commencé comme un groupe de pression pour dénoncer la marginalisation anglophone dans les années 80, créé par lui-même et son cousin Siga Asanga, il l'a rapidement renommé et transformé en un parti politique connu sous le nom de SDF. Le gouvernement a tout fait pour le dissuader et n'a pas légalisé le parti. Ils ont déployé plus de 2000 soldats à Ntarikon (Nord-Ouest), qui ont été surpassés par une foule gigantesque d'environ quatre-vingt mille partisans venus assister au lancement du Social Democratic Front par le propriétaire de la librairie Ebibi, installé sur son Land Rover. Le régime de Biya n'avait jamais rien vu de tel. Un challenger non conventionnel, incroyablement charismatique et rusé qui secouerait ses structures pendant au moins deux décennies.
Ni John Fru Ndi a bravé les dangers d'un régime répressif impitoyable, gardant ses voiles d'espoir bien hauts sur les idéaux de la démocratie et du changement !
Le gouvernement finirait par céder à ses demandes pour sortir de l'ère du parti unique après avoir utilisé toutes sortes de forces brutales pour réduire cet homme imperturbable au poing levé emblématique. Ils avaient le pouvoir des armes à feu et lui, Ni John Fru Ndi, avait le pouvoir du peuple.
Le peuple était sa force et ils étaient prêts à tout faire pour le lui prouver. De son village natal de Baba 2 (Nord-Ouest) à Ntarikon où il vivait, en passant par Garoua (Nord) en passant par Yaoundé (Centre), Douala (Littoral) et Mbouda (Ouest), cet homme attirait des foules qu'aucun autre politicien ne pourrait facilement égaler à ce jour. Des millions l'adoraient et étaient prêts à souffrir de coups de chaleur pour l'entendre tonner le cri de ralliement "Le pouvoir au peuple". Passer du temps avec lui m'a aidé à comprendre pourquoi, ne serait-ce qu'un peu.
Cet homme était complètement différent des politiciens éduqués à l'étranger au langage grandiloquent. Il se connectait avec les masses à leur niveau, utilisant des paraboles et des expressions en anglais de pidgin pour se faire comprendre, faisant en sorte que l'homme ordinaire se sente vu. Il a parcouru tous les arrondissements du
Cameroun, risquant sa vie pour apporter le message de "suffer don finish" (la souffrance a assez duré) dans les endroits les plus reculés. Il dînait avec ses électeurs potentiels lorsqu'ils lui offraient de la nourriture préparée dans des conditions qui auraient effrayé beaucoup de gens pour leur propre sécurité.
Je lui avais demandé une fois (en 2011), après qu'il ait visité certaines des régions les plus profondes du pays et mangé dans toutes sortes de baraques où il était entraîné : "n'as-tu pas peur de tomber malade et de mourir en mangeant cela ?" Sa réponse a été : "Ce sont des êtres humains comme moi. S'ils peuvent manger ce qu'ils me donnent, alors je peux le manger aussi." Je suis journaliste et j'ai été élevée par l'un d'entre eux. Je connais bien les faits historiques et politiques de notre pays. J'ai eu le privilège de rencontrer toutes sortes de personnes. Des politiciens, des présidents, de la royauté saoudienne, mais je n'avais jamais vu un homme aussi charismatique que le phénomène qu'était Ni John Fru Ndi.
Les instruments du pouvoir de l'État et de l'argent ont tendance à créer un pseudo-charisme pour certaines personnes. Avec Ni John Fru Ndi, c'était différent. Il entrait dans une pièce sans accompagnement et en quelques secondes, tous les projecteurs étaient braqués sur lui. Son magnétisme attirait les gens vers lui, et son véritable amour et sa véritable sollicitude les maintenaient près de lui.
Cet homme aimait les êtres humains. Il ne reculait devant rien pour négocier de meilleures conditions de vie pour les Camerounais, les personnes qu'il aimait tant. Il n'est pas secret et il est généralement admis dans de nombreux cercles diplomatiques qu'il a remporté l'élection présidentielle de 1992.
Je n'oublierai jamais mes visites à sa résidence de Ntarikon pour des interviews. Il était si plaisant. Si avenant. Il me proposait de la nourriture. Il insistait pour que je commence par prendre un petit-déjeuner. Il avait un sens de l'humour inégalé et plaisantait tout en répondant à un million d'autres demandes. Des élèves du secondaire campaient devant ses portes en attendant d'apercevoir l'homme qui tenait le régime de Biya sur ses gardes. Pa, comme on l'appelait affectueusement par son entourage, était leur résolveur de problèmes, le roc sur lequel ils pouvaient compter, un homme qui se dispersait pour résoudre toutes sortes de problèmes pour des personnes qu'il ne connaissait pas. Il ne lui était pas permis de terminer un mandat présidentiel qu'il avait remporté en 1992, mais pour le peuple, il était le président des cœurs.
La plupart du temps, lorsque je le visitais, je passais la journée avec lui. Nous prenions le petit-déjeuner, puis le déjeuner. Il m'avait emmenée voir son village natal de Baba II une fois. Il y avait ce jour où il a demandé à un pasteur de prier pour moi et de bénir mon voyage de retour à Yaoundé.
J'ai rendu visite à Pa à sa résidence de Nouvelle Route Omnisports lorsqu'il était à Yaoundé. Nous avons discuté de politique. J'ai surtout écouté. C'était une véritable encyclopédie de politique et de compassion. Il m'a raconté quelques expériences décourageantes de plaidoyer et de sacrifices pour un peuple qui semblait ne pas se soucier ou s'était complètement désintéressé de son destin.
Nous avons poursuivi notre conversation du salon à la cuisine. Il voulait me donner à manger. Je suis suffisamment jeune pour être sa fille, voire même sa petite-fille. Il me traitait comme telle. Nous sommes revenus dans le salon et je me suis assise. Ils avaient organisé une manifestation contre l'amendement constitutionnel de 2008 visant à lever la limite des mandats présidentiels. Les manifestations n'ont pas obtenu le soutien populaire escompté.
Fru Ndi m'a dit : "Ils ont déployé des policiers pour nous intimider. Ils ont même renversé mon chapeau de cette tête chauve et le soleil me frappait. La population ne s'est même pas souciée de se joindre à nous pour quelque chose d'aussi important. À un moment donné, je voulais juste que nous arrêtions et rentrions chez nous. La police continuait de dire que puisque nous voulions manifester et marcher, nous devions continuer." Aussi grave que ce qu'il me disait puisse être, la façon dont il le disait me faisait rire aux éclats. C'était le Ni John Fru Ndi que je connaissais. C'était Pa pour vous.
La contribution de cet homme à la construction nationale va bien au-delà du simple retour à la politique multipartite face à un président avare. Il a fait pression avec conviction pour la création d'un organisme indépendant d'organisation des élections - Elecam. Il a joué un rôle de premier plan dans la promotion d'une presse libre, ce qui a conduit aux lois sur la liberté de la presse dans les années 1990 et à la prolifération d'organisations de presse et de médias privés. Il aimait la presse privée et elle le nourrissait.
En janvier 2013, après qu'il ait rendu visite au palais de l'unité pour présenter ses vœux du Nouvel An, le président du SDF a accepté mon invitation à venir dans l'organisation médiatique qui m'employait. Nous y sommes allés ensemble et nous sommes assis pour une interview en direct de 30 minutes devant un personnel captivé. Nous avons terminé cela et avons quitté les lieux, laissant derrière nous une foule électrisée qui s'était rassemblée devant.
Malgré son charisme, sa paternité et son amour sincère pour les gens, sa position récente sur la crise anglophone, sa tendance à prendre les critiques un peu trop personnellement, sa propension à éliminer toutes les formes de dissidence au sein de son parti, et son maintien à la tête du SDF pendant plus de 25 ans sont des éléments que l'histoire pourrait considérer comme nuisibles à son héritage.
Mais à la fin, le point central est qu'il était un homme de principes et de convictions. Et en fin de compte, il a été le porte-étendard de l'espoir et du changement pour un grand nombre de Camerounais.