Dans son livre "Méditation de prison", Titus Edzoa évoque la terrible expérience de la torture qu'il a subie en détention. Il décrit le rituel quotidien de maltraitance, marqué par des bruits assourdissants, des portails qui claquent et des clés qui tournent dans les serrures. Pour lui, la torture est un acte de barbarie exclusif de l'espèce humaine, permettant au bourreau de s'épanouir dans un comportement sadique. La victime, quant à elle, est soumise à une humiliation totale et à une résignation forcée.
Titus Edzoa explique que la torture crée une relation perverse entre le bourreau et sa victime, glissant dans une nébuleuse incontrôlable. Il compare le comportement du tortionnaire à celui d'un être faible et fragile, victime de ses propres turpitudes et contradictions internes. Selon lui, la torture anéantit physiquement, mentalement et psychiquement la victime.
L'auteur aborde également d'autres formes de torture, comme la terreur politique et la peine de mort. La terreur politique vise à maintenir la société sous un joug oppressif, engendrant un climat de violence et de délation. La peine de mort, quant à elle, est considérée comme une répression criminelle qui n'a jamais réduit la criminalité ni moralisé la société.
Malgré les souffrances endurées, Titus Edzoa a transformé sa torture en une source d'enrichissement intérieur. Il considère que la vie de chaque être humain est sacrée et doit être respectée dans toutes circonstances.
L'ouvrage "Méditation de prison" témoigne ainsi des horreurs de la torture et soulève des questions essentielles sur la dignité humaine et la nécessité de préserver la vie de chacun.
La torture
Parler de la torture est une chose ; l’avoir subie en est une autre. ... il est aussi ponctuel que récurrent, le rituel quotidien. L’écho de pas légers et furtifs, rarement lourds et lents de brodequins, précède le garde-chiourme. Un froissement métallique grince aigu en cacophonie, et mes oreilles de bourdonner. Des cliquetis secs, agressifs, d’une, de deux, de trois, de nombreuses clés qui tournent, bruissent, se retournent dans de multiples palâtres. Et mes oreilles de se froisser. Mon cœur de brunir, de saigner, à défaut de se briser et de s’arrêter. Un bruit sourd, puis un autre, un autre encore. De lourds portails blindés s’abattent l’un après l’autre, contre des murs ocres et brunis de béton. Et mon âme de grincer, avant de se lover sur elle-même, en réflexe d’auto-défense et de désespoir. Un rituel démentiel et pernicieux ; le matin comme le soir, de jour comme de nuit; et à l’ouverture comme à la fermeture : torture oblige ! Malgré sa récurrence, le geste vous est toujours nouveau et produit toujours les mêmes effets... destructeurs. J’ai intégré le défi, non sans peine, avec le temps, mon temps. De ce vacarme naguère humiliant et provocateur de ma captivité, j’ai fait la clé de l’ouverture vers le merveilleux monde intérieur de la liberté. Et je me souvins un jour de cette pensée que me confia, il y a fort longtemps, un sage : « La porte qui donne accès au royaume de la Liberté est toujours ouverte par une clé en or »... Encore faut-il savoir la chercher pour qu’elle vous soit, un jour, donnée... gratuitement! La torture est un acte de barbarie exclusif de l’espèce humaine, exaltant paradoxalement le bourreau qui en est l’auteur. Elle a pour but l’anéantissement brutal, cruel, total de la victime, dans un heurt déflagrant programmé contre le physique, le mental et le psychique de cette dernière... C’est un acte cynique délibéré d’atrocité, exigeant au moins deux protagonistes: le sujet et son objet. Le tortionnaire, sujet dominant et à souhait dominateur, s’anime toujours d’une euphorie hystérique et irrationnelle. La victime, son objet, doit à priori tout subir dans l’humiliation et la résignation. Ainsi, la torture crée-t-elle une relation surréaliste qui, progressivement, glisse dans une nébuleuse sans contrôle. Elle nous fait accéder au règne de la « soushumanité », bien inférieur à celui de l’animalité. Car l’animal peut agresser; mais quelque féroce qu’il soit, il est incapable de torturer. En revanche l’homme, ce drôle d’animal, est la seule espèce capable, non seulement de planifier la torture, mais de se réjouir d’en être l’auteur. Le tortionnaire ou son mandataire est en fait un être faible et fragile, victime de ses propres turpitudes, carences et contradictions intérieures. Fort incapable de se dominer, il s’évertue en vain à parfaire l’anéantissement, la destruction de l’autre. Il se méprend de sa propre image, réfléchie et projetée avec une extrême violence sur la victime. En décidant d’annihiler l’autre, inconsciemment il se désagrège lui-même. Son combat intérieur perdu d’avance, qu’il extériorise par la cruauté, le défait, le détruit lui-même: « Vita sua, mors tua »: pour qu’il vive, l’autre doit mourir. Et si jamais l’autre devait survivre, il tremble de mourir à cette seule idée... à l’issue de ce drame, la victime connaît toujours la paix et sa fin est toujours lumineuse : soit par une mort libératrice (sic !), soit par une vie particulièrement enrichie, la souffrance étant une échelle ascendante incontournable vers les promontoires de l’évolution de l’âme. En revanche, le tortionnaire connaît toujours l’abîme au dernier acte de sa pièce théâtrale : il s’ouvre un long et tumultueux cheminement, par lequel il doit connaître les affres de l’abus et de l’ignorance, pour retrouver peut-être après de longs errements, comme sisyphe, le sentier abrupt et sinueux de la Sagesse... Il existe d’innombrables types de torture : la terreur en politique et la peine de mort ont particulièrement retenu mon attention. La terreur en politique, c’est l’usage permanent, brutal et féroce d’une violence gratuite et disproportionnée, dont les objectifs s’inscrivent dans un marécage dit politique, aux accents le plus souvent obscurs et contradictoires. Il s’en dégage toujours une tentative absolue de tenir sous un joug fatalement suicidaire la société et les individus qui la composent. La terreur politique, c’est une arme cynique, dont savent volontiers abuser les faibles d’esprit, pusillanimes introvertis, hantés qu’ils sont par leur fausse et prétendue supériorité, et pourtant en réalité, imbibés de médiocrité notoire, en même temps qu’ils sont, à l’envi, dévorés par un virus narcissique qu’ils s’évertuent, en vain, à dissimuler. La société, victime de cette terreur, végète dans l’agonie, suffoquant par le sevrage impitoyable du rêve légitime de la liberté et du mieux-être ; elle finit par se refermer sur elle-même, dans un réflexe atonique, avorté de désespoir, de survie. La rumeur y est privilégiée: dans le vent, tout est futile, possible et impossible à la fois; elle honore, malgré elle, la délation et le fantasme ; il faut bien se référer à quelque chose, à défaut des vertus sociétales méthodiquement incinérées; elle devient la matrice de l’hypocrisie et du griotisme : l’ogre, le bourreau, insatiable, s’en nourrit, car il se délecte à régner sur des spectres; il ne peut exister que par l’annihilation de l’autre. La violence, comme de la suie, infiltre toutes les couches de la société, réalité préventivement entretenue pour une soi-disant pérennité du système. Et pourtant, la sagesse qu’enseigne l’Histoire humaine n’aura jamais été muette sur la terreur. Énergie explosive à souhait, elle véhicule toujours en son sein sa propre destruction, une espèce d’auto-radioactivité. Tôt ou tard, elle s’épuise, s’estompe, laissant avec une désolation déconcertante, un vide, un « trou noir », pour enfin exploser en compensation dramatique de son supposé essor d’hier. Quelquefois, la société, dans un dernier sursaut, interpelle inconsciemment l’intervention d’un nouveau prince, féru de l’expérience des affaires de l’État, et doué d’une haute dimension et du génie des valeurs humaines et sociétales. Très souvent, hélas, elle erre longtemps, très longtemps, dans un pandémonium infernal, où l’anarchie, la misère, l’insécurité et le désespoir soufflent tel un ouragan, avant de connaître, épuisée, la voie qui mène vers la paix et l’épanouissement... Mais à quel prix? La peine de mort est un autre exemple, hélas courant, de barbarie et de violence extrême de l’humanité contre elle-même. La vie est toujours un don, un présent, dont la finalité se trouve au-delà des considérations, ô combien limitées de l’Homme. Contrairement à la pensée commune, l’Homme ne donne pas la vie, l’Homme ne peut pas donner la vie ; il est tout simplement, et c’est déjà un insigne privilège, un intermédiaire, un véhicule, quelque précieux qu’il soit, d’un véritable « miracle » des lois universelles; il ne peut et ne doit donc en aucun cas s’arroger le droit d’ôter la vie d’un autre être humain. La répression criminelle par la mort n’a réduit nulle part la criminalité, encore moins moralisé une société. Je partage avec véhémence l’avis de robert Badinter, pionnier défenseur et avocat de la vie : « on ne répond pas à l’horreur par l’horreur ». À la fin, permettez-moi de vous murmurer en toute confidence ceci: « à travers force péripéties, j’ai réussi à faire de ma torture l’une des plus belles décorations secrètes de mon âme ». La vie d’un Homme est sacrée. En toutes circonstances, elle mérite le respect le plus absolu autant des bandits inconscients de la rue que « des tout puissants » prétendument protecteurs de l’évolution de ce monde...
L'extrait du Livre